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 Fabrizio Gatti

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Razorbill
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Nombre de messages : 4361
Date d'inscription : 07/10/2011

Fabrizio Gatti  Empty
MessageSujet: Fabrizio Gatti    Fabrizio Gatti  EmptyMer 22 Fév 2012, 12:49

Fabrizio Gatti  Fabriz10
Tiré du blog : http://alacroiseedeschemins.fr/ cette description de Fabrizio Gatti :
"Ce journaliste raconte son périple tout au long de la route des clandestins en partance d’Afrique noire vers l’Europe. Depuis Dakar, il rejoint Bamako en train. Puis il se rend jusqu’au Niger en bus et depuis Agadez, embarque dans un camion qui fait la traversée du Ténéré (désert) pour rejoindre une oasis au milieu du désert, Dirkou. De là, il se rendra en Tunisie (en avion certainement) et abandonnera au dernier moment de faire la traversée de la Méditérannée dans une embarcation de misère. Il rejoindra l’île de Lampedusa (Italie) pour se faire enfermer dans un centre de rétention et y dénoncer les conditions d’enfermement des êtres humains.
C’est un livre poignant. On ne voit plus les étrangers du même regard. Pour ceux qui rentrent illégalement en Europe, le voyage relève de l’exploit ou peut-être du suicide… en tous les cas, il reflète le désespoir de ces hommes à rester dans leur pays ou plutôt l’espérance de changer de vie et de croire en des jours meilleurs. Ces personnes sont décrits dans le livre comme de véritables héros qui endurent de multiples épreuves: cruauté des hommes, dureté du voyage, et nature hostile pour atteindre un unique objectif: avoir une vie décente.."

Extrait de "Bilal, Sur la route des clandestins", de Fabrizio Gatti

Fabrizio Gatti  51vokb10

Traduit de l'italien par Jean-Luc Defromont.


"Tout mot déplacé par rapport à la situation pourrait se solder par une arrestation ou une agression. Le regard du plus gros des deux est menaçant. Quant à l’autre, petit et maigre, il semble surpris de ne pas obtenir de réponse immédiate. C’est lui qui brise la glace. Il tire de la poche postérieure de son pantalon son passeport qu’il présente ouvert sur sa photo :
– Je m’appelle Djimba. Je suis à la recherche d’un Italien qui dit qu’il peut emmener des gens en Europe. Je veux savoir combien ça coûte.
Sous la photo d’identité de Djimba, peau très noire de malinké, le jour et le mois de naissance sont indiqués par « xx » et « xx ». L’année sur la page filigranée révèle son jeune âge : 1975. À vingt-huit ans, Djimba a décidé que son avenir ne serait pas au Mali. Son esprit est déjà en voyage. Son corps aussi désormais : il a parcouru les deux cents premiers kilomètres pour me rencontrer. Il vient de Deguela, près du delta intérieur du fleuve Niger.
– Alors, combien tu veux pour m’emmener en Europe avec toi ? demande Djimba.
Sa question lui vaut un rire détendu et une amicale poignée de main. Djimba se met à rire lui aussi, mais il s’arrête tout net dès qu’il se rend compte qu’il a gaspillé du temps et de l’argent pour faire le trajet depuis Deguela.
– Vraiment, tu peux pas m’amener avec toi ? insiste-t-il, un ami m’a dit qu’un Italien était arrivé à Bamako et qu’il cherchait des travailleurs qui voulaient partir. Moi je suis plombier, j’ai un diplôme de formation professionnelle. Le problème c’est que la France est pleine de plombiers africains. Peut-être que je peux trouver du travail en Italie ou en Allemagne, ou alors en Angleterre. Si vous avez besoin d’autres gens, j’ai aussi deux frères qui sont prêts à venir avec moi…
Va savoir comment la nouvelle de mes déambulations dans les rues de Bamako est parvenue jusqu’à Deguela en quelques jours. Peut-être que c’est le portier bavard de la pension où je dors qui a parlé. À moins que mes nombreuses questions dans les bars où se retrouvent les jeunes de la capitale n’aient eu un effet domino. Il est vrai que je cherchais des gens en partance pour l’Europe, mais seulement pour connaître leur histoire, leurs raisonnements, leurs espérances. Il s’agit d’un terrible malentendu. L’explication fait luire les yeux de Djimba. Il secoue la tête, peu convaincu par la réponse. Il croit que c’est une question de marchandage adroit.
– Écoute, dit-il en posant sa main droite sur la mienne, moi j’ai beaucoup d’expérience en tant que plombier ici à Bamako. Les gens étaient contents de moi, c’est pas pour ça que je m’en vais. Mais j’ai fait mes comptes. En tant que plombier à Bamako je gagnais 40 000 francs CFA, ça fait 61 euros par mois ; je payais 15 000 francs de loyer et 15 000 pour un sac de riz de 50 kg : avec mon salaire je ne pouvais pas me permettre de manger de la viande. Les 10 000 francs qui restaient, je les dépensais en transports. À la fin du mois j’étais obligé de vivre à crédit et au bout de quatre ans comme immigré à Bamako, j’ai dû rentrer à Deguela.
Bamako est synonyme d’optimisme et d’enrichissement dans tout le Sahel. Mais c’est un leurre. Dans la capitale, un quart seulement des jeunes entre quinze et vingt-cinq ans ont un travail rétribué. Un pourcentage qui n’a pas changé depuis les années 70. D’après les résultats d’un recensement local, soixante-treize pour cent de la population active subvient à ses besoins en recourant à des occupations informelles. Du troc de légumes cultivés sur les plates-bandes des carrefours à la vente sous les arbres de fausses marques de chaussures made in China. Au bout de quatre ans, Djimba s’est lui aussi rendu compte qu’il s’agissait d’un miroir aux alouettes. C’est pour ça, évidemment, qu’il a décidé de ne pas laisser passer l’occasion.
– Écoute, la télé satellitaire je l’ai vue moi aussi, et moi aussi je lis les journaux quand je peux. Tu crois que je sais pas qu’en Europe il y a toujours moins de plombiers, moins d’ouvriers, moins de manœuvres ? Je sais qu’en Europe je pourrais gagner 1 000 euros par mois. J’ai commencé à économiser pour l’investissement le plus important de ma vie. Quand t’as un objectif, ça devient même plus facile de supporter la faim et de sauter les repas pour mettre de l’argent de côté. Mais 400 000 francs, c’est trop. Ça fait plus de 600 euros, c’est ce que veulent les Touaregs de Gao, à la limite du Sahara, pour traverser le désert. Peut-être que tu peux me faire crédit. Tu m’emmènes en Europe et je te rembourse avec mon premier salaire.
– Djimba, maintenant c’est à toi de m’écouter. Je ne suis pas à la recherche de gens à emmener en Europe. Je cherche comme toi le moyen d’arriver en Europe en traversant le désert. Je ne suis pas un passeur. Je ne suis pas un trafiquant d’êtres humains.
Plutôt que de se résigner, Djimba se vendrait maintenant à un marchand d’esclaves. Et c’est exactement ce qu’il propose.
– Ça te suffit pas, un salaire ? On n’a qu’à faire un contrat écrit. Tu me fais arriver en Europe tout de suite et moi je te paie en trois salaires. Trois, c’est pas assez ? Je te donne cinq mois de travail. En tant que plombier en Europe, je suis sûr de bien gagner ma vie, ça sera pas un problème de mettre de côté cinq salaires.
Depuis l’époque où je couvrais les faits divers, quand j’avais vingt ans, j’ai dû voir au moins deux cents cadavres. Il m’est arrivé d’assister au moment où l’existence bascule de la vie à la mort. Voilà, maintenant c’est le regard de Djimba qui vacille entre la vie et la mort. Sauf que son corps ne s’affaisse pas. Il écrase nerveusement ses savates en plastique entre ses pieds nus et la terre rouge en faisant des mouvements d’avant en arrière. Comme s’il tentait de libérer ses chevilles d’une morsure."
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Fabrizio Gatti
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