Le corps féminin XVIII et XIXème siècles

... de Philippe Perrot.


Ouvrage commandé dont je vais vous parler par après...
D'ailleurs, pour la commande, j'ai eu droit au libraire omniscient qui sûr de lui m'a dit:
"Le corps féminin de Philippe Perrot? Vous êtes certain que ce n'est pas Michelle Perrot ?" No comment...

Sinon, une souvenance m'est revenue quant aux ouvrages associés dans la recherche fnac...

C'était il y a bien longtemps alors que j'étais en 4ème année de fac d'histoire.
Il faut savoir qu'en ce temps la sélection était sévère et que seulement un quart de la promo réussissait sa première année. Ensuite, une fois que la sélection était faite, nous restions plus ou moins entre nous puisque le taux dé réussite des autres années était d'environ 75%.
On se connaissait donc tous assez bien et de fait, les quelques nouveaux qui arrivaient d'autres universités, étaient pour nous bien souvent synonyme de fraicheur et on les intégrait fort volontiers à nos petits groupes.

Donc revenons à mon histoire. J'étais donc en 4ème année quand un nouveau était arrivé. D'instinct, il ne prêtait pas à sympathie, mal rasé, la mine assez patibulaire, parlant peu, restant dans son coin...
On le voyait toujours manger seul à la cafétéria et une amie a alors voulu, un jour, que notre petit groupe le rejoigne.
Nous voilà donc lui tenant compagnie et dévisant joyeusement quand, sans prévenir, d'une voix monocorde il nous sort, "moi, j'ai lu l'histoire du viol".

On a alors résolu qu'il était plus sage et plus prudent de le laisser manger tout tranquillement en sa solitude inoffensive... Interdiction fut alors faite à mon amie de toute nouvelle suggestion pour les cent ans à venir...


Philippe Perrot est né en 1950 à Genève. Chargé de recherches à l'université de Genève. A publié notamment Les dessus et les dessous de la bourgeoisie. Une histoire du vêtement au XIXème siècle (Fayard 1981)

Je change ton image de couverture, rendue inaccessible par imageshack pour je ne sais quelle raison.

je n'ai pas bien compris ton histoire sur la remarque de ton camarade de promo.

Le sujet que tu soulèves m'interesse d'autant plus que j'ai lu la femme au XVIIIé siècle des frères Goncourt, très bien documentés sur l'education, les vêtements, la lingerie, les rites de toilette, et qui parlent en particulier des "vapeurs" des femmes, d'après des traités médicaux de l'époque.

Citation :

L’indigence, le labeur, les maternités, la maladie marquent, usent, tordent les corps, les plient, les voûtent, les rident précocement, là où l’aisance, l’oisiveté et la santé permettent de les entretenir, de les conserver plus frais, plus lisses et plus droits.
Se dépose ou s’imprime ainsi dans les chairs – et jusqu’aux os – le texte de leur histoire : les stigmates de leur origine, les empreintes de leur trajectoire, voire les indices de leur destinée.

L'introduction est passionnante dont voici un extrait...

Si tout l'ouvrage est ainsi, je sens que je vais adorer... mais patience... peu de temps ces prochains jours....

A bientôt

Alors le premier chapitre est en fait une histoire d'eau.

On y apprend que les deux siècles les plus sales sont, pour la France, le 16ème et 17ème et que l'eau est mal perçue par l'Eglise car elle expose le corps au nu...

De fait, elle est condamnée. D'ailleurs, les moralistes écrivent: "Se laver avec de l'eau nuit à la vue, engendre des maux de dents, appâlit le visage et le rend plus susceptible de froid en hiver et de hâle en été".

Pour résumer, on se nettoie juste avec un chiffon...de temps en temps...

De 1647 à 1711, Louis XIV aurait pris un bain... en 1665.

De plus, la faculté pensait que la peau était poreuse et, que l'eau y pénétrant, elle était susceptible de transmettre des maladies ...

Avançons encore un peu au gré des pages...

Après l'eau, nous voilà en parfums (très forts pour masquer la puanteur), en maquillage (pour cacher la crasse) et en ornementation d'une coiffure très complexe (le coiffeur devenant d'une grande importance)...

En fait, c'est toute une vision du corps qui n'existe pas... Plus précisément toute une description qui n'existe pas... de fait, pourquoi prendre soin de ce qui n'est pas jugé important.

Citation :

Voltaire dans Zadig nous annonce une Astartré "très belle", dans Candide une Cunégonde "appétissante", sans beaucoup d'autres précisions. Quant à Manon Lescaut, on ignore tout de sa beauté, jusqu'à la couleur des cheveux, des yeux ou du teint, qui est " de la composition de l'amour".

Quoiqu'il en soit cela est vrai pour le 16ème et 17ème siècle (Notamment pour la cour des Médicis -maquillage- et celle du roi Soleil -puanteur-) mais, sous Louis XVI donc dans la seconde moitié du XVIIIème cela s'améliore.

Marie-Antoinette en est le plus vibrant exemple d'un retour au naturel, peu de maquillage et des bains fréquents... (allant même jusqu'à goûter aux joies champêtres...).

Mais arrêtons nous un instant si vous le voulez bien à cette fin du XVIIIème siècle et demandons-nous quelle en est la perfection physique pour une femme... Pas besoin de réfléchir bien longuement, c'est la Nana de Zola... (Deux pages de descriptions sont faites et c'est bien Nana dans ses moindres détails).
Pour ne citer qu'une information, une femme de moins d'1m65 ne peut être qualifiée de belle... C'est, pour les canons de l'époque, la taille minimale.
La seule petitesse qui est souhaitée (à la différence du Moyen-Age) est celle du pied... Et là, on hésite pas à des talons d'une hauteur vertigineuse pour donner l'impression de finesse, de même que souffrir tout en marchant (toutefois, la noblesse, modèle d'oisiveté marche peu...).

Attention toutefois, on ne porte plus aux nues les corps gras comme au 17ème, on commence même à voir émerger des conseils alimentaires, des régimes... On ne cherche plus à manger beaucoup mais à manger avec délice des mets savamment préparés, inédits dans leur présentation et leur composition...
Toutefois, une certaine corpulence reste encore synonyme d'aisance matérielle, de bonne santé et de vitalité...
Donc de la chair oui mais de la chair ferme et bien répartie...

Et justement pour la petite histoire, en parlant de pied (non Rotko, Harelde, Hope et Cléo... je ne vais pas parler de celui qui est précédé d'un verbe à l'infinitif...) la mesure qui correspond à un 49 actuel serait (d'après la légende) celle de Charlemagne...
Enfin, pour continuer sur ce sujet, la chaussure asymétrique que nous utilisons tous (droite et gauche) n'existe que depuis le XXème siècle, avant il y avait des chaussures à pointes, droite, gauche, même combat...

Maintenant une petite leçon de maintien pour jeune fille de bonne famille de la seconde moitié du XVIIIème siècle:

Citation :

Si elle doit s'asseoir, "elle s'approchera du fauteuil qu'on lui présentera, elle placera ses deux talons vis-à-vis l'un de l'autre à trois ou quatre pouces de distance; elle pliera un peu les genoux au moment de s'asseoir en baissant les épaules et en avançant la poitrine, elle évitera surtout le fond et le bord du fauteuil, parce que l'attitude trop au fond ou trop au bord du fauteuil s'opposerait au bon Maintien de tout le corps"

Pourquoi tout cela maintenant?

Tout simplement parce que noblesse et bourgeoisie, veulent se démarquer du vulgum pecus et, de fait, tous les gestes, les paroles, les murmures du visage se doivent d'obéir à des codes censés confiner à la grâce, à la neutralité des intentions profondes.
De fait, dès toutes petites, les jeunes filles sont éduquées contre l'instinct naturel du corps, jusqu'à ce que ce Maintien, cette impersonnalité marquante de leur rang devienne plus naturelle encore qu'aucune autre attitude...

Le paraitre n'est plus dissocié de l'être, il le dépasse, le faisant disparaitre...

Le corps féminin...


C'est nu que je le préfère...

Merwyn a écrit:

Maintenant une petite leçon de maintien pour jeune fille de bonne famille de la seconde moitié du XVIIIème siècle:

Citation :

Si elle doit s'asseoir, "elle s'approchera du fauteuil qu'on lui présentera, elle placera ses deux talons vis-à-vis l'un de l'autre à trois ou quatre pouces de distance; elle pliera un peu les genoux au moment de s'asseoir en baissant les épaules et en avançant la poitrine, elle évitera surtout le fond et le bord du fauteuil, parce que l'attitude trop au fond ou trop au bord du fauteuil s'opposerait au bon Maintien de tout le corps"

Pourquoi tout cela maintenant?

Tout simplement parce que noblesse et bourgeoisie, veulent se démarquer du vulgum pecus et, de fait, tous les gestes, les paroles, les murmures du visage se doivent d'obéir à des codes censés confiner à la grâce, à la neutralité des intentions profondes.
De fait, dès toutes petites, les jeunes filles sont éduquées contre l'instinct naturel du corps, jusqu'à ce que ce Maintien, cette impersonnalité marquante de leur rang devienne plus naturelle encore qu'aucune autre attitude...

Le paraitre n'est plus dissocié de l'être, il le dépasse, le faisant disparaitre...

Oui, les codes sont la marque des sociétés de castes.

Harelde78 a écrit:

Le corps féminin...


C'est nu que je le préfère...

Un fois nu, le corps obéissait-il aux codes décrits par Merwyn ... ?

Et moi qui pensais qu'Harelde nous faisait du néerlandais!

Nu = maintenant en néerlandais



Pour l'autre interprétation, je n'étais là avec ma petite chandelle mais les témoignages vont dans le sens d'un corps que l'on cache... On ne montre que ce qui faut pour attiser le désir sans se découvrir pour autant, laissant la barque des fantasmes voguer à travers les brumes de l'irévélé...


Ne serait-ce que l'exemple de Marie-Antoinette qui, initiant la pratique des bains fréquents, faisait en sorte qu'aucune des ses suivantes ne puisse la voir nue et ce, même au moment de l'essuyer.

Certaines femmes avaient d'autres pratiques, et se mettre une mouche (du taffetas) entre les seins, "la généreuse", orientait le regard à des fins de séduction.

Quant à la nudité, les histoires de "boudoir" (pièce réservée aux femmes du XVIIIe pour faire la toilette) révèlent que les intimes y avaient accès, et que de petits abbés, par exemple, rendaient service en laçant le corset des dames. Les frères goncourt le disent dans la femme au XVIIIe siècle.

Madame du Châtelet se mettait nue régulièrement devant son valet de chambre qui en était fort troublé.
je crois que c'est dans le livre de Badinter, Emilie, Emilie (livre de poche).
La 2e Emilie était madame d'Epinay.

Merwyn a écrit:

Et moi qui pensais qu'Harelde nous faisait du néerlandais!

Nu = maintenant en néerlandais

Harelde est en bonne voie pour devenir bilingue, s'il associe les 2 :
Nu, maintenant !

En fait Rotko, d'après Philippe Perrot, le boudoir reste plus lieu d'imagination que de révélation. On doit rester dans une certaine pudeur tout en aiguisant les appétits des "invités".

En outre, le boudoir n'est pas le lieu de la toilette (celle-ci est faite dans l'intimité bien avant), c'est le lieu de la mise en scène où, déjà à son avantage, la femme joue celle qui vient de se réveiller, où, alors que chaque geste, chaque parole est calculée, elle joue la candeur incarnée...

N'oublions pas que nous sommes dans le règne du paraitre où le naturel est un savant artifice, où on communique mais ne dialogue pas...
L'important n'est pas ce que l'on dit mais la façon dont on le dit. L'important n'est pas la chair mais la façon dont elle se dévoile avec parcimonie, en un clair-obscur toujours incertain...

Pour ce qui est des mouches... Il y a un passage intéressant qui en divulgue la symbolique:

Citation :

" Assassine près de l'oeil, baiseuse au coin de la bouche, friponne sur les lèvres, effrontée sur le nez, majestueuse sur le front, galante sur la joue, enjouée sur le pli que forme le rire, discrète sous la lèvre inférieure, recéleuse sur un bouton "

Spoiler:

Marianne a écrit:

Merwyn a écrit:

Et moi qui pensais qu'Harelde nous faisait du néerlandais!

Nu = maintenant en néerlandais

Harelde est en bonne voie pour devenir bilingue, s'il associe les 2 :
Nu, maintenant !

J'aime le néerlandais !


Vive La Flandre.

Citation :

En outre, le boudoir n'est pas le lieu de la toilette (celle-ci est faite dans l'intimité bien avant), c'est le lieu de la mise en scène où, déjà à son avantage, la femme joue celle qui vient de se réveiller, où, alors que chaque geste, chaque parole est calculée, elle joue la candeur incarnée...

je suppose que Perrot cite les Goncourt dans sa bibliographie ?

Ils montrent l'évolution de cette pièce, et expliquent son nom inattendu. Boudoir. Pour eux, les femmes du XVIIIe avaient des sautes d'humeur, qu'en gros, ils attribuent comme des médecins de l'époque, à un corps comprimé, notamment par des corsets trop serrés.

L'idée d'avoir un coin pour bouder, cuver sa mauvaise humeur, a donc surgi, lieu où les visites importunes n'étaient pas tolérées.

Mais finalement elles s'y ennuyaient, d'où l'idée de mettre un miroir, et quelques babioles pour se refaire une "physionomie", peut-être après des pleurs.

Ensuite, un peu de décoration intérieure, et effectivement une mise en scène privée dans un endroit réservé aux intimes