Michel Butor

Romancier, critique, librettiste d'opéra, auteur de jeux, musicologue, historien d'art, photographe, ethnographe, Michel Butor a répondu à sa façon, à ses façons, à l'appel des langages et des secrets du monde.

Michel Butor, l'écriture nomade", jusqu'au 27 août. , quai François-Mauriac, Paris-13e.

Dans La Modification, un homme d'âge mur décide de prendre le train et de se rendre à Rome à l'improviste. Le but de ce voyage est d'annoncer à Cécile, sa maîtresse, qu'il lui a trouvé une situation à Paris.
Pendant toute la durée du trajet on est projeté dans les réflexions du personnage (ce "vous"). On navigue entre un futur, au départ la projection de ses désirs, le présent, avec une description des voyageurs et des paysages, et le passé, que cela soit la narration de voyages précédents ou d'événements marquants dans l'avancée de ses relations avec Henriette ou Cécile.
Le début du roman est un peu déroutant. Ce n'est pas tellement l'adresse directe au lecteur à travers le "vous", mais plutôt les descriptions minutieuses et les changements temporels. Mais l'on s'y fait vite. Après quelques longueurs (notamment vers le milieu, mais c'est peut-être dû à un ralentissement dans ma lecture) on découvre les cinquante dernières pages qui sont absolument fantastiques. Le rythme s'accélère, on comprend pleinement le "vous" qui se transforme parfois brutalement en "il" ou en "je" et Michel Butor se laisse entraîner dans des explosions presque mystiques.
La lecture est parfois ardue mais l'on ressort éblouit par ce voyage intérieur pourtant profondément angoissant.

Plus déroutant, mais passionnant, l'emploi du temps, qui raonte un séjour de l'auteur en Angleterre, ses rencontres avec des personnages un peu étonnants, le tout avec une intrigue policière.

Il faudrait que je le relise, car sa complexité m' fait oublier les lignes principales.

Butor vient de faire paraître Petite Histoire de la littérature française aux : Carnetsnord, avec 6 CD, 1 DVD, et un livre de 146 p.

l'un des chapitres les plus étonnants est la présentation de ses propres livres objets, «menhirs littéraires», «tabernacles» poétiques.

Merci Rotko, je note L'emploi du temps dans ma pile de livres à lire. Moi qui avait beaucoup aimé La modification...

rotko a écrit:

Il faudrait que je le relise, ...

Je me souviens d'avoir bien aimé ce roman "nouvelle vague". Butor faisait partie de la nouvelle génération de ces auteurs qui remettaient beaucoup de choses en questions. Ils ont influencé le cinéma, et ont étés influencés par lui.
Mais aurions-nous autant de plaisir à le lire une nouvelle fois?
Je suis très souvent déçue par mes relectures, certainement parce que je ne retrouve pas les mêmes sentations, ni les mêmes rêves.

A lire aussi, ses Répertoires et Ecrits sur le roman: tout n'est pas à garder (notamment parmi les plus récents...), mais pas mal d'idées très intéressantes, histoire de sortir des éternelles thèses de Robbe-Grillet lorsque l'on doit parler de l'évolution du roman dans les années 60/70...

(bref des bouquins pour khâgneux et hypokhâgneux! )

Relire l'emploi du temps me tente assez, et je crois que je ne serais pas déçu car le livre est, à mon avis, plus riche et plus fouillé que des romans de Robbe-Grillet.

je ne crois pas que Butor ait démérité par la suite. Au contraire. Il agite des idées neuves et les textes que j'ai pu entendre à la radio ou lire, notamment sur la photographie, sont captivants.

je le réserve à l'horizon de mon temps libre, conscient que c'est un très gros morceau.

Repertoire 1, 2, 3, 4

Ce sont des séries de petits articles, ou de contributions sur des lectures. Dans répertoire 1 par exemple , avant 1960, Butor parle de la princesse de clèves, de Balzac, de Racine, et de Proust.

Pour ce dernier il s'agit des impressions et des reminiscences, ce qui suppose qu'on connaisse bien les passages auxquels Butor renvoie : les clochers de Martinville, les aubépines, la madeleine etc.

Dommage qu'on y trouve des fautes d'orthographe : Simonnet, avec 2 n, alors que Gilberte insiste toujours : Simonet avec un seul N !

Dans répertoire 2 les oeuvres d'art imaginaires chez Proust.


On avait reçu la visite,sur GDS*, d'un étudiant qui s'intéressait à l'emploi du pronom personnel dans un roman, je ne sais plus lequel. Il devrait lire répertoire 2.

Dans répertoire II, Butor s’intéresse aux problèmes du roman et à quelques écrivains spécifiques comme Rabelais, au Laclos des liaisons dangereuses, et aux « œuvres d’art imaginaires de Proust »

J’ai déjà évoqué l’aspect musical avec les œuvres de Vinteuil attribuées successivement à Saint-Saens et à César Franck, entre autres, mais l ‘intérêt des analyses de Butor est de relever l’architecture de la Recherche !

Il montre l’évolution des œuvres, dressant entre elles des passerelles, ainsi qu’entre Vinteuil et le peintre Elstir, mais aussi entre les amours du Narrateur, et le travail de Proust bâtissant la Recherche comme une cathédrale.(ou une robe).

Ces articles permettent de tenter une vue générale de l’œuvre, alors que bien souvent, nous connaissons surtout ou seulement quelques titres.

Un petit rappel, le port de Carquehuit, peint par Elstir, dans A l'ombre des jeunes filles en fleur de Proust.

Citation :

C'est par exemple à une métaphore de ce genre —dans un tableau, représentant le port de Carquethuit, tableau qu'il avait terminé depuis peu de jours et que je regardai longuement —qu'Elstir avait préparé l'esprit du spectateur en n'employant pour la petite ville que des termes marins, et que des termes urbains pour la mer.

Soit que les maisons cachassent une partie du port, un bassin de calfatage ou peut−être la mer même s'enfonçant en golfe dans les terres ainsi que cela arrivait constamment dans ce pays de Balbec, de l'autre côté de la pointe avancée où était construite la ville, les toits étaient dépassés (comme ils l'eussent été par des cheminées ou par des clochers) par des mâts lesquels avaient l'air de faire des vaisseaux auxquels ils appartenaient, quelque chose de citadin, de construit sur terre,

impression qu'augmentaient d'autres bateaux, demeurés le long de la jetée, mais en rangs si pressés que les hommes y causaient d'un bâtiment à l'autre sans qu'on pût distinguer leur séparation et l'interstice de l'eau,

et ainsi cette flotille de pêche avait moins l'air d'appartenir à la mer que, par exemple, les églises de Criquebec qui, au loin, entourées d'eau de tous côtés parce qu'on les voyait sans la ville, dans un poudroiement de soleil et de vagues, semblaient sortir des eaux, soufflées en albâtre ou en écume et, enfermées dans la ceinture d'un arc−en−ciel versicolore, former un tableau irréel et mystique.

Je suis en pleine lecture de l'emploi du temps, et il me plaît bien. La structure est très complexe mais j'aime beaucoup la façon dont Butor nous plonge dans les rues de cette ville totalement inventée, Bleston, qui symbolise l'ennui et la grisaille.
Le narrateur, Jacques Revel, se procure un roman policier, le meurtre de Bleston, écrit par un certain JC Hamilton, livre qui va l'aider à résoudre (d'après ce qui est dit, je n'en suis pas encore là ) une série d'éléments curieux, dont un, la tentative d'assassinat de l'auteur du roman policier, qui en + écrit sous un pseudonyme.
Je ne sais pas si on peut parler ici de mise en abyme, mais le procédé mis en place est vraiment étonnant...
Je ne connais pas parfaitement le nouveau roman mais je crois que Butor est l'un des auteurs de ce mouvement le plus facile à lire (ou le moins difficile, je ne sais pas^^)...rien à voir avec C.Simon !

Bleston doit beaucoup à manchester où Butor a vécu un an. Qu'il brode sur le canevas de cette ville maudite, bien sûr.

Un très beau moment de lecture, avec ces rencontres et l'evocation d'autres villes.

Dans l'emploi du temps, la ville est labyrinthique, oppressante, et sale...Passage assez représentatif de la ville-personnage...

Citation :

Alors j'ai décidé d'écrire pour m'y retrouver, me guérir, pour éclaircir ce qui m'était arrivé dans cette ville haïe, pour résister à son envoûtement,pour me réveiller de cette somnolence qu'elle m'instillait avec toute sa pluie, avec toutes ses briques, avec tous ses enfants sales, tous ses quartiers déserts, avec sa Slee,, avec ses gares, avec ses baraques et ses jardins, pour ne pas devenir semblable à tous ces sommeilleux que je frôlais, pour que la crasse de Bleston ne me teigne pas jusqu'au sang, jusqu'aux os, jusqu'aux cristallins de mes yeux [...]

p. 261

Michel Butor fut pendant deux ans lecteur de français à Manchester, et il dit dans ses entretiens avec george Charbonnier :

Citation :

"Une ville anglaise devait m'apprendre quelque chose de très important sur ce que sont les les villes industrielles en général et par conséquent sur la civilisation occidentale aujourd'hui"

Bleston-Manchester est une ville maudite qui empoisonne ses habitants.

Friedrich ENGELS, fut envoyé à Manchester pour diriger la manufacture de son père ; il y découvrit la condition ouvrière et rédigea " La situation de la classe laborieuse en Angleterre " ( 1845 ).

Pour mieux connaître Michel Butor,

un film mobile
de Pierre Coulibeuf, 1999, 60’
Les Hommes-livres, production Ina,
Musée du Louvre, Regards production.

Il parle de Mobile, un livre paru chez l'imaginaire de Gallimard, avec des textes très différents que la narration relie par des refrains.

Butor se situe dans la lignée des tenants du nouveau roman, mais un peu à "l'écart";

il s'intéresse aux recherches formelles, conscient que ce que nous appelons "réalité" est une fiction.

Il faut donc sortir des formes habituelles pour voir ce qu'on n'avait pas encore vu. Ce qui permet de vivre de manière plus authentique.

Dans Mobile Butor se promène dans une foule plus ou moins organisée : les personnages sont dans des fuseaux horaires différents, de la côte Est à la côte ouest, et à la tombée du jour, leurs rêves prennent alors le relais les uns des autres.

****

Roland Barthes, dans" Littérature et discontinu ", Essais critiques, Paris, Seuil étudie cette structure nouvelle de narration qui doit beaucoup à la musique.

Citation :

le livre de Butor est moderne : il ne fonctionne pas à partir de la variation d’un thème principal, mais par sa répétition / translation. Il s’agirait d’un art du bricolage : " c’est en essayant entre eux des fragments d’événements que le sens naît ".

Pour revenir à L'emploi du temps, j'ai eu beaucoup de mal à rentrer dedans (aussi à cause de ces phrases très très longues ; les points, ça existe ), j'étais passionnée au milieu, et j'ai trouvé vers la fin que le récit s'essoufflait. Mais même cette écriture fleuve qui m'a tant posé de problèmes au début, je la trouve maintenant, avec le recul (et aussi peut-être parce que j'ai lu pire depuis dans le genre phrases sans point cf. C. Simon ), intéressante car elle est la représentation, dans ses va-et-vient à travers le présent et le passé, de l'errance du narrateur et de son échec. Lui échoue à construire une histoire avec Rose, puis Ann, le roman échoue dans l'accomplissement du roman policier. C'est la mort de l'intrigue, la mort du héros, tels que le Nouveau Roman l'a souhaité (un peu déprimant quand même je reste malgré tout assez hermétique au Nouveau Roman ; à moins que quelqu'un n'ait une présentation plus alléchante à m'en faire)

Interessants, tes rapprochements entre Butor et Simon, des individualités qui ont été annexées au nouveau roman, mais qui s'en défendent.

Butor gagne à être connu, et on peut relire des passages de ses romans pour le seul plaisir, ce qui somme toute n'est pas si fréquent.

Je suis très impressionné par ses propos critiques, je les trouve très éclairants. Quelques uns sont sur ce fil.