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 Kim Thuy

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MessageSujet: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMer 20 Oct 2010, 21:26

Sauf erreur de ma part, cet auteur n'a pas encore de fil sur le forum. Or, je suis persuadée qu'elle est promise à un brillant avenir et qu'elle devrait plaire à bon nombre de Grain(e)s. Je l'ai classée parmi les auteurs de langue française mais j'ai hésité, d'une part à cause de ses origines vietnamiennes, d'autre part à cause de la patrie qu'elle s'est choisie, le Québec.

Petite présentation de l’auteur : elle est née à Saigon l’année du Singe (1968) dans une famille aisée, pendant l’offensive du Têt (qui marque un tournant dans la guerre du Vietnam). À 10 ans, avec ses parents, ses frères et 200 autres boat-people, elle fuit les communistes. Après avoir passé 4 mois dans un effroyable camp de réfugiés en Malaisie, toute la famille part pour le Québec et s’y installe, apprend l’anglais et le français, déterminée à s’intégrer coûte que coûte dans ce nouvel univers. Kim Thuy deviendra couturière, interprète, avocate et restauratrice avant de se consacrer à l’écriture qui l’attire depuis l’enfance.

Ru,
son premier livre, écrit directement en français, est présenté un peu partout comme un roman alors qu’il s’agit d’un texte autobiographique. D’abord paru en 2009 au Canada où Kim Thuy vit depuis plus de trente ans, il a été publié cette année aux Editions Liana Lévi et il a reçu le Grand Prix RTL.
C'est un livre de souvenirs très original, dédié « Aux gens du pays ». Dès le début, le joli titre est expliqué :
Citation :
En français, ru signifie « petit ruisseau » et, au figuré, « écoulement (de larmes, de sang, d’argent) » [ Le Robert historique]. En vietnamien, ru signifie « berceuse », « bercer »
Suivent des fragments de mémoire sous forme de textes courts qui dépassent rarement la page et ne font parfois que quelques lignes. Aucune chronologie, aucune date non plus, un souvenir en appelle un autre qui peut être éloigné du premier dans le temps comme dans l’espace, puisqu’on passe sans cesse du Vietnam au Québec et de l’enfance à l’âge adulte. Pourtant le livre offre une construction solide ; on dirait un savant patchwork avec un subtil mélange de couleurs claires et sombres, une harmonie interne qui fait sa beauté.
Un autre aspect remarquable est la façon dont Kim Thuy évoque des événements tragiques sans que rien soit jamais mélodramatique. Tout est extrêmement pudique en restant clair. On croit lire de la prose poétique qui donne au livre une tonalité particulière et place le lecteur sous le charme :
Citation :
Quant à moi, il en est ainsi jusqu’à la possibilité de ce livre, jusqu’à cet instant où mes mots glissent sur la courbe de vos lèvres, jusqu’à ces feuilles blanches qui tolèrent mon sillage, ou plutôt le sillage de ceux qui ont marché devant moi, pour moi. Je me suis avancée dans la trace de leurs pas comme dans un rêve éveillé où le parfum d’une pivoine éclose n’est plus une odeur, mais un épanouissement ; où le rouge profond d’une feuille d’érable à l’automne n’est plus une couleur, mais une grâce ; où un pays n’est plus un lieu, mais une berceuse.
L’humour a aussi sa place dans plusieurs passages, si bien qu’on est amené à sourire, voire à rire franchement devant telle ou telle situation cocasse :
[évoquant sa première enseignante au Canada]
Citation :
Nous étions hyptonisés par le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. Telle une maman cane, elle marchait devant nous, nous invitant à la suivre jusqu’à ce havre où nous redeviendrions des enfants, de simples enfants, entourés de couleurs, de dessins, de futilités. Je lui serai toujours reconnaissante parce qu’elle m’a donné mon premier désir d’immigrante, celui de pouvoir faire bouger le gras de mes fesses, comme elle.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMer 20 Oct 2010, 21:41

Ru est un livre que je relirai plusieurs fois. Au total, et c’est paradoxal, pareille lecture est apaisante et réconfortante. Aucune amertume, aucun regret. De chaque page se dégage un amour de la vie et une philosophie sans leçon de morale :
Citation :
Les élèves de mon école primaire [au Québec] faisaient la queue pour nous inviter chez eux pour le repas du midi. Ainsi, chacun de nos midis était réservé par une famille et, chaque fois, nous retournions à l’école le ventre presque vide, parce que nous ne savions pas comment manger du riz non collant avec une fourchette. Nous ne savions pas comment leur dire que cette nourriture nous était étrangère […] Bnous ne pouvions ni leur parler ni les écouter. Mais l’essentiel y était. Il y avait de la générosité et de la gratitude dans chacun de ces grains de riz laissés dans nos assiettes. Je me demande encore aujourd’hui si les mots n’auraient pas entaché ces moments de grâce.
Parfois pourtant il y a de quoi être surpris, par exemple quand l’auteur écrit :
Citation :
[…] je ne quitte jamais un endroit avec plus d’une valise. J’emporte seulement des livres avec moi. Le reste ne réussit jamais à devenir véritablement mien. […] je suis toujours heureuse de déménager, ainsi j'ai l'occasion d'alléger mes biens, de délaisser certains objets afin que ma mémoire puisse devenir réellement sélective, qu'elle puisse se souvenir uniquement des images qui restent lumineuses derrière les paupières fermées...
et, un peu plus loin :
Citation :
J’aime les hommes de la même manière, sans désirer qu’ils deviennent miens. Ainsi je leur suis une parmi d’autres, sans rôle à jouer, sans exister. Je n’ai pas besoin de leur présence parce que les gens absents ne me manquent pas. Ils sont toujours remplacés ou remplaçables. S’ils ne le sont pas, mes sentiments pour eux le sont. Pour cette raison, je préfère les hommes mariés aux mains habillées de joncs. J’aime ces mains sur mon corps, sur mes seins. Je les aime parce que, malgré le mélange des odeurs, malgré la moiteur de leur peau sur la mienne, malgré l’ivresse parfois, ces annulaires historiés me gardent éloignée, à l’écart, dans l’ombre.
La même idée revient ailleurs avec :
Citation :
Un dicton vietnamien dit : Seuls ceux qui ont des cheveux longs ont peur, car personne ne peut tirer les cheveux de celui qui n’en a pas. Alors j’essaie le plus possible de n’acquérir que des choses qui ne dépassent pas les limites de mon corps.
J'ai aussi relu plusieurs fois le passage suivant, tâchant de comprendre comment on peut ainsi prendre ses distances par rapport à un vécu tragique et le transfigurer par l'écriture : elle évoque les réfugiés du camp en Malaisie, qui n'avaient pour abri qu'"une toile bleue".
Citation :
Si un chorégraphe avait été présent sous cette toile un jour ou une nuit de pluie, il aurait certainement reproduit la scène : vingt-cinq personnes debout, petits et grands, qui tenaient dans chacune de leurs mains une boîte de conserve pour recueillir l’eau coulant de la toile, parfois à flots, parfois goutte à goutte. Si un musicien s’était trouvé là, il aurait entendu l’orchestration de toute cette eau frappant la paroi des boîtes de conserve. Si un cinéaste avait été présent, il aurait capté la beauté de cette complicité silencieuse et spontanée entre gens misérables. Mais il n’y avait que nous, debout sur ce plancher qui s’enfonçait doucement dans la glaise.
Un livre court (144 pages avec beaucoup de blancs) mais d’une rare intensité ; il me semble qu’il ne peut laisser personne indifférent. Il paraît que Kim Thuy prépare un deuxième livre : je l’attends avec impatience et curiosité.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 21 Oct 2010, 08:16

Je viens de l'ajouter à ma LAL, merci Nicyrle Smile
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 21 Oct 2010, 12:41

IzaBzh a écrit:
Je viens de l'ajouter à ma LAL, merci Nicyrle Smile
Avec plaisir chapeau Je lirai avec intérêt tes impressions de lecture.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 21 Oct 2010, 14:54

je peux aussi avoir Ru

5 exemplaires dans ma mediathèque, tous empruntés, il fait un tabac, ce livre !

On se tient au courant ? en lecture conjointe, sinon commune ?
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 21 Oct 2010, 17:31

Lu en mars dernier, un coup de coeur

Avec pudeur, sobriété et délicatesse, l’auteur des dévoile via la narratrice. Elle y raconte, au gré de ses souvenirs, son exil ; un exil que l’on devine douloureux. Ce roman- l’ouvrage est présenté comme tel- ne suit pas la construction habituelle d’un roman. En effet, de cours chapitres relatent dans un joyeux désordre le vécu d’une femme que j’imagine frêle, mais tellement solide par ailleurs.
Il n’y a aucune amertume, aucune rancœur, aucune plainte dans ces souvenirs ; une leçon de vie, une ode à tous ceux que le destin chassent de chez eux.

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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptySam 13 Nov 2010, 10:06

Je viens de le terminer et je ne répéterai pas tout ce qu'en a dit Nicyrle avec talent.
il n'en reste pas moins vrai que cett autobiographie, m'a beaucoup émue sans être triste. Une vie extraordinairement différente de ce qu'elle aurait du être mais on ne ressent aucun sentiment de frustration ou de regret dans ses descriptions. Elle est justement encore plus bouleversante en nous expliquant avec délicatesse les exactions des communistes, pour la plupart jeunes et pauvres.
Très belle écriture en plus
Un bon roman.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMer 24 Nov 2010, 17:03

je vois que vous en avez bien parlé, inutile que je ramène mes gros sabots.

Kim Thuy ne suit pas la progression plus ou moins linéaire à laquelle nous sommes habitués, mais elle travaille souvent par superposition/juxtaposition, ainsi pour le portrait de sa mère, d'abord présentée comme exigeante, mais dans un sens éducatif, puisqu'elle prévient par telephone l'épicier de la mission de sa fille.

Plus tard, les mots se font plus décisifs, p 70-71 parexemple

Citation :
Elle s'était appropriée les fonctions de d'homme de la maison, de ministre de l'Education, de mère supérieure, de PDG du clan. Elle prenait les décisions, donnait les punitions, corrigeait les délinquants, faisait taire les contestataires.
.

ce qui contraste avec l'égalité du ton que vous avez soulignée.
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MessageSujet: kim thuy   Kim Thuy EmptyJeu 25 Nov 2010, 12:27

bonjour, d'après tous ces commentaires plus qu'élogieux, vous m'avez donné envie de le lire.
J'ai trouvé un article dans le journal espagnol"el pais" où on ne peut dire rien de mieux sur l'auteure , sa vie ét son livre; on parle beacoup de son passé douleureux , et de sa joie de vivre, Elle a un enfant autiste et elle a pleuré quand il lui a souri. Je suppose que dans les librairies en espagnol, je peux l'obtenir. Je ne pourrai ajouter mon commentaire, puisque tout a déjà eté bien dit, sans besoin de discours.
merci à tous chapeau
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 25 Nov 2010, 12:53

Amadak a écrit:
bonjour, d'après tous ces commentaires plus qu'élogieux, vous m'avez donné envie de le lire.
J'ai trouvé un article dans le journal espagnol"el pais" où on ne peut dire rien de mieux sur l'auteure , sa vie ét son livre; on parle beacoup de son passé douloureux , et de sa joie de vivre, Elle a un enfant autiste et elle a pleuré quand il lui a souri. Je suppose que dans les librairies en espagnol, je peux l'obtenir. Je ne pourrai ajouter mon commentaire, puisque tout a déjà eté bien dit, sans besoin de discours. merci à tous chapeau

Tout ne peut jamais être dit, Amadak ! Et ton ressenti personnel, les passages que tu as préférés, ou au contraire moins aimés, seront lus avec intérêt par nous tous, j'en suis sûre. Bonne lecture !
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 02 Déc 2010, 19:59

Ça a l'air intéressant j'essaierai de le trouver
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyLun 17 Jan 2011, 12:56

j'ai terminé de lire le livre Kim THUY, Ru,
une femme qui a su en une écriture fine et condensée réunir tous les sentiments qui l'habitent depuis la traversée des boat people, à travers les camps, vers sa recherche identitaire .
un vrai poème! I love you


.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyLun 17 Jan 2011, 18:16

Soussou, j'étais certaine que ce livre te plairait. "Un vrai poème", tu as raison...
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyLun 25 Avr 2011, 12:40

Ca y est, j'ai fini le livre il y a quelques semaines (merci au lecteur qui l'a donné à ma bibliothèque Wink ) !
C'est un assemblage de petites histoires, de bribes de mémoires plutôt qu'un roman. Ce livre très touchant raconte l'histoire de l'auteure, son enfance dorée, sa fuite du Vietnam avec sa famille, les camps de réfugiés, l'arrivée sur un nouveau continent dont elle ne connaissait pas la langue, ses enfants, dont un autiste, le tout avec grâce et poésie malgré les horreurs. Très beau ! Merci Nicyrle, c'est grâce à toi si j'ai découvert ce livre merci
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptySam 30 Avr 2011, 07:05

IzaBzh a écrit:
Ca y est, j'ai fini le livre il y a quelques semaines (merci au lecteur qui l'a donné à ma bibliothèque Wink ) !
C'est un assemblage de petites histoires, de bribes de mémoires plutôt qu'un roman. Ce livre très touchant raconte l'histoire de l'auteure, son enfance dorée, sa fuite du Vietnam avec sa famille, les camps de réfugiés, l'arrivée sur un nouveau continent dont elle ne connaissait pas la langue, ses enfants, dont un autiste, le tout avec grâce et poésie malgré les horreurs. Très beau ! Merci Nicyrle, c'est grâce à toi si j'ai découvert ce livre merci
Tout le plaisir est pour moi kado
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMar 23 Juil 2013, 08:14

Mãn de Kim Thúy, l'envers d'un restaurant...
 
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Du Vietnam au Canada, de la soumission à la recherche de liberté amoureuse, Mãn est une jeune femme que sa mère à marié à un restaurateur vietnamien travaillant au Québec. Dans un Vietnam traditionnel, rare sont les femmes mariée par amour et Mãn ne fait pas partie de l’exception. Avec l’aide d’une marieuse, les rendez-vous commencent, tout d’abord sans aucun échange, même pas un regard, finissant finalement par un court moment en tête à tête. Froides et banales, les trois uniques rencontres se conclurent en un mariage.
S’installant avec son mari dans le restaurant, la jeune femme se consacre alors à cuisiner, tel que sa mère le lui a appris, tel que la tradition le voulait. La cuisine est comme une vertu, transmise de mère en fille dans le creux de l’oreille pour protéger les recettes, comme pour qu’aucune saveur ne s’échappe et surtout pour garder le secret de ce qui fait alors le caractère unique de chaque plat. Chacun raconte une histoire, un souvenir, ou est rattaché à un village. Avec son mari elle a deux enfants. Elle se lie d’amitié avec Julie, qui devient sa grande sœur. De commandes en commandes, le restaurant grandit en réputation, attire de plus en plus de clients et acquiert une réputation internationale.  L’attention portée à la cuisine est primordiale, elle en est presque sacrée et mêlée au récit de la vie de sa mère, c’est aussi l'intimité de Mãn que l’on découvre, à travers sa consécration à son métier, l’accomplissement d’une vie idéalisée, mais bientôt aussi avec sa rencontre avec Luc.
Mãn va réaliser qu’elle peut aussi tomber réellement amoureuse, et, va alors se débarrasser  de sa réserve, de sa pudeur naturelle et culturelle.

Kim Thúy signe avec Mãn son troisième livre, dont l’histoire simpliste sera dans difficulté pardonnée par un style, qui va donner à tout détail de la beauté, du charme. Le récit de sa mère, et celui de la romance de Mãn est embellit par une écriture poétique, un style que l’auteur maîtrise parfaitement et aussi par une découverte de la culture vietnamienne, par certains détails qui sont tus, comme par certains détails mis en avant. Ce petit livre est à déguster !
Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite et moi je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi j’ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet et moi j’ai un trou dans le coeur.
Ma première mère, celle qui m’a conçue et mise au monde, avait un trou dans la tête. Elle était une jeune adulte, ou peut-être encore une fillette, car aucune femme vietnamienne n’aurait osée porter un enfant sans porter un jonc au doigt.
Ma deuxième mère, celle qui m’a cueillie dans un potager au milieu des plants d’okra, avait un trou dans la foi. Elle ne croyait plus aux gens, surtout quand ils parlaient. Alors elle s’est retirée dans une paillote, loin des bras puissant du Mékong, pour réciter des prières en sanskrit.
Ma troisième mère, celle qui m’a vu tenter mes premiers pas, est devenue Maman, ma Maman. Ce matin là, elle a voulu ouvrir ses bras de nouveau. Alors elle a ouvert les volets de sa chambre, qui jusqu’à ce jour étaient restés fermés. Au loin, dans la lumière chaude, elle m’a vue et je suis devenue sa fille.

Kim Thúy est vietnamienne  quittant son pays en 1978, elle rejoint Montréal où elle vit depuis une trentaine d'années. Son premier livre, Ru, sortit en France en 2010 a rapidement séduit la critique française. En 2011 elle publie A toi, recueil de nouvelles. Dans la continuité de Ru, elle nous présente en 2013 son nouveau roman, avec toujours ce même style, poétique mais étonnant par sa force.

Maria Quiroga

Kim Thúy, Mãn, Édition Liana Levi, 7 mai 2013, 143 p.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMar 23 Juil 2013, 10:53

merci Merci Soussou pour ce compte-rendu détaillé, j'avais réservé ce livre à la bibliothèque, j'espère l'avoir bientôt.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMar 15 Oct 2013, 15:04

Mãn est sans doute l’alter ego de l’auteur à bien des égards. Elle se raconte et, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose dans le récit qu’elle nous propose, tel une confidence chuchotée. L’essentiel du livre est ailleurs. Comme dans Ru, l’écriture est à la fois originale, suggestive et poétique. J’y suis sensible et donc j’ai beaucoup aimé ce nouveau roman, un peu moins cependant que le premier parce que j’ai éprouvé une sensation de déjà vu. Il faudrait, je crois, que Kim Thuy s’écarte de cette thématique liée à son passé comme à son vécu au Canada. Je suis persuadée qu’elle en est tout à fait capable car ses qualités d’écrivain sont indéniables.
Quand le temps aura passé, j’aurai tout oublié de « l’histoire »  contée ici. Me restera une musique des mots exceptionnelle et… des recettes de cuisine !
Voici un florilège de ce qui m’a frappée dans ce tout petit roman :
Mãn  explique que le prénom a une grande importance au Vietnam et est toujours choisi avec soin par les parents car la destinée de l’enfant y est attachée :
Citation :
Je m’appelle Mãn, qui veut dire “parfaitement comblée” ou “qu’il ne reste plus rien à désirer” ou “que tous les vœux ont été exaucés”. Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement.
Ailleurs, elle évoque un souvenir d’enfance de sa mère, séparée de sa  famille depuis plusieurs années :
Citation :
Son père semblait avoir beaucoup vieilli en cinq ans. Il avait encore sa posture imposante de magistrat, mais ses joues s’étaient affaissées, comme si elles avaient perdu les muscles du sourire.
J’ai noté ce bref portrait imagé d’un visage :
Citation :
Parfois le simple souffle d’un murmure sur sa joue suffisait à la secouer et à faire apparaître sur son front la carte de son parcours de vie.
La tendresse est un thème récurrent du roman. Evoquant celle de son amie Julie, Mãn dépeint en elle « une marchande de bonheur ».

Emplie d'étonnement, Mãn découvre le pouvoir de l’amour ; elle n’avait jamais eu l’occasion de se voir dans un miroir et quand elle se voyait dans un reflet, elle sursautait car il ne correspondait pas à l’image qu’elle avait d’elle.
Citation :
Pourtant, à côté de Luc, le mien me ressemblait, comme une évidence. Si j’étais une photographie, Luc serait le révélateur et le fixateur de mon visage, qui n’existait jusqu’à ce jour qu’en négatif.
Évoquant l’enfance au Vietnam, Mãn se souvient que pendant les années de «chaos politique », les livres en anglais et en français avaient été confisqués. Parfois certains réapparaissaient en pièces détachées ; et les marchands les utilisaient pour envelopper un pain ou des liserons d’eau :
Citation :
Maman me disait que ces pages étaient des fruits interdits tombés du ciel.
De ces cueillettes, j’avais retenu le mot « lassitude » du livre Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, « langueur » de Verlaine et «pénitentiaire » de Kafka.
Pour finir voici un court passage dont l’image finale m’a charmée :
Citation :
Le gâteau aux bananes doit cuire à feu doux pendant cinq heures :
Si l’on avait la chance de manger ce gâteau fraîchement sorti du four, on pouvait apercevoir, en le coupant, le pourpre des bananes gênées d’être ainsi surprises en pleine intimité.
… et un constat qui prend l’allure d’un aphorisme :
Citation :
Moi, je possédais l’éternité parce que le temps est infini quand on n’attend rien.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyMer 16 Oct 2013, 18:39

Mãn chez Lina Levi.
 
1/3
 
A lire le récit, le lecteur comprendra le pourquoi du titre « Man » (p.34), la raison des mots  bilingues dans la marge,(p.44), les parallèles entre la narratrice et sa mère, ce qui se marque par des allers et retours  entre deux femmes, deux pays, deux temps, et deux langues.
 
On franchit donc une passerelle entre le Vietnamien et le Français, deux langues qui caractérisent la vie et l’évolution de la narratrice. Dès le départ, la narratrice se nourrit de mots hérités et reçus, maigre capital qu’elle enrichit  par un dictionnaire qui fournit à la fois des expressions, et un art de vivre :
 
- Humer : aspirer par le nez pour sentir.. Humer l’air, Humer le vent. Humer le brouillard.
Hume le fruit ! Hume ! Jambose, aussi appelée pomme d’amour en Guyane. Hume !

Après cette leçon, je n’ai plus jamais mangé des pommes d’amour sans d’abord en humer la peau lustrée rose fuchsia d’une fraîcheur innocente, presque hypnotisante.

 
Car les mots portent un message, comme le pensait Julie l’amie intime :
 
- Mords. Mords dans la pomme.

- Mords comme la lime mord le métal.

- Mords à pleines dents.

- « Mords ! Mords ! Mords ! me disait-elle en riant à gorge déployée, en me tirant la main pour traverser la rue ou en tressant mes cheveux. Elle faisait mon éducation en, langues, en gestes, en émotions.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 17 Oct 2013, 12:31

Je ne sais pas si je trouverai le roman, mais c'est certain que j'aimerais le lire.
J'ai beaucoup aimé le compte rendu tant précis que lucide offert par l'aimable nicyrle,  les passages si savamment choisis, et les commentaires.
Merci à vous tous de tout ce que vous m'apprenez..
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptyJeu 17 Oct 2013, 13:58

Mãn chez Lina Levi.

2/3

Les mots (injonctions épicuriennes) et les mets se complètent, et comme la narratrice s’occupe d’un restaurant, on parle beaucoup de recettes : celles du pays rappellent la mère (le passé et le Vietnam), la restauration au Canada est facteur d’intégration et d’ouverture : épanouissement avec Julie dans le domaine de l’amitié, et plus tard rencontre avec Luc dans le domaine de l’amour sur fond de nourriture.

La nourriture se fait sensualité, échange et perfectionnement harmonieux :

« Lentement Philippe me faisait découvrir son univers. Il a commencé avec la noisette nature, grillée, entière, moulue …… parce que je suis une inconditionnelle des noix […] Comme Philippe connaissait déjà le litchi je lui ai présenté ses cousins les longanes aux noyaux ronds et brillants […]

Mon gâteau aux bananes à la vietnamienne était un délice mais effrayait par son air costaud, presque rustre. En un tournemain, Philippe l’a attendri avec une écume de caramel au sucre de canne brut. Il avait ainsi marié l’Est et l’Ouest…»


Les plats qui étaient au pays le symbole de villes visitées, parfois aussi de tromperies, deviennent dans les pays d’accueil plus raffinés, et chargés dans leurs goûts et leurs odeurs, de présences d’êtres aimés. L’art culinaire devient parfois un remède à l’absence cruellement ressentie :

Citation :
« je me suis réfugiée dans la confection de plats exigeants en temps »
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptySam 19 Oct 2013, 07:54

Mãn chez Lina Levi.

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La narratrice insiste beaucoup sur les rapports humains : elle valorise sa "troisième Maman", la vraie, celle qui l’a choisie et a modelé sa personnalité.

De son mari, alliance traditionnelle, elle parlera peu, sinon pour une relation convenue.

Rien d’enrichissant comme son amitié avec Julie, qui jouera pour ses enfants le rôle d’une "deuxième mère". Par la suite elle s’épanouit dans une vraie relation d’amour avec Luc, elle découvre la spontanéité et les besoins d’affection naturels chez les enfants, qu’elle oppose à la retenue si fréquente au Vietnam, sans doute en raison du contexte, devant les signes et manifestations extérieures d‘amour.

A son tour, elle prend conscience des mots qui nourrissent les attentes :

« je remerciais Philippe de leur avoir répété sans cesse les mots « je t’aime » avec ses cœurs dessinés, modelés, écrits sur des tuiles aux amandes, des guimauves, des jujubes, des mousses au chocolat…mes enfants l’imitaient en signant spontanément leurs dessins et leurs cartes avec des cœurs alors que toutes les lettres que j’avais écrites à Maman, aucune ne contenait ces trois mots, « tu me manques »

Elle en vient, en raison de l’amour ressenti et des affections rencontrées, à changer elle-même d’attitude :

« le surlendemain j’ai glissé dans l’emballage du sandwich [des enfants] un tout petit mot, le même que Luc m’écrivait à la fin de chaque message telle une signature : « mon ange, je t’aime ».

Depuis, je peigne les cheveux de ma fille avec les mêmes mouvements que Luc qui chérissait chacun des miens. De même j’applique la crème sur le dos de mon fils en caressant la peau de sa nuque »


Cette nouvelle naissance de sa façon de ressentir et d’exprimer ses propres sentiments, rejaillit dans son écriture : au début, le ton reste ,impavide, ou désabusé :

Citation :
« les jeunes mariés… croient que le bonheur vient immanquablement avec le mariage ou l’inverse »,
ton qui contraste avec les passages vibrants de sentiment et de sensualité pour évoquer sa passion pour Luc.

Citation :
« Nous avons passé la nuit à mesurer et à remesurer son long fémur contre le mien, à compter le nombre de baisers requis pour recouvrir mon corps en comparaison avec le sien, et surtout, à se moquer de mon impatience à son arrivée. J’avais surgi de ma cachette derrière la robe de chambre accrochée dans la salle de bains dès que le déclic de la porte s’était fait entendre. Sans élan, j’avais sauté à son cou. »
Un roman court que n’épuisent pas les analyses.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy EmptySam 19 Oct 2013, 08:04

Belle analyse, Rotko, toute en finesse respect.
J'apprécie particulièrement tout ce que tu as écrit concernant l'évolution de Mãn s'épanouissant dans la relation amoureuse jusqu'à changer d'attitude et de langage.
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MessageSujet: Re: Kim Thuy   Kim Thuy Empty

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