Pepin (Guadeloupe)

Je viens de lire un très beau roman poétique d'un auteur guadeloupéen, Ernest Pépin : Le soleil pleurait publié par Vents d'ailleurs. Je n'ai pas trouvé de fil sur les écrivains de la Caraïbe, c'est peut-être dommage.
Cet été au festival de Collioure, "Un livre à la mer", j'ai eu l'occasion d'écouter une conférence passionnante d'E. Pépin sur Saint-John Perse et de suivre un entretien sur le thème de "la créolité". J'ai admiré au passage sa façon magistrale de manier la langue française. C'est un romancier et un poète d'une grande culture et d'une finesse remarquable mais c'est aussi un militant fidèle à sa terre et à ses origines.
Son roman, à la fois cruel, lumineux, sensible et violent, se lit d'un seul trait et je me suis sentie littéralement emportée par sa plume envoûtante.

Citation :

Je n'ai pas trouvé de fil sur les écrivains de la Caraïbe, c'est peut-être dommage.

On peut en discuter. Ils sont présents sur GDS*, en tant qu'auteurs, sans être regroupés par un lieu d'origine.

Un fil pourrait être consacré à la litterature des Caraïbes, comme on a pu le faire pour des écrivains russes contemporains ou des écrivains algériens.

Raphael confiant (Martinique) et Patrick Chamoiseau, Maryse Condé et les Schwartz-bart ont eux aussi leurs fils d'auteurs.

je crois qu'il a été question de ce livre de Chamoiseau, notamment

Cela se discute, c'est certain. Peut-être les Grains préfèrent-ils trouver chaque auteur sur un fil qui lui soit consacré.

On peut indiquer entre parenthèses le lieu d'origine. Je peux t'envoyer sur demande (Mp) un texte de mabanckou sur lalittérature francophone, mais tu connais certainement sa position, déjà explicitée sur GDS*. francophonie.

Par ailleurs je déplace certains messages : plcés dans lectures de fevrier, ils disparaissent dans les caves du forum au terme du mois, alors qu'ils méritent d'être lus en toute saison.

Merci Rotko pour cette remise en ordre

Dans un premier temps, je propose une présentation de cet auteur attachant :

Ernest PEPIN est né le 25 Septembre 1950 à Lamentin, en Guadeloupe. Il a fait ses études à Bordeaux. Devenu professeur de lettres modernes à la Martinique, il s’est impliqué dans la vie culturelle et politique de l’île aux côtés d’Aimé Césaire. Il anima une émission littéraire à la radio : Le compagnon de la vie et tint la rubrique de critique littéraire du journal le Naïf Chargé de Cours à l’Université des Antilles et de la Guyane, il fut le co-fondateur de la revue Textes, Etudes et Documents. A cette époque, il côtoya de nombreux écrivains et artistes de la Martinique (Edouard Glissant, Joseph Zobel, Joby Bernabé…).
Directeur du Centre d’Action Culturelle de la Guadeloupe à partir de 1982, il organisa le « Mai du Livre ».
En 1985, il devint Chargé de Mission des Affaires Culturelles du Conseil Général de la Guadeloupe et depuis 2001 il est Directeur des Affaires Culturelles et du Patrimoine.

Désormais reconnu comme un écrivain majeur de la Caraïbe, il a publié une oeuvre abondante : des romans, des nouvelles, des recueils de poésie, des livres pour enfants et un grand nombre d’articles. Au fil des années, il a reçu de nombreuses recompenses ( le Prix Casa de las Américas, pour Boucan de Mots Libres et plus tard pour L’écran rouge , le Prix des Caraïbes, pour L’Homme au Bâton , le Prix RFO pour Tambour-Babel , le Prix Arc-en-Ciel de Radio Media Tropical pour Le Tango de la haine .
Son dernier livre, un roman intitulé Le soleil pleurait est paru en mars 2011 aux éditions Vents d’ailleurs, qui affichent un non-conformisme littéraire et une volonté d’éditer des livres appartenant à toutes les cultures.

Le soleil pleurait :
Court roman de 140 pages en 17 chapitres.

Résumé :
A Port-au-Prince, Marie-Soleil est désespérée : sa fille Régina, superbe mulâtresse, a disparu à la sortie du lycée. Elle a été kidnappée par des malfrats cocaïnomanes, persuadés qu’ils pourront tirer un bon prix de cette fille au teint clair qui a forcément pour père un riche blanc prêt à payer une rançon.
Or on ignore tout du père. Le narrateur, un proche de la mère joliment appelé dans le roman « le raconteur », part à sa recherche dans le village natal de Marie-Soleil, Paulette. A force de patience et d’écoute attentive, il découvre la vérité sur la naissance de Regina, « événement si lourd que personne ne voulait en porter la charge. »
La pauvre Marie-Soleil qui ne dispose évidemment pas de la somme réclamée par les kidnappeurs en est réduite à se prostituer mais ne parvient même pas à en réunir 10%. L’histoire s’achève sur des pages terribles et magnifiques mais on se doutait bien, depuis le début, qu’elle ne pouvait pas se terminer sur un happy end.

Le soleil pleurait , mon point de vue personnel :

La réussite magistrale de ce livre tient, à mon avis, à plusieurs aspects :

- La construction subtile repose sur le statut du « raconteur » qui parvient à se glisser dans le ressenti le plus profond de la mère ou de la fille, tout en faisant part de son propre sentiment de « porteur de paroles ». Se mêlent sans cesse le « je », le « tu », le « il » sans que jamais le lecteur se perde. J’ai trouvé extraordinaires les passages où le raconteur s’adresse à Regina et par un glissement très habile nous fait partager son désespoir de prisonnière, à fond de cale dans un bateau, avec pour seul compagnon un gros rat et pour seule âme compatissante une Restavek (enfant-esclave, victime de tous les abus).

- La langue éblouissante de l’auteur contribue largement à donner au drame presque une tonalité de mythe. Pour avoir entendu s’exprimer Ernest Pépin dans une conférence-débat, je peux dire qu’il parle comme il écrit ou l’inverse ! Sa langue très pure mêle pourtant français et créole, elle n'en est que plus riche ; j'ai été sensible au rythme de ses phrases qui révèle un authentique poète. Cela donne un roman plein de couleurs, de mouvement, de mystère parfois ; pour moi, c'est un roman-poème.

- Un portrait âpre et haut en couleurs d’une société qui se cherche, ravagée par la violence pour ne pas dire la barbarie, la corruption, la pauvreté, les souffrance de toute nature, physiques et morales ; en même temps, on sent derrière les mots de l’auteur une force d’amour qui est d’abord la sienne pour ce peuple déchiré d’Haïti, mais aussi celle de ce peuple lui-même et surtout de ses femmes, victimes dignes et portées par l’espoir malgré tout.

- Des références à l’Histoire que je n’ai sans doute pas toutes perçues, à cause de mon ignorance. J’ai reconnu au passage les tristement célèbres escadrons de la mort, mais surtout Dédée Bazile, dite Défilée, ramassant les restes de Dessalines, son idole, assassiné au début du XIXe siècle. Naturellement est très présente la destinée de ce petit état perpétuellement dévasté par des catastrophes naturelles. On retrouve enfin des figures mythiques comme Baron Samedi, divinité du royaume des morts vaudou : « [il]est là aussi avec son haut-de-forme et sa redingote noire. »

Je n’ai certes pas fait le tour de ce beau livre, au titre très éloquent, mais j’en recommande la lecture, ne serait-ce que parce qu’il nous sort des sentiers battus et nous fait entrer dans la complexité d’un pays dont on parle beaucoup sans vraiment le connaître.

autres titres de Pepin dans ma mediathèque

L'envers du décor -- Ernest Pepin

2006 Serpent à Plumes

Coulée d'or -- Ernest Pépin

1995 Gallimard

ces romans sont courts ( 175 et 200 pages environ).

174 pages
Editeur : Serpent à plumes

Quand tu veux, je peux suivre.

Volontiers. Je vais voir si je le trouve dans les prochains jours. Merci !

Quelques extraits, significatifs à mon sens, du roman Le soleil pleurait et de l'écriture d'E. Pépin :

Citation :

Incipit :
« Quand le malheur ouvre sa gueule de caïman, ses dents sont sans pitié.
Pardon pour Marie-Soleil ! Miséricorde Seigneur ! Qui veut comprendre doit tenter de reconstruire une histoire qu’elle porte en elle comme un boulet de silence. Il faudra piéter des mangroves de choses non dites, récolter des bribes. Sonder l’impénétrable d’Haïti et plonger dans l’obscur. Je ne suis là que pour emboîter des paroles rapportées. C’est mon travail. J’effile ma langue sur des mensonges et je bobine le tout pour obtenir un racontage plausible. Nous savons tous que la vérité est une mendiante. Belle parole n’a pas de maître mais la mauvaise a toujours un visage. Loués soient les raconteurs ! » p. 5

Citation :

A propos de la petite Restavek :
[…] elle se transforme en bois pétrifié, en absence redoutable, en soumission glaciale sans jamais perdre le contrôle. Elle sait que son corps est une arme. Loin de d ésespérer, elle appelle demain en amassant dans son regard des coutelas et des poudrières. Son visage imprenable projette une survie. Il lui faut survivre pour gagner leur défaite. Et dans le deuil de la cale, elle répand une lumière et les mots somptueux de la genèse. C’est sans doute dans ces mots-là qu’ont pris naissance les Boukman, les Toussaint, les Dessalines, dont elle est enceinte. Elle crie que toute femme est une lignée farouche qu’aucun temps ne saurait éteindre.

Citation :

Le raconteur s’adresse à Regina :
[…] La petite Testavek vient te porter ton repas. La veille tu avais refusé de manger et de boire. Avec ses yeux baissés et ses gestes de couleuvre, elle te donne l’impression de ne pas habiter son corps, de flotter dans des brouillards indécis. C’est une petite fille qui n’a jamais eu d’enfance. Rongée par la peur, elle a refusé de grandir. Ses mots tombent comme des cendres mortes.

Spoiler:

Citation :

Quelques formules heureuses :

Charbon de bois est l’ami du feu mais il ne joue pas avec la lumière !

Le temps ne s’use jamais mais il est… usant !

[La vie] marche à l’endroit et à l’envers sans jamais faire marche arrière !

L’amour aussi est un drapeau !

Quand les mots n’arrivent plus à supporter la réalité, c’est que l’homme s’éteint.