Madame de la Fayette

Je trouve que dans la scène de déclaration ou plutôt d'aveu de la princesse de Clèves à son mari, le duc de Nemours - qui assiste en tiers et caché à la scène, ne fait pas preuve de la delicatesse de sentiments qu'on aurait pu attendre d'un gentilhomme aux si belles manières :

Citation :

Cependant monsieur de Nemours était sorti du lieu où il avait entendu une conversation qui le touchait si sensiblement, et s'était enfoncé dans la forêt. Ce qu'avait dit madame de Clèves de son portrait lui avait redonné la vie, en lui faisant connaître que c'était lui qu'elle ne haïssait pas. Il s'abandonna d'abord à cette joie ; mais elle ne fut pas longue, quand il fit réflexion que la même chose qui lui venait d'apprendre qu'il avait touché le coeur de madame de Clèves le devait persuader aussi qu'il n'en recevrait jamais nulle marque, et qu'il était impossible d'engager une personne qui avait recours à un remède si extraordinaire. Il sentit pourtant un plaisir sensible de l'avoir réduite à cette extrémité. Il trouva de la gloire à s'être fait aimer d'une femme si différente de toutes celles de son sexe ; enfin, il se trouva cent fois heureux et malheureux tout ensemble.

Il a tout d'un chasseur qui jouit de sa proie, non ?

Il montre par la suite un manque de discrétion qui n'est pas à son honneur, même si l'auteure feint d'y voir "une imprudence assez ordinaire". Chez un gentilhomme accompli, c'est un peu étonnant, pour utiliser les litotes de l'époque

Citation :

Ce prince était si rempli de sa passion, et si surpris de ce qu'il avait entendu, qu'il tomba dans une imprudence assez ordinaire, qui est de parler en termes généraux de ses sentiments particuliers, et de conter ses propres aventures sous des noms empruntés. En revenant il tourna la conversation sur l'amour, il exagéra le plaisir d'être amoureux d'une personne digne d'être aimée. Il parla des effets bizarres de cette passion et enfin ne pouvant renfermer en lui-même l'étonnement que lui donnait l'action de madame de Clèves, il la conta au vidame, sans lui nommer la personne, et sans lui dire qu'il y eût aucune part ; mais il la conta avec tant de chaleur et avec tant d'admiration que le vidame soupçonna aisément que cette histoire regardait ce prince.

Foutu bavard !

Comme le précise Antoine Adam, l'action de la princesse de Clèves se déroule sous Henri II, au milieu d'intrigues de cour, d'oppositions de personnes, de cabales et d'intérêt. Autant dire que silence et discrétion y sont des valeurs fondamentales.

le texte complet est disponible ICI.

. . Je l'ai mais pas encore lu ; je lirai tes posts plus tard Rotko ; je les mets sous mon coude.

. . J'en suis à la moitié. Je suis ravi par la Princesse de Clèves. On dirait une petite horloge précise dont les rouages s'imbriquent parfaitement et dont le mouvement coule comme calme rivière. Le tic-tac est léger, berceur, l'auteure sait se faire discrète, comme Kawabata. C'est tout à fait charmant ; il y a du suspens mais tout est néanmoins feutré.

. . Voilà, je l'ai achevé. Ce M. de Nemours y est mentionné comme ayant eu des galanteries avec de nombreuses femmes, c'est quand même un semi-Valmont ! J'ai beaucoup aimé cette oeuvre, je la trouve très fine, et elle vient prouver que les femmes sont bien plus expertes dans l'amour que les hommes.

Puisque tu sembles aimer les écrits de Madame de La Fayette, troglodyte, n'hésite pas à te procurer la princesse de Montpensier, une très brève nouvelle (si brève qu'une deuxième est proposée dans le même recueil) de cette bonne vieille la Fayette; je ne l'ai pas encore lue mais je crois que ça promet...

J’ai honte de moi, mais une autre de mes découvertes, comme j’ai aimé lire « La princesse de Clèves » quelle délicatesse, quel jeu de personnages, de mensonges, un livre plein de nuances sur l’amour, le désir et les mœurs de l’époque. On connaît la cour et toutes ses trahisons, ses usages, un très beau roman.

J'arrive un peu tard mais je viens seulement de "lire" La princesse de Clèves. Je mets lire entre guillemets car en fait, je l'ai écouté dans ma voiture (je fais souvent ça avec deux sites qui permettent d'écouter des romans, entre autres, qui sont libres de droit).

J'ai beaucoup aimé même s'il y a incontestablement un côté un peu superficiel et moraliste ; était-il possible de ne pas avoir une dimension moraliste à cette époque ?

Les plus : des personnages parfois ambigüs, comme le Duc de Nemours qui est, comme le souligne justement Rotko un personnage pour le moins inconséquent et au pire un peu goujat. Car il n'y a pas que dans cette scène qu'il se permet d'être indiscret. Il revient plus tard et se cache dans ce fameux pavillon, il occupe encore plus tard une chambre pour mieux observer la princesse... De la même manière, la Dauphine (je crois que c'est elle) est odieuse lorsqu'elle cherche à faire dire à Nemours le nom de la personne qui a parlé de cette façon.
Donc des personnages moins simples qu'il n'y paraît, ce qui est assez agréable. De surcroît, et c'est le coeur du roman, pas d'angélisme sur le mariage puisque la Princesse épouse le Prince par raison et par du tout par sentiment.

Les moins : La dimension morale (la fin notamment que je ne dévoile pas pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lu) mais je n'y reviens pas. Les descriptions faites par le narrateur : il n'y a que des gens beaux, délicats, pleins de qualités, ce qui différencie radicalement ce roman des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos où certains personnages sont laids, désagréables, d'une grande bassesse, voire mignons mais niais (la petite Cécile de Volanges ou la Présidente par exemple) et je ne parle pas des personnages principaux. Ici, rien de tout ça : la cour n'est remplie que de belles personnes qui l'honorent de leur présence. Enfin on peut s'interroger sur le coup de foudre entre la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours : il est beau, elle est belle, ils s'aiment... et finalement il faut attendre très longtemps (la complicité autour de la lettre du Vidame de Chartres pour qu'ils se parlent autrement que pour se saluer d'où un coup de foudre qui manque singulièrement de carburant pour perdurer et se renforcer.

Ceci dit, il n'en reste pas moins une histoire qui tient la route, une langue superbe et un très bon moment passé avec ces personnages.

A ceux qui ne l'ont pas lu (j'ai cru comprendre que la récente promotion involontaire qui lui a été faite l'a remis à la mode), je ne peux que conseiller de le faire, d'autant plus que c'est un roman court et très facile à lire.

Saint-Fromond a écrit:

j'ai cru comprendre que la récente promotion involontaire qui lui a été faite l'a remis à la mode.

Il est même au programme pour les concours de l'ENS l'année prochaine !

Oui, car ce livre est devenu un symbole de la culture désinteressée et à laquelle chacun a le droit d'accéder.

je partage en gros l'avis de Saint-Fromond, mais nuance ce petit passage :

Citation :

certains personnages sont laids, désagréables, d'une grande bassesse, voire mignons mais niais (la petite Cécile de Volanges ou la Présidente par exemple) et je ne parle pas des personnages principaux

Les "mignons" ici sont des "gentils". Que Cecile soit naïve, assurément, la présidente de Tourvel est une "belle âme" mais ne démerite pas face aux manipulateurs sans scrupules dont elle est la victime.

Tu as raison, rotko, je me suis mal exprimé : ce sont de gentilles naïves qui font presque pitié. Je te l'accorde volontiers.

On y retrouve la belle langue de l'auteure, mais le sujet est assez indigeste. Je me suis perdu dans les personnages, et dans de rocambolesques histoires de lettres détournées, de rendez-vous secrets, de sacrifices amoureux et autres péripéties de la jet set du XVIIème. A réserver aux historiens maniaques du détail et munis de papier et de crayon pour décortiquer la trame.

L'emission Repliques sur france culture, avec podcast permet de mieux comprendre la société du XVIIe siecle, soucieuse de secrets et de discretion, alors qu'elle vit aussi de commérages et de vantardises.

La princesse de Clèves, premier roman en date et en mérite selon Stendhal, ouvre la voie au roman d'analyse et tout particulièrement du sentiment amoureux.

Il fouille les coeurs et donne la voix aux craintes des
adolescent(e)s, sans pour autant les inhiber.

Autrement dit, il a parfaitement sa place dans les études littéraires, autant par interêt psychologique que pour aimer et comprendre tout un pan de la littérature française.

je pourrais envoyer l'émission à qui ne réussirait pas à la "podcaster".

Marie kiss la joue a écrit:

Puisque tu sembles aimer les écrits de Madame de La Fayette, troglodyte, n'hésite pas à te procurer la princesse de Montpensier, une très brève nouvelle (si brève qu'une deuxième est proposée dans le même recueil) de cette bonne vieille la Fayette; je ne l'ai pas encore lue mais je crois que ça promet...

Bertrand Tavernier mettra en scène l'adaptation de la nouvelle La Princesse De Montpensier de Madame de La Fayette à partir du 4 mai prochain. Décor, le chateau de Blois.

Publié anonymement en 1662, La Princesse de Montpensier raconte la romance entre le duc de Guise et Mlle de Mézières, contrainte d'épouser le prince de Montpensier. Le rôle de ce dernier pourrait revenir à Fabrice Luchini...




photo de groupe avec dames (dont mélanie Thierry, la Princesse.)

Nous, princesses de Clèves (2010) Régis Sauder

Aujourd'hui à Marseille, des élèves du Lycée Diderot s'emparent de La Princesse de Clèves pour parler d'eux. A 17 ans, on aime intensément, on dissimule, on avoue. C'est l'âge des premiers choix et des premiers renoncements.

rappel :

Nicolas Sarkozy fit la fortune du roman de Mme de La Fayette
Le Monde rappelle que tous, y compris "la guichetière" (sic!) ont droit à la culture.

Un autre article du monde qui explique la démarche du réalisateur.

Si seulement cela pouvait leur donner l'envie de lire les textes classiques... mais bon, entre télé, téléphone,sms, jeux en ligne, internet, les ados d'aujourd'hui sont surtout "images". Il est vrai qu'une bonne image vaut parfois cent lignes quand les lignes sont médiocres.

la Princesse de Cleves est un roman classique qui parle du conflit entre l'amour et le devoir et enfin bien sûr, c'est le devoir qui va gagner.

En effet ce conflit est l'un des caracteristiques du classicisme. Les classiques s'interessent a ce qui se passe a l'interieur de l'ame humaine.

La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette
je pense en faire une lecture pour les vacances d'été

rotko a écrit:

Je trouve que dans la scène de déclaration ou plutôt d'aveu de la princesse de Clèves à son mari, le duc de Nemours - qui assiste en tiers et caché à la scène, ne fait pas preuve de la delicatesse de sentiments qu'on aurait pu attendre d'un gentilhomme aux si belles manières :

Citation :

Cependant monsieur de Nemours était sorti du lieu où il avait entendu une conversation qui le touchait si sensiblement, et s'était enfoncé dans la forêt. Ce qu'avait dit madame de Clèves de son portrait lui avait redonné la vie, en lui faisant connaître que c'était lui qu'elle ne haïssait pas. Il s'abandonna d'abord à cette joie ; mais elle ne fut pas longue, quand il fit réflexion que la même chose qui lui venait d'apprendre qu'il avait touché le coeur de madame de Clèves le devait persuader aussi qu'il n'en recevrait jamais nulle marque, et qu'il était impossible d'engager une personne qui avait recours à un remède si extraordinaire. Il sentit pourtant un plaisir sensible de l'avoir réduite à cette extrémité. Il trouva de la gloire à s'être fait aimer d'une femme si différente de toutes celles de son sexe ; enfin, il se trouva cent fois heureux et malheureux tout ensemble.

Il a tout d'un chasseur qui jouit de sa proie, non ?

Je reviens, un peu tardivement sur les propos de rotko concernant Nemours ; c'est vrai, en un sens, qu'il manque apparemment de délicatesse mais c'est aussi ce qui fait de ce jeune homme brillant, séducteur de cour à qui tout réussit, un être plus proche de nous, vulnérable dans ses faiblesses, bref humain ; d'autant que le paradoxe mis en valeur par la notation "cent fois heureux et malheureux tout ensemble" paraît très juste du point de vue psychologique.
Pour ma part, je ne vois pas du tout en lui "un chasseur qui jouit de sa proie" mais plutôt un homme qui a profondément changé (ses amis le remarqueront), il va rompre avec toutes ses maîtresses, renoncer à régner et n'aura plus en tête que revoir, même de loin, celle qu'il aime.

rotko a écrit:

Il montre par la suite un manque de discrétion qui n'est pas à son honneur, même si l'auteure feint d'y voir "une imprudence assez ordinaire". Chez un gentilhomme accompli, c'est un peu étonnant, pour utiliser les litotes de l'époque

Citation :

Ce prince était si rempli de sa passion, et si surpris de ce qu'il avait entendu, qu'il tomba dans une imprudence assez ordinaire, qui est de parler en termes généraux de ses sentiments particuliers, et de conter ses propres aventures sous des noms empruntés. En revenant il tourna la conversation sur l'amour, il exagéra le plaisir d'être amoureux d'une personne digne d'être aimée. Il parla des effets bizarres de cette passion et enfin ne pouvant renfermer en lui-même l'étonnement que lui donnait l'action de madame de Clèves, il la conta au vidame, sans lui nommer la personne, et sans lui dire qu'il y eût aucune part ; mais il la conta avec tant de chaleur et avec tant d'admiration que le vidame soupçonna aisément que cette histoire regardait ce prince.

Foutu bavard !

Comme le précise Antoine Adam, l'action de la princesse de Clèves se déroule sous Henri II, au milieu d'intrigues de cour, d'oppositions de personnes, de cabales et d'intérêt. Autant dire que silence et discrétion y sont des valeurs fondamentales.

Je ne crois pas que l'auteur feigne d'y voir "une imprudence ordinaire" ; là encore, c'est, à mes yeux, finement observé et habilement utilisé.
Enfin je trouve que ce passage permet justement de nuancer le personnage et de montrer que cet homme, transformé, grandi par la passion au point de paraître tout autre comme je le disais précédemment, est tout de même capable de retourner, au moins en partie, à ce qu'il a été, un être qui ressemble à tout un chacun, ancré dans son époque et ses "divertissements". D'ailleurs, Mme de Clèves elle-même, très perspicace, s'est interrogée à son sujet et a opté pour la prudence ; d'autre part, le temps passant, la passion hors du commun de Nemours s'éteint.
Je crois que ce sont, entre autres, de tels aspects qui font de ce court texte un chef-d'oeuvre qui annonce les grands romans du futur et suscitent encore de nos jours l'admiration des lecteurs.

Content que tu aies pour lui de l'indulgence. J'avais tendance à voir en lui un amour en contrepoint de celui de Madame de la Fayette

Entre nous, la discrétion sur les amours n'est-elle pas une belle - mais trop rare, qualité, surtout chez les hommes ?

rotko a écrit:

Content que tu aies pour lui de l'indulgence. J'avais tendance à voir en lui un amour en contrepoint de celui de Madame de la Fayette

Entre nous, la discrétion sur les amours n'est-elle pas une belle - mais trop rare, qualité, surtout chez les hommes ?

Tout à fait d'accord, mais rare, comme tu le dis... De l'indulgence pour Nemours ? Pas vraiment car je crois que l'homme ne m'aurait pas séduite ! Ce qui m'intéresse en revanche c'est le portrait, beaucoup plus nuancé qu'on ne le pense souvent, que Mme de La Fayette fait de son personnage.