Jean Tardieu

La môme néant

Quoi qu'a dit ? - A dit rin.
Quoi qu'a fait ? - A fait rin.
A quoi qu'a pense ? - A pense à rin.

Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qu'a fait rin ?
Pourquoi qu'a pense à rin ?

- A' xiste pas.

Insomnie

Tard, très tard, je veille, les yeux fermés
Je vais dans ma nuit, je vais, je rame,
Entouré de formes invisibles
Douces ou terribles, que je tiens
Comme un enchanteur mille démons
Et parfois je fais surgir d ombre
Un visage, un feu ou une fleur
Nés pour un instant, nés pour mourir,
Car j’ai toujours mon fidèle abîme
Où replongeront toutes figures.
La fleur tourne au vent, me dit adieu,
Un pâle rayon sur sa corolle,-
Et le précipice l’engloutit.

Jean Tardieu, Un « ailleurs » qui est sous nos pas.

Insomnie

J'aime beaucoup
C'est extrait de quel livre ?

Plagiatissimo...

Tard, très tard, je veille, les yeux ouverts
Je vais dans ma nuit, je vais, je rame,
Entouré de grains de sel
Doux ou sensibles, que je lis
Comme une utopie.

Utopie a écrit:

Insomnie

J'aime beaucoup
C'est extrait de quel livre ?

Jean Tardieu, Un « ailleurs » qui est sous nos pas, in Margeries, Gallimard.

Jean Tardieu dans "humoresques", toujours dans Margeries chez Gallimard, présente deux chansons : La chanson de l'amour et des métiers, la chanson des usages.
Elles ont été mises en musique, la première par André Thiriet, la seconde par Jean Wiener.

Voici la fin de la chanson de l'amour et des métiers

[...]

Au nom du rire et des pleurs,
au nom des fruits et des fleurs
et de toutes les faveurs
que dispense toute vie,
au nom de tout ce qui passe,
au nom de tout ce qui meurt,
tu me fais prince et Docteur,
professeur, explorateur
Capitaine, commandeur...

Pour toi, mon âme et ma vie,
Je viendrai comme un voleur,
un caboteur, un mireur,
un sapeur, un ajusteur,
un livreur, un arpenteur,
un plombier, un moissonneur,
et j'entrerai dans ton coeur !

Le matin des oiseaux

A l’approche du matin,
Il se fait une dispute
Dans les arbres de Paris :

Le moineau de Montparnasse
Dit : « c’est le jour d’ojordhui »

Le merle du Luxembourg
Dit « messieurs, voici le jour »

La chouette de Montsouris,
Par la lumière chassée
Pleure, pleure : « hui ! hui ! hui! »

Comment disent , loin d’ici
Les rossignols de village
Qui parlent toute la nuit ?

Jean Tardieu, Humoresques.

Je suis ravi de vous voir
bel enfant vêtu de noir.

- Je ne suis pas un enfant
je suis un gros éléphant.

Quel est cette femme exquise
qui savoure des cerises ?

- C'est un marchand de charbon
qui s'achète du savon.

Ah! que j'aime entendre à l'aube
roucouler cette colombe !

- C'est un ivrogne qui boit
dans sa chambre sur le toit.

Mets ta main dans ma main tendre
je t'aime ô ma fiancée!

- Je n'suis point vot' fiancée
je suis vieille et j'suis pressée
laissez-moi passer !

Jean Tardieu in Monsieur Monsieur, 1951.

Conversation

Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte.

Et les volcans ?
- Ça mijote.

Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.

Et le temps
- Ça se déroule.

Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu

auteur choisi pour le printemps des poètes 2009.

C'est alerte, plaisant et drôle. Pourquoi pas en lecture commune d'avril pour rasséréner nos coeurs au sortir de l'hiver? Et parce que la poétesse de mars est plus aride et triste, plus sévère.

je commence par picorer dans les margeries de Tardieu

Citation :

Torpeur, colère ou tendresse
Menez-moi je ne sais où :
Je suis las que ma jeunesse
Se confine au fond d'un trou.

Et plus loin, ce petit passage qui me fait penser à Firenze

Citation :

je veux ce soir gris, des cris,
Des zigzags, des dissonances.
Paris, ô mon beau paris !...
je voudrais être à Florence !

in démence Juvénile

Margeries
Mon ressenti : je suis un peu déçue. Sauf quelques rares poèmes dans la section « humoresques », l’œuvre respire la désespérance et la vision de l’auteur est emplie de pessimisme ; c’est un douloureux questionnement métaphysique qui fait preuve de savoir et d’érudition, mais laisse peu de place à l’harmonie et à la beauté, pas de quiétude, de paix, de repos ; on ressent le mal-être au long du livre. Tardieu confie avoir fait une dépression à l’adolescence et son écriture et ses recherches poétiques me semblent un exutoire, une longue thérapie, la langue est sombre et noire. Je conclurai désespérant et désespéré. Malgré quelques belles et fortes images, mais toujours sous le sceau de l’éphémère, de l’incomplétude.

je partage ton sentiment, ce n'est pas le recueil qui a fait la réputation de Tardieu poète du rire. On y trouve des poèmes qui datent de la guerre, et le contexte, et ce que tu dis, expliquent peut-être l'ambiance sombre. j'aime bien celui-ci

Le matin des oiseaux

A l'approche du matin,
il se fait une dispute
dans les arbres de Paris :

le moineau de Montparnasse
dit"c'est le jour d'aujourd'hui"

Le merle du Luxembourg
dit" Messieurs, voici le jour"

La chouette de Montsouris,
par la lumière chassée
pleure, pleure "Hui ! Hui ! Hui !"

Comment disent, loin d'ici,
les rossignols de village
qui parlent toute la nuit ?

Tardieu ne me touche guère. Le poème La môme Néant est bien, mais le reste laisse un goût de trop peu comparé à Queneau ou à Norge, du point de vue stylistique.

Une petite fantaisie cependant :

Citation :

Descartes

Monsieur René Descartes
est né dans l’Indre-et-Loire
et non pas dans la Sarthe
comme on pourrait le croire.

Quand ce grand savant naquit,
— 1596 —
ce n’était pas sous Louis XIII
mais sous le bon roi Henri.

Grand philosophe il observa
il fit la guerre il voyagea
puis dans les calmes Pays-Bas
sagement il se retira.

Il écrivit dans sa maison,
entre le poêle et la commode,
« le Discours de la Méthode
pour conduire sa raison ».

Une reine savante,
Christine de Suède,
l’appelait à son aide
en 1650.

Hélas ! quel froid ! Quel vent du Nord
dans le vaste palais !
C’est là que, quelques mois après,
il attrapa la mort !

Etude en de mineur

Le ciel était de nuit
la nuit était de plainte
la plainte était d'espoir.

Les yeux étaient de lèvres
les lèvres étaient d'aube
la source était de neige.

Ma vie était de flamme
ma flamme était de fleuve
le fleuve était de bronze

le bronze était d'aiguille
l'aiguille était d'horloge
l'horloge était d'hier :

elle est de maintenant.
Maintenant est de terre
maintenant est de pierre
maintenant est de pluie.

Ma rive est de silence
mes mains sont de feuillage
ma mémoire est d'oubli.

Jean Tardieu

J'ai retrouvé dans mes archives un "Petit calligramme" de Tardieu, que je trouve très ingénieux (désolée la photocopie est un peu de travers...). Pour moi, il va même plus loin qu'Apollinaire dans le sens où la disposition du texte représente l'objet concret dont parle le poème, mais aussi l'idée plus abstraite de plein et de vide, et la succession de ces deux cercles évoque la vanité cachée des choses, du monde. Le dessin réalisé par le texte apporte donc vraiment quelque chose, il n'a pas une fonction uniquement illustrative, comme chez Apollinaire.