COMMENT FAIRE QUAND ON NE SAIT PAS DIRE NON ?
Tout a commencé un dimanche matin. Il faisait beau et je m’en allais acheter le pain à la boulangerie. Tranquille, détendue.
Une camionnette était garée sur la place. Un vendeur d’huîtres.
Quand je suis passée à sa hauteur, le vendeur d’huîtres - un type avec de grosses moustaches et un béret de travers sur la tête – m’a interpellée :
- Bonjour, ma p’tite dame.
Je me suis retournée mais il n’y avait personne d’autre que moi sur la place.
- Bonjour.
- Vous avez vu mes huîtres comme elles sont belles ? Non ? Venez au moins jeter un coup d’œil !
Il se trouve que j’ai toujours détesté les huîtres. Et pourtant, sans trop savoir pourquoi sinon peut-être pure politesse, je me suis approchée.
- Effectivement mais…
- Alors combien je vous en mets ?
- C'est-à-dire…
- Allez ! Pour trois douzaines, je vous en mets une quatrième de ma poche, ça vous va ?
- Heu… oui.
- Et trois douzaines pour la p’tite dame, trois qui font quatre !
J’ai payé en regardant la pointe de mes chaussures. Parce que non seulement je n’aimais pas les huîtres mais mon mari non plus. Et je ne vous parle même pas de mes fils de huit et douze ans.
Ceci fait, j’ai été acheter mon pain avec du vide plein la tête. Une sorte de paralysie interne. Qu’est-ce qui m’avait pris ?!
Sur le chemin du retour, le sac d’huîtres pesait lourd au bout de mon bras. J’aurais pu m’en débarrasser dans une poubelle – j’y ai pensé mais quelque chose m’en a empêchée. Peut-être le fait que je les avais payées et que mon éducation me l’interdisait. Peut-être aussi qu’il me fallait boire le calice jusqu’à la lie.
Je ne vous dis pas la tête de Loïc, mon mari et celles de mes garçons quand j’ai posé les coquillages sur la table.
- Mais enfin, qu’est-ce qui t’a pris ?! Tu sais bien qu’on n’aime pas ça !
Je ne sais plus comment je m’en suis sortie, j’ai raconté n’importe quoi avec je l’avoue, une mauvaise foi évidente :
- Les huîtres, c’est bon pour la santé ! C’est plein de sels minéraux, de vitamines et d’acides gras Oméga-3, ceux qui sont bons pour le cœur. Et puis d’abord, on ne mange jamais de fruits de mer et le vendeur m’a garanti que ces huîtres étaient excellentes !
J’aurais préféré mourir plutôt qu’avouer la vérité. Une vérité pourtant toute simple, nue et cruelle.
Je ne savais pas dire non.
Je n’avais jamais su.
Sauf que ce jour-là et pour la première fois, j’ai réalisé l’étendue des dégâts. Tout y est passé. A la maison, j’étais la boniche. A mon travail, j’étais corvéable à merci. Le pire, ce fut lorsque je me suis remémorée le soir où Loïc s’était déclaré :
« Cendrine, veux-tu m’épouser ? »
« … »
« Je t’aime, Cendrine ! Alors veux-tu devenir ma femme ? Je t’en prie, réponds-moi ! »
« … oui. »
En réalité, je ne voulais pas.
Je le trouvais moche, imbu de lui-même. Et je détestais son haleine de baudruche crevée, la faute à cette manie qu’il avait de mâcher le même chewing-gum pendant des heures. J’étais certaine de ne jamais être heureuse avec lui. Mais cette fois-là non plus, je n’avais pas su dire non.
Ce fut une prise de conscience très dure. Mais qui eut au moins le mérite de me faire réagir.
Les semaines, les mois qui ont suivi, j’ai entamé plusieurs thérapies de front – psychanalyse, gestalt et cri primal.
Dont aucune n’a donné le moindre résultat.
Pour le moment.
En attendant, j’ai adopté une autre stratégie.
- Quoi ? Tu as encore acheté des huîtres ?!
- Oui. J’en avais envie.
- Et tu comptes inviter tout le quartier ?
- Non. Il n’y en a que quatre douzaines.
- Quatre douzaines ! Eh bien bon appétit ! Parce que ce sera sans moi. Et même sans nous, pas vrai les enfants ?
- Oui !
Je n’aime pas davantage les huîtres qu’auparavant.
C’est même pire. Chaque bouchée m’écoeure.
Mais j’ai compris une chose : tant qu’on ne sait pas dire non, on doit savoir faire preuve de volonté.
c'est bien écrit Bravo Confiseur 
