Alors, voilà, j'ai vu
Les Trois Singes et, autant le dire tout de suite, je trouve que c'est un grand, très grand film, digne des plus grands réalisateurs.
Le film se déroule aux environs d'Istanbul. Tout commence par une nuit sombre, le long d'une route de campagne abandonnée...
David Vincent, lui, les a vus euh mais qu'est-ce que je raconte, moi?!
Alors qu'il roule dans la nuit, donc, un politicien turc ensommeillé percute un homme et le tue avant de s'enfuir. Pour ne pas compromettre ses ambitions politiques à l'approche d'élections, il propose à son chauffeur de porter le chapeau en se dénonçant à sa place et en purgeant la peine de prison promise, moyennant une somme d'argent qu'il lui remettra à sa sortie. Les fils sont ainsi noués pour le reste de la tragédie, où sont présents le poids d'un passé intime douloureux, la prégnance de traditions d'honneur - si fortes qu'elles en viennent à proscrire toute communication au sein d'une famille -, sans parler de la variété des sentiments humains: tendresse, lâcheté, veulerie, résignation.
L'action est entièrement concentrée sur les trois personnages masculins (un chauffeur, son patron, son fils) et le personnage féminin, l'épouse du chauffeur. La prise de vue ne les quitte presque jamais (il paraît que dans son projet initial,
Nuri Bilge Ceylan avait même pensé à une option encore plus radicale où on ne voyait
jamais personne d'autre à l'écran).
Le metteur en scène maintient une tension permanente autour de son intrigue, prenant le temps de filmer les visages, les moindres tressaillements, les allées et venues des personnages dans le petit appartement qu'ils occupent dans un immeuble délabré, appartement qui allie grandeur et misère pusqu'il est situé au bord du somptueux Bosphore mais séparé de celui-ci par une voie ferrée dont les trains ne cessent de passer dans un vacarme assourdissant.
La mise en scène est d'une virtuosité constante: pas d'effets de caméra mais une sorte d'évidence, servie par des choix de photographie extrêmement réussis et surtout par une bande-son très travaillée. Il n'y a aucune musique (si ce n'est une sonnerie de portable très particulière qui a sa place dans l'intrigue), mais toute la panoplie des sons urbains est exploitée, contribuant à faire vivre cette Istanbul éloignée des cartes postales.
C'est un film au rythme assez lent mais qui, si on veut bien se laisser porter, tient toutes ses promesses.