Autofiction

Définition du Petit Robert :

autofiction [otofiksjT] n. f.

• 1977; de auto(biographie) et fiction
Récit mêlant la fiction et la réalité autobiographique. « l'impudeur et la délivrance de l'autofiction » (Le Monde, 1999).



1.

Je n’aurais jamais cru qu’un jour je rencontrerais mon ordinateur, ailleurs que sur mon bureau. Surtout pas en pleine rue, dans un quartier fort fréquenté, aux abords d’un hôpital.

Car c’est un peu l’impression que j’ai eue, lors de notre première rencontre. Je l’avais vue sur écran, d’abord en photo puis avec une webcam. Très rapidement, les habitudes s’étaient installées, et j’en étais arrivé à un point où je ne pouvais plus me passer d’elle.

Son image me hantait... Chaque matin, avant de lire mon courrier, je contemplais ce beau visage roman, grossi dix fois ou plus, pour bien remplir l’écran. Mon esprit s’abreuvait de son apparence depuis des mois. Je connaissais la moindre particularité de son visage, je me repaissais de ses traits constamment. Même qu’un jour j’avais mis la photo en arrière-plan, pour ne plus la quitter pendant le travail. Mais elle était trop lumineuse, je ne voyais plus bien les autres choses, les icônes sur lesquelles on clique pour démarrer une application. Pour raison professionnelle, j’ai donc dû, à mon grand désarroi, restaurer l’ancien fond d’écran; une petite allée forestière en sous-bois.

Ce jour-là, le virtuel a pris une forme, et même une forme palpable. Je pouvais la humer, la toucher. Cependant, je me suis gardé de faire le moindre geste, dans un premier temps. La pudeur et la bienséance restent de mise. On nous enseigne qu’il y a des règles à suivre, des procédures. Il ne faut pas toucher une inconnue, même si c’est une inconnue bien connue, quelqu’un dont on a fait la connaissance six mois plus tôt, et avec qui il y a eu moult échanges. Des échanges oui, mais pas réels...

Quoiqu’on en pense, une personne virtuelle garde une grande part de mystère, malgré le fait qu’on sache plein de choses d’elle, parfois bien plus que de nos plus fidèles amis. Les méthodes de communication nous permettent de nous exprimer sans gêne, librement, trop librement. Nous croyons tout savoir de cet être qui se livre à nous sans pudeur. Mais il n’y a rien à faire, le jour où le réel prend la place, il y a comme une sorte de gouffre. Un déclic a lieu, la personne est bien reconnue mais les sentiments ne suivent pas...

Je la reconnaissais, mais je n’avais pas l’impression de la connaître. J’avais mon écran en face de moi, mais pas les mots, ces messagers des sentiments.

2.

Je me voulais pas, je ne pouvais pas la toucher trop vite, ou l’embrasser, fût-ce de façon courtoise. La personne que j’avais en face de moi ne me semblait pas plus familière que n’importe quelle autre croisée dans la rue. Ceci est étrange, compte tenu des messages plutôt libidineux, pour ne pas dire grivois, que nous avions échangé le matin même.

Nous avions dialogué tant de fois par écrans interposés, à l’aide de toutes ces techniques modernes, appelées mail, forum, msn, blog, etc... Et pourtant, là, de visu, rien. Le fossé. J’avais presque envie de dire bonjour madame. Seul un sourire m’a permis de comprendre que c’était elle. Je retrouvais toute la grâce de la photo.

J’ai pensé: il y a beaucoup de factice dans le virtuel, beaucoup de poudre aux yeux sur la toile. Et encore, elle, au moins, a été honnête. Sa photo ne datait pas de ses vingt ans, il y avait une fidélité dans l’image... Parce que des fois, on se poserait bien des questions... sur les sites de rencontre par exemple. C’est fou ce que les gens ont des rides tôt à notre époque. A trente-cinq ans ils sont déjà tout fripés. Et c’est dingue aussi le nombre de prétendants qui disent avoir 39 ans. La quarantaine est décidément bien difficile à assumer.

3.

Je n’aurais jamais cru qu’un jour je rencontrerais l’une d’elles, une de ces personnes que je croisais régulièrement sur les forums...

Tout à commencé comme ceci:

Euh... au fait je ne sais plus au juste comment ça a commencé... Si, voilà:

Je me souviens que nous fréquentions les mêmes forums, sans vraiment sympathiser, avec une certaine distance, un peu comme de vagues connaissances qui se croisent souvent en ville. On se parle sans vraiment se connaître. Mais un jour, une de mes interventions sur le forum a suscité une réaction de sa part. Il y eut un contact plus privé. Je ne sais même plus quel forum c’était... Grain-de-poivre ou Apostilles. Ou encore Relations obscures ou Dictionaris. Sais plus. Bref.


A cette époque-là, il y avait une ambiance sulfureuse sur certains forums. On s’empoignait volontiers, par mots interposés. Heureusement qu’il y avait une distance infranchissable d’un point à l’autre de la toile... On croit que les technologies de l’information, les IT comme disent les ́ricains, nous aident à communiquer et à nous rapprocher. Il me semble que ce n’est pas toujours vrai... Les internautes sont dans leur petite sphère, aussi séparés l’un de l’autre que des îles dans l’océan. Ils entrent rarement en contact physique, préférant rester anonymes, et sont donc condamnés à s’envoyer des messages, sortes de bouteilles à la mer.

Il me semble que beaucoup de choses sont factices; les identités sont fausses le plus souvent, il n’y a que des pseudos, les gens racontent ce qu’ils veulent. Ensuite, il est quasi-impossible de retrouver leur trace dans la vie réelle. Comment puis-je contacter tous ces Royco, Colverte, Normandie, Urbi, Masque-de-fer ? Il est presque impossible de mettre le grappin dessus, à moins qu’ils n’aient commis une chose répréhensible, comme un meurtre, ce qui est très difficile en mode virtuel... Autant dire que les pugilats resteront toujours, hélas, virtuels. Certains en profitent je crois. J’avoue que moi aussi, j’ai profité de mon anonymat.

Je prenais quelquefois part aux joutes oratoires des forums. Un jour, j’ai subi une attaque en force assez musclée. Je dois dire que j’avais fait un peu de provocation. J’avais contesté les propos d’un(e) autre. J’avais trop grogné, bougonné, sans mettre la forme, comme ça, à trois heures du mat’. Je ne dormais plus bien, et après m’être retourné pendant des heures sous la couette, je me suis levé, ai endossé un peignoir, me suis assis à mon bureau. Puis je me suis mis à insulter mon ordinateur. Je ne me souviens plus si j’avais bu. En tout cas, le lendemain, je suis tombé des nues en relisant ce que j’avais écrit, et surtout les réactions. Il était trop tard pour effacer, quelques petits malins avaient pris soin de recopier mes messages dans leurs réponses. J’étais suffoqué par tout ce charivari. Mais après tout, me suis-je dit après une courte réflexion... ne sommes-nous pas dans un monde virtuel, à faire vivre des personnages irréels, représentés par des pseudonymes ? Pourquoi se priver de tirer du canon de temps à autre ? Mes messages suscitaient parfois des réactions émotionnelles. Moi je ne voyais rien. C’est elle qui m’a ouvert les yeux, six mois plus tard. “Mais tu ne te rendais pas compte de ce que tu disais !”

Ce jour-là en particulier, je subissais une contre-offensive groupée de plusieurs intervenants, surnommés Masque-de-fer, Royco, Urbi, Alainihil, etc... Tout le monde s’y mettait, il fallait assassiner mon pseudo. Virez-le, virez-le, criaient les bourgeois effarouchés derrière leurs écrans, comme si une menace atomique planait sur eux.... Je croulais sous les doléances, à tel point que j’avais peine à faire front. C’est alors que, voyant mon désarroi, et trouvant injuste les coups de semonce dont j’étais l’objet, elle a proposé que nous ayons une conversation en direct, sur un truc qui s’appelle msn.

4.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, msn est un programme de l’infâme Microsoft, qui permet de communiquer en direct. Dans une fenêtre de l’écran, un internaute tape des messages, et ils s’affichent sur l’écran d’un autre, et inversement. Bien entendu il faut, au préalable, que chacun d’eux ait entamé un protocole de reconnaissance mutuelle. Il consiste à demander une connexion avec l’autre, en donnant son nom d’utilisateur - sans aucun rapport avec le vrai nom - puis chaque partie doit accepter la connexion.

Mais, fait très important, une fois que cette procédure de reconnaissance mutuelle est faite, la connexion ultérieure devient très simple: il suffit de lancer le logiciel msn, et, pour autant que l’autre ait fait de même, alors est écrit à côté de son pseudo: “connecté”. Ensuite il faut juste taper les messages à son intention. Sur beaucoup d’ordis, le msn se lance tout seul au démarrage, comme ça tout le monde sait que vous êtes là, et tout le monde peut vous enquiquiner avec des “ça va” et des “qu’est-ce que tu fous là”. Et tout le truc.

Moi j’ai tout de suite détesté msn, parce qu’il n’y avait rien de plus dangereux ni de plus superficiel. Il faut causer tout de suite, puisque c’est du direct, alors on fonce, on persifle, raconte ce qui passe par la tête. De l’autre côté c’est parfois la consternation. Les quiproquos sont nombreux.

Je n’ai plus utilisé msn pendant des mois. Puis un jour je m’ennuyais, et j’ai cliqué dessus pour le démarrer, pour voir qui était là. Elle était là. Merci la technique. Je l’avais oubliée depuis le temps, mais l’ordi lui se souvenait de tout, et le contact avait été conservé. Comme quoi l’informatique peut aider les êtres à se retrouver. Elle a une mémoire fabuleuse, se souvient d’un message banal, écrit il y a des mois et tombé aux oubliettes. Elle ne m’avait pas perdu de vue, et m’a aussitôt envoyé des messages, trouvé des compliments, a dit qu’elle avait vu ma photo sur un site, que j’avais l’air sympa, et que j’avais écrit des trucs super. (Ah ? C’est bien la première fois qu’on me dit ça). - Oui tu sais bien, la biographie dans ton blog, c’est comme un bouquin de librairie.

Et ainsi le contact a été renoué. Mais toujours du virtuel...

5.

Je passe les détails, sinon nous sommes encore là dans 10 ans et j’ai envie de garder mes doigts.

Hier le téléphone sonne. Je lui avais donné mon numéro, nous avions causé deux ou trois fois.


La suite au prochain épisode... Rendez-vous la semaine prochaine.

C'est toujours un régal de te lire Citro! ...
Vite! Vite! La suite...

C'est à la fois très limpide et obscur, mais c'est le jeu.
Moi j'aime bien que tu nous fasses attendre, réduis-même le rythme, pour qu'on distille le plaisir

en silence mais avec plaisir Citro

J'aime bien le titre aussi , ça laisse à penser qu'il y a du vécu ...

En fait il n'y a que du vécu, librement interprété.


Je pensais que vous devineriez qui se cache derrière ces faux-noms, qui est "elle" (et qui je suis également)

Il y a déjà quelqu'un qui le sait, et un autre qui a deviné, bravo.

Merci Coline, Colbrune, Rotko, Inestenso.

Urbi , y'a un rapport avec le Pape ? je connais pas toute l'histoire des forums , moi ...

Mais ça raconte une autre histoire que celle que je croyais que ça racontait.

Nous voilà donc à un tournant !
ou tu continues l'autofiction qui, comme chacun sait, n'a pas besoin de justification ou d'eclaircissements, ou tu précises les allusions en abattant les cartes, ce qui est aussi possible.

En ce qui me concerne, je ne me reconnais pas en chef de meute contre quelqu'un, mais des détails peuvent m'avoir échappé

Cette fois-ci je refuse de chercher dans l'ordinateur pour répondre à ces questions.

En chef de meute, probablement pas...

Bon, alors euh... je me suis un peu éparpillé finalement. Je me rends compte que je n'ai pas lâme d'un écrivain...

Je m'en éloigne, je ne reste pas ici, j'y ai assez passé de temps. J'en ai marre.

Colbrune, je te trouve bien pessimiste...

Je crois que tu fais une indigestion de net toi aussi. Tu devrais prendre du repos... et du recul. Et puis méfie-toi du virtuel...

Restons-en là.
Ce forum ne se nourrit pas de ragots et d'allusions. Si tu as des griefs précis, tu peux m'écrire personnellement.
L'autofiction n'engage que son auteur et ne met personne d'autre en cause. C'est un de ses charmes, non