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 Abelardo Castillo - [Argentine]

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Amadak
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Amadak


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MessageSujet: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 10 Déc 2010, 18:36

Un nouveau regard sur
Mon écrivain Argentin préféré:

Né à San Pedro en 1935 il habite à Buenos Aires ou toute sa création littéraire s’est forgée.
Ses contes cruels, fantastiques, sensibles ou violents, sont des pièces essentielles dans la littérature Argentine.

Nous pourrions dire qu’aujourd’hui il est le meilleur ou l’un des meilleurs écrivains Argentins.
Admirateur passionné de Borges et de Poe, dès ses débuts il nous a ébloui avec ses contes, qui nous laissaient, le souffle coupé, sans haleine. Un conte de sa merveilleuse plume « La mère de Ernesto » je le traduirai plus tard, mais j’ose vous dire que c’est émouvant.

A la suite un exposé détaillé sur l’écrivain et son œuvre et un autre jour un interview très intéressant qu’on lui a fait à la télévision
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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 10 Déc 2010, 18:41

Il a commencé à écrire à l’âge de 22 ans dans un concours littéraires dont les membres du jury étaient Borges ;Bioy Casares et Peirou. Il a crée deux magazines littéraires très importants

« el Grillo de Papel » et le « Escarabajo de Oro » à une époque ou il était sous l’influence Sartrienne.

Sa première pièce de théâtre « L’autre Judas »(1959) Dans cette œuvre il renouvelle l’éternel problème de la culpabilité du traître du Nazaréen. Culpabilité et expiation, sont les sujets de nombreux de ses contes, un fil conducteur qui entraîne les protagonistes, dans des circonstances difficiles à surmonter.

Ses histoires ont lieu, dans les banlieues, dans des maisons dans les bistrots, les rues de la ville ou les petits endroits de province. Ses personnages arrivent, le plus souvent ,à la limite du supportable.

Plusieurs de ses contes font des incursions dans le délire et le fantasque,,secret hommage à Poe que Abelardo Castillo a métamorphosé en « Israfel » une pièce de théâtre à grand succès qui a obtenu des prix internationaux..

Ses œuvres :

Contes cruels- 1966, deux de ces contes sont sur GDS « le Candélabre d’Argent et « Patron » celui là est entré dans l’histoire du cinéma

« les autres portes »1961

« les mondes réels »1972

« les Panthères et le temple »1976

« La traversée de l’Aquaronte », inoubliable, prix municipal- 1982

« les paroles et les jours-1982,prix municipal

« Les machines de la nuit »1992

« Jeune fille d’ailleurs »

« contes complets »1998

« Le miroir qui tremble » 2006



Romans :

« la maison des cendres »-1968

Celui qui a soif »( terrible et génial) 1985- prix municipal

Et « l’Evangile d’après Van Hutten » -1999.




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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 10 Déc 2010, 19:34

Parfait, Amadak !

il faut militer pour les écrivains qu'on aime, et tu le fais fort bien.

Je réactiverai, si tu es d'accord, le beau conte de Noël que tu as traduit, pour que les nouveau-arrivés puissent le lire avant les fêtes et qu'ils aient de bonnes pensées. Merci !
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MessageSujet: pour Rotko -Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptySam 11 Déc 2010, 22:47

Cher ami: je ne désire rien de mieux que l'on connaisse Abelardo Castillo
Son oeuvre lui a valu de grands honneurs dans son pays. Ce conte de Noël est révélateur de son style bouleversant qui caractérise toute son écriture. Je l'ai traduit, mais tout le mérite est à lui, à lui seulement

Un grand merci à ceux qui le liront
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MessageSujet: abbelardo Cstillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyLun 13 Déc 2010, 12:39

un entretien à la télévision:
Castillo a ´été obligé, en sa condition d’écrivain à prendre part à de nombreux colloques, tables rondes et faire face aux journalistes et public en général, avides de lui poser des questions, réunions qu’il faisait contre son gré, je dirai plus tard la cause.
Moi je l’ai vu et entendu à un interview à la télévision Dans cet entretien il a parlé de différents sujets, sa rencontre au café Tortoni, lieu emblématique de Buenos Aires, avec Silvia Iparaguirre, écrivain aussi, qui est devenue sa femme. Elle écrit toujours sur la Patagonie, rien a voir avec l’écriture de Abelardo.
Castillo.
Il a crée un atelier littéraire et le journaliste lui a demandé si cela était utile ; Castillo a répondu que cela ne servait à rien, si on n’avait pas dans son for intérieur, cette flamme empreinte d’imagination et l’habitude de lire beaucoup.
Pour les contes il avait dit que dès la première ligne on devait avoir en tête la fin , alors la trame de l’histoire se tissait sans difficulté.
Pour les romans,c’est différend, puisque les personnages feront
des trajets que l’auteur n’a pas encore en vue.
Je reviens à mon précédent commentaire, où j’avais dit qu’il détestait les colloques littéraires.

suite


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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyLun 13 Déc 2010, 12:42

Il a avoué qu’il avait été un alcoolique invétéré, Il était timide et ne pouvait se présenter en public, sans boire. Il buvait, sans pouvoir reculer. Le journaliste et les téléspectateurs, je suppose, nous étions surpris de la franchise de reconnaître sa conduite ; un jour il s’est demandé pourquoi et pour qui, il gâchait sa vie, son avenir, pour un tas de personnes qui ne lui intéressait pas, qu’il n’avait aucun besoin de voir, et ce jour là , il est rentré chez lui , et avec une rage furieuse ,il a cassé toutes les bouteilles et a arrêté de boire à tout jamais.
Ce n’est pas étonnant que dans ses contes et romans, des alcooliques soient protagonistes, seulement celui qui a été en enfer, et en est sorti, peut parler des flammes.
A mon avis le meilleur narrateur Argentin, celui dont les contes m’ont donné le frisson et que je relis, chaque fois avec le même plaisir. Je l’admire Abelardo Castillo, c’est plus fort que moi
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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyMar 01 Fév 2011, 03:31

Castillo toujours, un interview à Frankfurt.

Il se considère un écrivain démodé du vingtième siècle, il a eu la chance de se côtoyer avec quelques-unes des légendes de la littérature Argentine : Borges, Maréchal, Cortázar, Sábato, eux aussi grands écrivains du siècle passé, du xxième siècle. C’est un interview à Frankfurt, il a envie de parler, pas habituel de sa part .Pour répondre à ceux qui s’intéressent à participer à ses ateliers littéraires il mentionne les conditions requises : d’abord la limite d’age 35 ans, puis un aspirant qui n’a pas lu, ne sera jamais écrivain, il le dit d’un air fâché.

Après un long tête à tête, il leur demande trois listes de livres :

- la première le compte rendu des livres les plus remarquables qu’ils ont lus à l’age de 10 à 12 ans.( à cet âge, l’auteur de « Celui qui a Soif » avait deux heures de lecture quotidienne dans l’école Salésienne où il étudiait).
-Dans la seconde liste ils devaient mentionner les livres qu’ils ont lus de leur gré pendant l’adolescence et dernièrement il devront faire une liste avec « les grands livres de l’histoire de la littérature » qu’ils les aient lus ou non. Si la réponse est négative, il demande la raison. D’une bonne excuse dépend la chance du postulant. La paresse n’a pas de pardon dans sa maison du quartier de Balvanera, hallucinante aussi, aussi d’un autre temps

« Moi à 20 ans j’avais déjà lus presque tous les livres que je connais maintenant », exagère-t-il. Il récapitule sur une bonne partie de l’histoire de la littérature Argentine Une tradition venue des années 60 et 70 était la voie des magazines littéraires où s’exprimaient Borges, Arlt et d’autres.

Personne ne songeait à devenir célèbre, aujourd’hui les jeunes écrivains désirent être connus d’une manière presque hystérique, littérature de blog, , être à la page sur les journaux, chaque phrase de Castillo est un parti pris, il risque bien qu’il accepte la possibilité de l’erreur :
« il n’y a aucun grand écrivain Argentin qui n’ait commencé comme narrateur de contes » sans reconnaître par modestie, que lui est l’un d’eux.

Quand je dis siècle passé, je fais référence au XXe siècle .
Je suis un écrivain démodé du vingtième siècle.

à la suite, une petite frustration.
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MessageSujet: une petite frustration   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyMar 01 Fév 2011, 03:52

Citation :
Comme je l'admire passionnément, je lui ai envoyé une lettre en lui disant de ce qu'il représente pour la littérature de notre pays et que je lis et relis ses oeuvres,

Je n'attendais pas un bouquet de fleurs, mais au moins un petit merci, rien de rien. Il doit avoir un sale caractère, mais le talent se fait pardonner
.
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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyMar 13 Nov 2012, 19:25



je ne suis pas chargé de transmettre cette photo et ce message à Amadak, mais j'ai pensé que cela lui ferait plaisir.

Abelardo Castillo - [Argentine] Abelar10

légende de cette photo : .

Mañana a las 18:30. Entrevista pública a Abelardo Castillo por Gonzalo Garcés. Entrada libre y gratuita hasta completar la capacidad de la sala. ¡Los esperamos!
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MessageSujet: abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyJeu 20 Déc 2012, 16:22

pour Rotko, merci de cette photo, d'un Castillo vieilli mais jeune d'esprit.
Ravie de voir sur GDS* une jeune génération d'auteurs Argentins à succès: Guillermo Martinez, Eduardo Beri, Laura Alcoba et le récent Martin Felipe Castagnet.
Un honneur pour moi-Merci.

Je reviens à Castillo, il se considère démodé, il l'a dit cette année à la Foire du Livre à Frankfurt, et ce n'est pas vrai, il est vivant comme le sont un Borges, un Cortazar, un Poe.

Pour ceux qui ne le connaissent pas ,je posterai demain l'un de ses contes

Le Candélabre d'Argent un conte de Noël avec deux personnages bouleversants.

Et vous connaîtrez les bas-fonds de Buenos Aires.
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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 21 Déc 2012, 13:10

Le candélabre d'argent

Le candélabre d’argent

Je suis un homme qui agit sous ses impulsions. Je me reconnais comme un homme primitif, pur ou bestial, incapable de m’adapter au monde fleuri où pour la tranquillité des bonnes gens, on cultive avec bon sens tout le bon goût, l’hypocrisie et le cynisme. Mais aujourd’hui j’ai au moins compris quelque chose, je l’ai compris à la suite de ce qui s’est passé cette nuit ; je suis un homme bon. Je ne le dis pas, je ne l’écris pas pour me justifier. Â supposer que ma conduite ait été blâmable, je devrais l’admettre moi-même et renier de ce que j’ai fait, et ce n’est pas vrai, et même si c’était vrai, qui est-ce qui pourrait, qui, sur la Terre ou dans le Ciel, oserait-il me juger : je viens de rendre un pauvre diable heureux. Allons y point par point. Je suis encore ivre mort mais j’essaierai tout de même d’être cohérent. Cela a commencé cet après midi, c'est-à-dire l’après midi d’hier, puisque nous sommes à trois ou quatre heures du matin. L’aube du 25 Décembre 1956 : Noël. Sur la table restent encore les débris de l’insolite fête.

Le candélabre d’argent, plus anachronique que jamais au milieu de la saleté et de la pauvreté qui l’entoure, semble maintenant avoir pris toute la place. Je n’ai jamais compris pourquoi ce candélabre n’avait pas rejoint les quelques autres objets hérités de mon père, au Mont de Piété ou au magasin de bric à brac. Sur ce point je pense qu’il ressemble à la conscience. Je suppose que jamais plus je ne pourrais m’en débarrasser. Je dis que cela a commencé hier après-midi.

J’ignore par quel hasard j’étais tombé sur une sordide venelle du Dock, lorsqu' en écoutant un accordéon et un éclat de rires dans un bistrot du quai, j’ai pris conscience de la date. Alors je me « suis vu » dans le vieux parc de notre maison. Je ne saurais l’expliquer: les lumières, les sphères de couleur, j’ai remémoré tout cela, j’ai revu la crèche que je faisais moi-même toutes les années au milieu du jardin, (je me souviens, maintenant, de l’ Enfant Dieu, toujours affreusement plus grand que sa Divine Mère, comme pour justifier le miracle de l’accouchement) et j’ai senti un dégoût si profond de ma propre vie qui -comme celui qui se lave- j’ai décidé de célébrer mon Noël à moi.

L’idée peut paraître banale. Mais moi, elle m’a passionné. Donc avant .dix heures il y avait une fête aussi dans cet ignoble trou qui est maintenant ma maison. Avec un puéril orgueil d’enfant, je me suis assis à contempler le spectacle. Le candélabre gravé, au milieu de la table, irradiait son ancienne sérénité vers tous les coins.

Au début je me suis senti à l’aise, c’était une sensation étrange, comme de paix, un grand soulagement. Peu à peu, j’ai commencé pourtant à m’inquiéter. Que signifiait tout cela, pourquoi je l’avais fait ; pour qui. Je pourrais jurer qu’à cet instant précis, j’ai su que j’étais seul. Et pour la première fois après beaucoup d’années, j’ai eu un besoin impérieux de quelqu’un. Une femme. Non. J’ai rejeté l’idée avec répulsion. Il y en avait eu une seule qui aurait pu ne pas être irremplaçable, qui aurait pu ne pas être insupportable, mais celle-là ne viendrait pas ; elle ne viendra jamais.

Alors quelqu’un est venu à mon esprit ; le vieux Tchécoslovaque.
Je l’avais vu souvent dans l’un de ces sinistres cafés du port, que je fréquentais d’habitude, quand abruti d’eau-de-vie, je voulais m’amuser avec la dégradation des autres et de la mienne aussi. Pauvre vieux : á demi caché dans un coin, toujours pareil, comme faisant partie de l’image infâme de la cantine, fumant sa pipe, fixant son regard sur un verre de boisson trouble. Nous n’avions jamais parlé. Je ne le fais avec personne. -J’arrive et je m’enivre seul, parfois j’écris quelque chose d’absurde que je jette ensuite dans la première poubelle que je trouve sur mon chemin- ; mais je savais qu’il me regardait, c’était comme un lien muet, comme si une affinité invisible et mystérieuse nous rapprochait l’un de l’autre. Nous avions en moins une chose, deux choses en commun: la solitude et l’échec. Le vieux Tchécoslovaque, voilà l’homme dont j’avais besoin.
Quand je suis arrivé devant la crasseuse vitrine du bistrot, je l’ai vu. Il était là tel que je l’avais supposé. Une inhabituelle atmosphère entourait le vieux, là aussi on se réjouit du fait que Dieu naît, qu’Il vient et qu’Il voit comment cela est, comment ça se passe ici. Une femme trop fardée s’est approchée de lui et en riant lui a dit quelque chose; lui, il n’a pas réagi. Oui, c’était mon homme- Je me suis frayé un passage entre les couples. D’énormes marins aux vêtements crasseux embrassaient des filles qui se jetaient sur eux, éclatant de rires.

L’une d’elles a dit: « tu me prends pour qui ? » et couronnée d’une insulte brutale, ils lui ont répondu qui ils croyaient qu’elle était. Je ne pouvais supporter çà, pas cette nuit au moins; j’ai pensé que si je restais une seule seconde de plus, je vomirais, ou je frapperais quelqu’un ou j’allais pleurer à grands cris, je ne sais pas. Je suis arrivé jusqu’au vieux et je l’ai pris par le bras - tu viens avec moi -ai-je dit- Ma voix a dû être surprenante, l’homme a levé les yeux, une paire d’yeux bleu ciel, très clairs et a balbutié : qu’est ce que vous dîtes, monsieur ?.... - qu’à cet instant même tu viens avec moi, chez moi pour passer un Noël comme il faut - mais comment, moi…. Avec vous ? En le traînant presque, je l’ai sorti de là-bas, pourtant personne n’a fait attention à nous.

à suivre
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MessageSujet: abelardo Castillo chapitre 2   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 21 Déc 2012, 13:18

Chapitre2

Il manquait un peu plus d’une heure pour minuit. Le vieux, gêné au début, a commencé à parler. Son accent était étrange, doux. Il s’appelait Franta et je crois ne pas m’être étonné de comprendre qu’il n’était pas un homme vulgaire. Il parlait aisément, presque correctement. Peut-être lui avais-je demandé quelque chose, ou peut-être la glace du premier moment brisée, (à cette heure-là nous étions déjà assez ivres) l’aveu a surgi spontanément. Il a parlé de son pays, d’une petite ville perdue entre des collines grises, d’une femme blonde dont les yeux- c’est ainsi qu’il l’a dit- étaient transparents et bleus comme le ciel de midi. Il a parlé d’un petit garçon, blond aussi, aux yeux bleus, lui aussi. Il doit être un homme maintenant, avait-il dit, quand je suis venu en Amérique, il y a trente ans, il commençait à peine à marcher.

Il a dit que c’était son dernier souvenir. Il a bu une gorgée de champagne et a ajouté: et dire monsieur, que maintenant il a un fils, c’est incroyable! Et je m’imagine les deux pareils, c’est incroyable. J’ai pensé alors à ce petit-fils, yeux de ciel à midi, cheveux de blé vert, est-ce que cela pourrait être autrement? Seulement que le vieux Franta n’allait jamais probablement le constater. - j’ai dit : mais comment as-tu eu de leurs nouvelles?
- le capitaine d’un cargo, monsieur m’a reconnu il y a un mois. Je pensais, je me souviens, comment était-ce possible de reconnaître en ce mendiant que j’avais devant moi, en ce vieux vaincu, déchiré, l’image qu’il a laissée en d’autres êtres, trente années auparavant.

Je pense maintenant qu’il reste toujours quelque chose là ou il y a eu un homme, et qui sait, peut - être à moi aussi il va me rester quelque chose, quand comme le vieillard, j’aurai le regard troublé et que je dirai « monsieur » au premier vaurien bien habillé qui me parlera.
- Tu n’as pas eu envie de retourner, tu n’as pas essayé?
Il m’a regardé perplexe; puis au fur et à mesure qu’il parlait, son visage s’endurcissait.
- retourner, retourner comme çà, pour vous, ça à l’air facile, monsieur, ce n’est pas agréable de revenir comme un mendiant.
Le ton de sa voix commençait à être rancunier…..
- Un mendiant ivre, vous savez? Qui à la porte de l’église mendie pour un Dieu dans lequel il ne croit déjà plus…Non, monsieur, rentrer ainsi, non…Elle Mayenko, elle est morte il y a longtemps, et c’est mieux, si là- bas on pense que moi aussi, je suis mort il y a longtemps….

il a fait une pause, maintenant il parlait comme quelqu’un qui crache

- Moi j’ai joué et perdu l’argent que j’avais épargné pour la faire venir, vous savez? Et alors elle est morte. En attendant. Vous ne voyez pas monsieur, que tout est immondices ? La parole est une caricature misérable.

Qui peut expliquer avec des paroles, même s’il raconte sa propre vie, tout ce qui pousse un homme à se livrer, à se vendre, tous les jours un peu, jusqu’à devenir comme toi, le vieux.

Combien de petites canailleries, combien de saloperies imperceptibles constituent cette autre grande saloperie dont « Lui » a parlé : l’Ame. Pauvre âme de types misérables qui ont déjà cessé d’être des hommes, et sont des bêtes, des bêtes tombées, agenouillées d’humiliation. Tu as dit
- quelle honte, monsieur-
Il a dit cela: quelle honte, puis il a ajouté
- Ah ! ne pas pouvoir se tuer !!
à la suite dernier chapitre
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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 21 Déc 2012, 13:24

- Chapitre 3 fin du conte

Pour le vieux Franta, j’étais peut-être un millionnaire, un peu déséquilibré, un peu artiste, (mes vêtements, la manie que j’ai d’écrire dans les taudis, et peut-être le candélabre, lui avaient fait supposer une pareille sottise) Moi j’étais un fou avec de l’argent, qui cherchais de la littérature dans les bas-fonds de Buenos Aires.

Alors cette idée qui à commencé à tourner dans ma tête, deviendrait plus tard un colossal mensonge.

Mais avant, j’ajoute quelque chose: je mens prodigieusement.
Et c’est naturel. La fantaisie de celui qui est seul, se développe parfois comme une bosse de l’imagination, un peu monstrueusement ; avec elle il élabore un univers trompeur, exclusif, invérifiable, qui - comme celui crée par Dieu….finit souvent par se détruire lui même. Le suicide et la folie sont deux formes de l’Apocalypse individuelle: la vengeance de la solitude.
Mais çà c’est un autre sujet.

Ce que je voulais expliquer c’est que j’aime la fabulation, je l’adore, je m’en nourris et si j’ai quelques vertus, c’est elle qui est la meilleure. Je mens à me le proposer avec une maîtrise exemplaire, presque génialement. Et cette nuit-là j’ai mis toute mon âme dans la tromperie.

Il me croyait riche et capricieux ? Bon ? Alors je l’ai été. Au fur et á mesure que je parlais, nous buvions sans interruption et, en buvant, ma parole devenait plus exacte, plus convaincante, plus brillante. Je l’ai trompé, le pauvre vieux, je l’ai trompé et enivré comme si c’était un enfant. De toute façon je ne peux me repentir de cela (comme Lui l’a voulu) je n’entrerai pas par l’œil d’une aiguille.

Ma fortune venait de générations. Jamais, même en me laissant aller aux plus grands gaspillages, je ne pourrais m’en débarrasser. Cette manière de vivre que j’avais- lui il l’avait deviné - n’était qu’une extravagance un moyen d’échapper à l’ennui.

Le vieux, peu á peu commençait à me haïr et moi pendant que j’improvisais, je remplissais au fur et à mesure nos verres.

Ennoblie par l’alcool, cette idée que j’avais devenait de plus en plus précise, fascinante, je rendrais ce pauvre diable heureux, même si je ne savais pas encore comment y parvenir.

Tout à coup, il a dit :
- mais pourquoi, monsieur, pourquoi ?

Il n’a pas fini de parler: il n’a pas osé. J’ai compris qu’à cet instant il me haïssait de toute son âme.

-Ah, si lui, crasseux vagabond, avait eu, au moins une partie de ma prétendue fortune !

Oui, je savais qu’il pensait cela. Je savais que maintenant il pensait seulement à un village lointain, à un enfant au regard transparent et aux cheveux comme du blé vert.

Sans répondre je me suis mis debout. Je suis allé chercher les deux bouteilles qui nous restaient. Je lui tournais le dos, mais je pouvais le voir: inconsciemment sa main s’était refermée sur le manche d’un couteau qui était sur la table.

Pauvre vieux! Il ne pensait même pas que d’une seule gifle je pouvais le jeter à la rue, les quatre fers en l’air, par l’escalier.

Il commençait lui aussi à devenir une personne.

Vivement je suis retourné à la table- ses doigts se sont écartés. - tu sais pourquoi? - tu veux savoir pourquoi? - Nous avons bu un coup.

Il y a eu un silence pendant lequel j’ai regardé directement dans ses yeux, puis tout en baissant la tête comme écrasée par le poids de ce que j’allais dire, j’ajoutais brutalement :

- tu sais ce qu’est le cancer toi?

Le vieux me regardait. J’appuyais les mains sur la table et mon visage au niveau du sien, j’ai dit :

- pour ça - parce que moi aussi je suis un pauvre malheureux qui n’a pas le courage de se briser la tête contre un mur.

Le vieux qui m’avait regardé tout le temps a compris ce que je voulais dire et ses yeux se sont grand ouverts.
J’ai fini, tout court.
- pour cela -
- vous voulez dire….
Cela veut dire que tu es en train de parler avec quelqu’un qui est déjà mort, tu comprends? Et alors ni tout mon argent ni tout l’argent de vingt types comme moi ne sauraient me ressusciter.

J’ai dressé la tête; je parlais d’une voix sereine et maîtrisée. C’est pour cela que je vis le peu qui me reste à mon gré.

- je n’appartiens plus au monde, vieux - Le monde est à vous, à ceux qui peuvent avoir des projets, à ceux qui ont droit à l’espoir, ou au mensonge... je suis moins qu’ un cadavre ;

Mes derniers mots étaient trop théâtraux, mais Franta ne se rendrait pas compte.
- Taisez-vous, monsieur…. a- t- il murmuré.

Et mon idée, soudainement, s’est conçue d’elle-même, comme un miracle.

-un cadavre – J’ai dit d’une voix rauque, qui à présent par un hasard où l’on entrevoit la main de Dieu, vient de trouver une raison pour se justifier.

Tout à coup dans le port, la nuit a éclaté comme une fête. Sur tous les quais, les sirènes, ont commencé à entonner leur hystérique psalmodie et le ciel a explosé de pétards.
Nous avons trinqué les yeux humides. Des feux multicolores s’ouvraient vers le fleuve éparpillant sur le monde d’étranges fleurs d’artifice.

Cela a été comme si une affolante symphonie universelle accompagnait mes dernières paroles absurdes et solennelles.

Je t’en prie- Franta - j’ai dit et je criais - pour ce Dieu dans lequel tu ne crois plus et qui vient de naître, pour tous les hommes, je te jure que toute ma fortune servira pour que tu retournes à ta terre. C’est ma réconciliation avec le monde.
- Tu vas rentrer, vieux, et tu vas rentrer comme un homme.

Noël brûlait; sifflets, sirènes et cloches, se mêlaient aux parfums nocturnes et entraient en flots tumultueux par la fenêtre ouverte. Certes, personne ne s’intéressait au petit garçon qui piétinait dans la crèche, mais ils voulaient tous jouir de la minute de bonheur que « Lui » leur offrait avec sa merveilleuse farce.
Sur la terre, sous l ’Etoile, les hommes de bonne volonté s’enivraient comme des cochons et hurlaient.

Franta m’a regardé un instant. Ses yeux brillaient du plus profond, avec un éclat que je n’oublierai jamais; il me croyait, il me croyait aveuglément. Dans un élan de gratitude irrépressible, il m’a baisé les mains et a balbutié en pleurant :

- je ne t’oublierai pas tant que je vivrai !

Il m’avait tutoyé, c’était un Homme: j’avais accompli ma tâche.

Sa tête est tombée pesamment sur la table Il était ivre d’alcool et de rêves Dans cette même position, il s’est endormi. Il rêvait qu’il retournait au petit village aux collines grises, qu’il caressait des cheveux blonds et regardait des yeux aussi clairs que le ciel de midi.

Soigneusement j’ai retiré mes mains d’entre les siennes, et je me suis mis debout, chancelant.

Ta tête était douce et blanche, vieux, je l’ai caressée-

Après j’ai hissé le lourd candélabre d’argent, amoureusement, avec une tendresse infinie, mettant toute mon âme dans ce geste.

Sans plus réfléchir sur l’idée qui depuis une seconde m’obsédait, j’ai dit :

Heureux Noël Franta !

Et j’ai écrasé son crâne.
-


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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 21 Déc 2012, 13:35

Merci Amadak, toujours content de retrouver ton conte, traduit par tes soins, comme de retrouver Noël, chaque année ; et je vais le relire avec plaisir.
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MessageSujet: abelardo Castillo 3   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyVen 21 Déc 2012, 13:43

Je suis arrivée à traduire ce conte, que c'est bon d'avoir des amis dans le ciel et la terre.
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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyDim 23 Déc 2012, 07:32

toujours "frappant", ce Noel dans les bas-fonds de Buenos Aires. Mais on se dit aussi que c'est l'oeuvre d'un fabulateur...


Dernière édition par rotko le Dim 23 Déc 2012, 08:07, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyDim 23 Déc 2012, 08:03

Grâce au rappel de rotko merci je viens de relire ton conte, Amadak, avec un plaisir renouvelé :merci de l'avoir si bien traduit pour nous, merci biz
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MessageSujet: Abelardo Castillo   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyDim 23 Déc 2012, 13:30

Pour Nicyrle et Rotko, merci.
D'accord le narrateur est un fabulateur, mais avec son mensonge il croit avoir rendu l'espoir et la dignité à qui n'etait rien depuis longtemps. Il le dit au début que personne ni dans la terre,ni dans le Ciel pourrait le condamner. Dans sa conscience hallucinée avec son geste final, le vieux est devenu un HOMME qui retournera à sa terre. Il l'a sauvé de se réveiller dans cette misère qu'était sa vie.
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MessageSujet: Re: Abelardo Castillo - [Argentine]   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyDim 23 Déc 2012, 14:37

oui, c'est un peu expéditif Razz
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MessageSujet: abelardo Castillo 3   Abelardo Castillo - [Argentine] EmptyDim 23 Déc 2012, 20:43

pour Rotko,
tu me fais rire, expéditif, c'est vrai! combien de fois on a eu l'envie d'expédier à l'autre monde qelqu'un. affraid
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