Jamal Mahjoub [Soudan]

Je vous propose cet auteur passionnant à plus d'un titre.
D'abord, c'est un mélange intéressant. Issu d'un père soudanais et d'une mère anglaise, il est né à Londres (en 1960) mais a été élevé au Soudan. Il écrit en anglais et vit depuis plusieurs années à Barcelone - sa vie est donc à elle seule un roman.

Je l'ai découvert avec Le télescope de Rachid, disponible en poche Babel, (remarquablement) traduit de l'anglais (Soudan) par Madeleine et Jean Sévry.
Extrait quatrième de couv.

Citation :

Alger, 1609. Soupçonné d'avoir tué un marchand juif, Rachid al-Kenzy est emprisonné. Connu pour un savoir immense autant qu'inquiétant, il se voit proposer un marché pour sauver sa vie: il est chargé par le dey de rapporter d'Europe la dernière invention optique allemande qui pourrait révolutionner l'art de la guerre, le télescope.

Mon avis :
Jugement global
Ce livre donne toute la mesure du talent de conteur de Jamal Mahjoub en même temps qu'il brasse des thèmes de civilisation, l'art de la guerre, l'astronomie, etc.

Circonstances de la naissance du héros Rachid.
Son père est un riche oisif qui s'ennuie à mourir, jusqu'au jour où il jette son dévolu sur une domestique nubienne qu'il a reçue en cadeau d'un marchand d'esclaves et à laquelle il n'avait guère prêté attention jusque là.

Spoiler:

La domestique en question n'est pas ce fantôme sans âme auquel il croyait avoir affaire :

Spoiler:

Il passe ensuite cinq semaines à "lutter, jurer, haleter et gémir, à faire pénétrer toute sa colère rentrée et sa frustration dans cette fille patiente et soumise" et incidemment, à l'engrosser. Par bonheur, l'épouse inquiète parvient à "récupérer" son mari l'espace d'un après-midi, de sorte que les enfants conçus auprès de l'épouse et de la servante vont être mis au monde simultanément.
Mahjoub ne manque pas d'humour lorsqu'il met en parrallèle les deux accouchements :

Spoiler:

Roman d'aventures, quête historique et scientifique
Mais ce n'est pas seulement la naissance de Rachid qui est magique, ce sont les mille et une péripéties de son voyage à travers le monde, notamment en Allemagne et au Danemark, à la recherche du mythique télescope...
Un des personnages, Heinesen, est littéralement habité par l'obsession de bâtir un nouvel observatoire. Avec Andersson, l'un des géomètres qui ne comprend pas cette obstination, il a le dialogue suivant :

Spoiler:

Et Heinesen de conclure :

Citation :

"Andersson, en termes d'histoire, nous vivons une époque formidable. Dans les cent années qui viennent, nous en apprendrons davantage sur nous-mêmes et sur l'univers dans lequel nous vivons que ne l'ont fait tous les siècles qui nous ont précédés depuis l'aube des temps!"

Je ne saurais trop vous engager à lire cet auteur...

Merci à Bennette et à toi d'avoir attiré mon attention sur cet auteur et sur ce livre en particulier.
Il me tente beaucoup. Je l'ajoute de ce pas à ma liste priorités.

J'ai lu ce livre il y a quelque temps déjà, mais j'en garde un excellent souvenir.

si le train des sables vous tentait, je suivrais...

Sévry , Madeleine et Sévry , Jean -- traducteurs.

, Actes Sud -- 2001 338 p.

Citation :

L'histoire de Mahdi, sorte de visionnaire millénariste, qui a tenté d'organiser la résistance du peuple arabe au XIXe siècle, entre le Soudan et l'Egypte, face à l'avancée de la colonisation. Un roman d'aventures qui est aussi une chronique historique.

je vois avec plaisir qu'on ne s'arrête pas à l'hexagone.

le train des sables , Actes Sud

Sévry , Madeleine et Sévry , Jean -- traducteurs.

Comme le dit l'éditeur, c'est un roman d'aventures, une chronique historique, une épopée guerrière et un tableau de moeurs

A la conquête d’une vaste région qui s’étend du Soudan à l’Égypte, les Européens dans une coalition hétéroclite qui regroupe des Turcs, des Anglais, des bachi-bouzouks etc se heurtent à la résistance de populations indigènes soudées par Mahdi, un sage musulman qui suscite les plus grands dévouements.

L’incompréhension entre les deux mondes est totale, et Jamal Mahjoub le montre en alternant les épisodes chez les adversaires : vision de deux camps bien différents

Chez les Européens :

Citation :

« la crainte rongeait le cœur des hommes. Ce pays commençait à les écraser. Personne ne quittait ce périmètre, sauf en cas d’absolue nécessité, car l’ennemi excellait à se dissimuler dans des buissons d’épineux, dans des crevasses ou dans des replis du terrain, si bien que vous pouviez avoir cent hommes allongés sous votre nez sur une plaine rocheuse, la plus plate et la plus banale que l’on puisse imaginer, sans que vous puissiez les voir. On avait atteint un tel état d nervosité que l’on prétendait que la nuit, l’ennemi réussissait en fait à se glisser entre les sentinelles pour circuler librement entre les hommes pendant qu’ils dormaient. Des objets disparaissaient mystérieusement : des affaires personnelles, un savon, un rasoir, un miroir auquel on tenait particulièrement, un livre, un journal, une paire de bottes… »

Chez les indigènes :

Citation :

« Ces hommes n’étaient pas des soldats bien entraînés, mais des ansars, des disciples. Il s n’avaient aucune notion de la discipline. Ils avaient tendance à s’avancer comme un troupeau de chèvres, et ils voulaient à tout prix entourer [Nejumi] de leurs bras, déposer un baiser sur ses deux joues. Les femmes lui mettaient leurs enfants dans les bras afin qu’ils soient bénis. Nejumi était beaucoup trop poli pour le leur refuser , si bien qu’ils restait planté là, ne sachant que faire, l’air égaré, pouvant passer aux yeux de tous pour un simple d’esprit auquel une mule aurait donné un coup de sabot sur la tête »

j'ai terminé les trois premières parties de cette bonne lecture.

Tu l'as commencé, je crois ?
Sinon, on peut le prévoir pour une lecture commune.

j'en suis à la quatrieme partie, "le califat" :

il me reste environ 100 pages(sur 340 environ). C'est un livre à mon avis qui ne prête pas à une lecture commune, mais qui pourrait être l'objet d'une lecture accompagnée, à condition d'avoir un bon commentateur pour eclairer l'histoire et le contexte.

j'en dirai plus bientôt

Partante, mais on arrive déjà en aout.........................................

et pourquoi pas Le Télescope de Rachid (qui a un côté moins historique et plus magique)?


Bon, je dis ça, mais j'ai déjà lu les deux...

Je suis partant pour le télescope de Rachid en lecture commune ou accompagnée. Pour juillet aux côtés de Charles Darwin...

Beau programme !
Je risque de participer encore le mois prochain !

Malgré le titre, le train des sables, le chemin de fer n'occupe pratiquement pas de place dans le roman, et on le mentionne seulement dans les 20 dernières pages.

Dans cette fresque, les armées se délitent de l'intérieur, et cette décomposition ou dégradation des ideaux du début est bien rendue.

Des personnages apparaissent et disparaissent, comme des navettes dans un metier à tisser, et le romancier donne ainsi des aventures individuelles qui ponctuent l'histoire collective.

Au départ le lecteur ne sait pas trop dans quel camp il se trouve, vu que les personnages sont nombreux, et les armées, mélangées.

Jamal Mahjoub sait quand même gèrer la confusion propre à ces épisodes historiques pour les faire vivre à son lecteur, grâce à la maitrise de l'art romanesque.

Pour bien lire le train des sables, il faut procéder par grandes gorgées, et il serait même utile de noter quelques caractéristiques des principaux personnages, comme Nejumi ou Hawi qu’on retrouve à la toute fin du récit, après l’avoir un peu perdu de vue.

Certaines remarques de Mahjoub nous renvoient à la constations que les personnages politiques survivent souvent, sans doute au prix de quelques acrobaties, aux régimes qu’ils servaient

Citation :

« Mis à part les juges, il était surprenant de voir combien de postes de civils étaient tenus par ceux-là mêmes qui les avaient occupés pendant l’occupation turque. »

Une des protagonistes intéressantes s’appelle Noon, et on la voit réapparaître dans plusieurs épisodes du roman. Dans ce passage, elle est recueillie par le père Venturi,

Citation :

« un homme doux dont les yeux qui avaient tendance à tomber de chaque côté de son visage étaient retenus par un sourire triste »

[…] 

Citation :

« Il lui parla du Christ et montra un beau livre en cuir relié, avec des illustrations peintes à la main et qui vieilles de deux cents ans (il leva deux doigts pour bien indiquer son ancienneté). Les gravures représentaient des scènes religieuses : l’enfant né sous une étoile étincelante ( comme le Mahdi et sa comète, se dit-elle), les trois sages (comme les trois califes), et l’homme sur sa croix. Elle s’intéressait peu à la religion, mais elle comprit que c’était très important pour le prêtre et elle aimait ces images représentant de gros bébés tout blancs, avec leurs ailes, en train de souffler dans des trompettes ».

La motivation religieuse de résistance contre les Européens joue un grand rôle dans cette histoire, avant de connaître un sérieuse dégradation.

le telescope de Rachid chez Actes sud est indisponible actuellement.

Chez le même éditeur, on trouve

latitudes à la dérive

Là d'où je viens

Navigation d'un faiseur de pluie

Nubian indigo

Le Télescope de Rachid.

Je viens de terminer ce livre qui m'a un peu déçu.
Qu'attendais-je au juste ? Je n'en sais rien. Un roman d'aventure, un roman historique... Je ne saurais le dire au juste. Mais pas ça. Pas comme ça.
L'histoire peu probable d'un érudit arabe s'égarant dans les eaux danoises au cours d'un voyage vers le Nord ne m'a pas convaincu. Si l'auteur cherchait le choc culturel, il y a néanmoins réussi. Les descendants des Vikings ne font pas bon accueil à cet homme-singe à la peau si sombre. On passe évidemment par toutes les étapes de la méconnaissance de l'autre et de l'intolérance. Par le fanatisme religieux de certains ecclésiastiques d'alors...
Mais Rachid reste zen. Il accepte son destin et se laisse guider par Allah. Il me semble un peu pâlot, pas très combatif...

Il ne restera pas dans les annales...

Merci pour cet avis Harelde.
Ce sont des choses qui arrivent (moi, bizarrement, je l'avais vraiment adoré )

Seb a écrit:

Merci pour cet avis Harelde.
Ce sont des choses qui arrivent (moi, bizarrement, je l'avais vraiment adoré )

Pas assez historique à mon goût.

C'est le vaste sujet des rapports entre histoire et fiction : on en parle ou on peut s'y interesser avec Robert Merle, la mort est mon métier, jonathan littell, Gil Courtemanche (un dimanche à la piscine de Kigali), Mauvignier (Des hommes) Laurent Binet (HHhH) etc.
Mais on peut remonter plus haut, -je laisse les latinistes évoquer César et Cie, notamment avec les pièces historiques de William Shakespeare...