Hitomi Kanehara, serpents et piercings [Japon]

Hitomi Kanehara, Serpents et piercings chez Grasset.



Amours vénéneuses

Elle, c’est une « poupée barbie », et lui, un affreux punk, piercé et tatoué. Comme lui, elle veut avoir la langue fourchue, ie une langue fendue en deux.(1)

Cet intérêt pour sa langue va droit au cœur d’Ama (il prétend s’appeler Ama Deus !), et fou d’amour, il la conduit chez son ami tatoueur.
Entre temps, profitant d’une bagarre, il lui donne une émouvante preuve d’amour.

Citation :

Ama s’est accroupi à côté de moi, il a tendu son poing ensanglanté et l’a ouvert sous mes yeux pour me montrer deux objets rouges, longs d’un centimètre, posés au creux de sa paume. J’ai aussitôt reconnu leur forme et compris qu’il s’agissait des dents du type.
[…]
« Prends-les. Elles sont le symbole de mon amour pour toi. »

(1) voir notre article en magasin

à la sortie de ce livre j'ai été attirée par la couverture et le titre (et le fait que ce soit un auteur asiatique également)
Mais comme il faut faire des choix, je n'avais pas fait celui-là. et là juste en une phrase, Tu fais renaître en moi le désir Rotko (mais tu sais que ma PAL est de + en+ longue depuis que je suis sur GDS* !!! c'est plus possible !)

Rappel : ce livre, écrit par une « jeune fille rebelle » de 22 ans a eu le prix Atukagawa, vendu à plus de deux millions au Japon.

Le tatoueur est à la fois précis dans son travail et doté par la nature (ah oui, la nature ?) d’une personnalité inquiétante, et d’une sexualité perverse, si on peut dire. On a donc quelques échantillons de ses pratiques, car sans exemples une information ne vaut rien, comme disent les instit dès le CE2.

Le livre peut donc choquer, mais comme le produit est bien fini, le livre bien construit, on ne quitte pas la lecture. Au passage quelques maximes générales :

Citation :

Le désir de possession semble être l’élément commun à tous les rapports humains. Peut-être que ce désir fait appel au sadisme et au masochisme qui existent en chacun de nous.

Notre Barbie améliorée, ie percée et tatouée, tient à peu de chose dans la vie:
 

Citation :

J’avais mon clou de langue, je mourais d’envie de voir mon tatouage terminé et ma langue enfin fourchue.

Ce qui ne l'empêche pas de s’interroger :

 

Citation :

Je me suis demandé si mon tatouage, ma langue fourchue, mon avenir n’étaient pas vide de sens.

NO FUTURE !

Il est étonnant de voir que le tatouage qui fait l'objet d'un véritable engouement en occident reste tabou (tatou tabou) au Japon.
A l'origine, il est le privilège exclusif des parias et des yakuza, puisque les personnes qui sacrifieraient à cette mode seraient par exemple interdites d'accès dans les piscines

Citation :

aujourd'hui, de nombreux endroits sont interdits aux personnes tatouées, citons par exemple les Onsen (établissements de bain), les piscines publiques ou les parcs d'attraction

Très intéressant ! Sais-tu pourquoi ces interdictions ? Est-ce une mesure d'hygiène, une mesure visant à éviter les mauvaises fréquentations dans des lieux publics ?...

Il est vrai qu'à l'origine, ces corps entièrement tatoués étaient la marques des yakusas. Mais depuis, la jeunesse nippone semble se complaire dans cette transformation corporelle visant petit à petit à changer d'identité, visant à marquer une rebellion envers leur société conformiste.

Pour revenir au roman Serpents et Piecings, il nous propose d'assister à la déchéance de plus en plus profonde de la jeunesse nipponne. Pour le moment, je ne connais que ce roman de Hitomi Kanehara, mais à la vue de celui-ci, je comparerais l'auteur à un Ryu Murukami qui semble profondément attristé de voir cette jeunesse s'enfoncer dans un tel abîme. Cependant, du fait de son âge "rebel", Hitomi comprend peut-être mieux le phénomène et arrive mieux à l'expliquer et à l'excuser, voir à s'identifier à ces jeunes...

Citation :

Je désirais mener une vie imprudente, laisser derrière moi un beau cadavre dans ce monde terne et sombre.

je ne connais pas l'origine du tatouage au japon, ni le pourquoi de son interdiction. Mais une société rigoriste entraîne de la part de sa jeunesse un désir de liberté qui passe par la transgression. D'où la faveur du tatouage comme signe d'indépendance revndiquée.

sur le fil de l'éroitisme japonais on peut voir certaines valeurs traditionnelles transgressées.

Chez Sei shonagon une femme est humiliée parce qu'on luii vole son eventail qui servait à dérober son visage et sa bouche aux regards. Souvent les japonaises, dit-on se cachent la bouche quand elles rient. La provocation sera donc de montrer la bouche ouverte, signe d'une obscénité bien comprehensible.

On verra aussi que l'uniforme bien sage des lycéennes alimente les fantasmes et qu'un détail vestimentaire incongru comme des chaussettes tire-bouchonnées séduit les obsédés et les autres !

D'accord avec ce que tu dis sur serpents et piercings, sa valeur provocatrice qui a fait de ce livre un gros succès de librairie.

Idem pour Ryu Murakami dont Bleu presque transparent (prix Akutagawa en 1976), a été vendu à un million d'exemplaires en six mois.

Les valeurs des parents sont sans cesse bafouées par leurs enfants, et l'occident joue certainement un rôle dans cette affaire.

j'ai trouvé des réponses

Citation :

Les Chinois considéraient que le tatouage était un signe de barbarie et l'utilisaient en tant que punition ; de ce fait, dès le 7e siècle, les dirigeants japonais, qui adoptaient beaucoup de la culture chinoise, désavouèrent le tatouage officiellement.

Le premier tatouage de punition retrouvé au Japon en tant que tel date de 720 après J.-C. ; l'empereur avait condamné le chef d'une rébellion à voir sa peine de mort commuée en tatouage.

La connotation de banni, de hors la loi est restée, unpeu comme pour milady dans les trois mousquetaires et la cineaste Naomi kawase en parle à propos de son père : il était tatoué, donc c'était un yakuza.

Elle-même veut se faire tatouer, mais le tatoueur lui-même, après son entourage, essaie de l'en dissuader. Elle opte pour un petit tatouage, mais finalement la stigmatisation étant la même, elle se fait couvrir entièrement le dos. Elle le montre dans le court métragedans le silence du monde .