Nagai Kafû [Japon]

Nagaî Kafû chronique d'une saison des pluies, chez picquier

Dans les bars de Tokyo

On suit Kimié la barmaid dans son service et dans ses extras. Aucun jugement moral sur cette jeune femme aux mœurs libres mais qui craint les ragots :

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Citation :

les bars, vous savez, c’est terrible pour les ragots ! Il faut toujours qu’on se mêle de ce que font les autres !

Ce disant Kimié défit et rejeta son pagne et, cambrée en arrière se renversa complètement sur les genoux de Yata.

- Enlevez-moi tout, même mes socquettes.

Dans ce genre de situation, quand elle se trouvait pour la première fois en tête à tête avec un homme, et plus qu’avec un amant maintes fois rencontré, son plaisir était multiplié par deux et elle ne sentait pas satisfaite tant qu’elle n’essayait pas d’envoûter son partenaire autant qu’elle le voulait.

A quel moment ce penchant singulier lui était -il venu ? De cela elle prenait de temps à autre conscience au beau milieu des câlineries et voulût-elle y mettre fin en cours de route qu’elle ne pouvait y parvenir ; plus encore qu’avec un beau gars, quand elle avait pour partenaire un vieux bonhomme repoussant ou quelque un dont elle n’avait pas voulu d’abord, l’instant critique arrivé, Kimié retombait dans son tic habituel, mais amplifié jusqu’au déchaînement, quitte après coup à frémir intérieurement de tant de dépravation ;

chronique d'une saison des pluies

Par l'intermédiaire de Kimié, on fait la connaissance de personnages masculins et féminins, plus ou moins déchus, et de son protecteur l’écrivain Kyooka, qui gâche son talent et connaît, sans vouloir l’avouer, les tourments de la jalousie.

Kafu est un excellent peintre des mœurs, et ses analyses psychologiques sont fouillées : on aime autant Kimié qui se lance dans les scénarios de la tromperie, que son amant qui, tel Swann avec Odette, s’abaisse à l’épier et rêve de la punir.

D’autres personnages, tous dignes d’intérêt, comme la compagne officielle de l’écrivain, nous introduisent dans différents milieux.

La lecture est aisée et de courtes vignettes du décor servent à l’évocation de la ville aux différents moments de la journée.

Citation :

A chaque pas, il semble que le ciel nocturne devienne de plus en plus vaste. Le regard embrasse, depuis Ichigaya jusqu’à Ushigomé, le panorama du canal où les berges comme les frondaisons, uniformément sont, voilées d’une sorte de brouillard.

La brise du soir arrive chargée de l’odeur d’herbe des fleurs de pasanie et des plantes sauvages. Tout à coup, du ciel d ea berge opposée que de spins dominent de toute leur hauteur, un cri d’oiseau jaillit - le héron de nuit peut-être…

chronique d'une saison des pluies


En même temps l’auteur, par le biais de ses personnages, prend de la hauteur et éprouve des sentiments mêlés devant le monde qui évolue

Citation :

Le tableau offert par les cités copiant la civilisation occidentale atteignait ici le comble de l’émerveillement, mais non sans susciter une sorte de vague tristesse -une tristesse qui sans doute émanait de l’aspect des rues, mais bien davantage, et bien plus aigue du sentiment des conditions d’existence des serveuses de bar travaillant là.

J’ai donc apprécié le regard perspicace de l’écrivain, la finesse de ses analyses, et son traitement bienveillant des personnages, quelle que soit leur position sociale, soumise d’ailleurs à beaucoup d’aléas.

La Sumida de Nagai Kafū

Ce livre se rapproche de Kyôtô de Kawabata, époque différente, même nostalgie et tristesse de voir des lieux et les repères disparaitre, je ne sais trop que penser de ce sentiment qui m'apparait comme récurrent à certains moments dans la vie et ce peu importe le pays.

Est-ce un stade presque obligé de la vie, étant donné qu'il doit être très rare que les lieux, habitudes etc, connus plus jeunes restent en l'état tout au long d'une vie.
Je n'ai pas eu le sentiment que c'est sa propre jeunesse que l'auteur regrettait mais ... plutôt une désillusion devant l'évolution d'une société dont les buts priment sur le reste. Rétrograde... le mot me taraudait, et pourtant...

La Sumida, c'est l'histoire du jeune Chôkichi, adolescent, fou amoureux de son amie d'enfance, des rêves et des désillusions, des chemins dessinés par les parents, liberté et désirs entravés toujours par des considérations extérieures, la société, les autres ...
C'est le mot destin qui me siffle aux oreilles comme à la lecture du roman de Lao She, Le pousse-pousse.

La Sumida de Nagai Kafū


Présentation de l'éditeur

Dans la forte et subtile étude dont il fait suivre son excellente traduction du roman de Nagaï Kafû, Pierre Faure définit ainsi le sens de La Sumida : déploration d'un «Meiji qui n'a pas tenu les promesses de ses débuts et qui, en voulant greffer un corps étranger sur un tronc qu'il a déraciné, a engendré une crise profonde qui est le drame du Japon moderne; c'est ce déchirement de l'être japonais moderne que l'on peut deviner ainsi entre les lignes de La Sumida et qui confère à ses accents une résonance si désolée». D'où l'organisation de cette histoire délicate, ténue, mais très savamment bâtie, à la japonaise. [...]

C'est aussi le roman de l'adolescence, de l'éveil, dans une société en crise grave, dévorée déjà par la technique, le rendement, et qui relègue au second plan la poésie, la galanterie, le théâtre de kabuki, où le héros verrait les seuls recours contre ce monde âpre et hideux. Nous lisons ici la complainte romanesque d'une civilisation moribonde, celle d'Edo que Tôkyô va supplanter sur place.