["Soir d'été"] Résurgence de l'instant.

Elle avançait sur des mers de nuages, offrant sa peau aux embruns voltigeurs. Sous elle, le pont du bateau tremblait au rythme des moteurs. Accrochée à la rambarde comme à son équilibre, elle ouvrit les yeux à l’infini. Le ciel s’embrasait. Des ailes pourpres flamboyaient dans les flots, auréolées de vapeurs mauves et bleues. Les masses cotonneuses semblaient ciselées d’or en fusion.

Quand était-ce ? Il y avait si longtemps déjà que ces soirs d’été ne l’avaient plus baignée de leurs tendres éclats. Et pourtant, elle se rappelait le frémissement de chaque feuille, la caresse dorée de chaque instant, le parfum des roses dans le couchant, la brise qui émanait enfin dans l’air provençal. Quand la chaleur se faisait moins étouffante, elle devinait la lune translucide.

Elle entendait la voix de l’aïeule s’élever du balcon. Elle s’adressait aux tourterelles, à qui elle donnait du pain et divers aliments, convaincue que tout pourrait les nourrir. Elle leur parlait, s’évadait avec elles, fuyant la pénombre et les angoisses du crépuscule.

A l’époque, elle n’était qu’une adolescente aux mille émois. Devant elle, sur la table, des feuillets couverts de dessins et de mots en quête de sens révélaient les occupations de l’après-midi. Elle se gorgeait de musiques semblables à des mélopées, captant dans leurs nuances des sources d’inspiration. Son amie venait de rentrer chez elle pour le repas. Elles se retrouveraient après, dans le secret des ombres, et discuteraient pendant des heures. Des chats les feraient sursauter en leur lançant des regards incendiaires. Elles riraient de leurs propres peurs. Ensemble, elles réfléchiraient au roman à naître, à celui qui prenait forme. Elles échangeraient leurs idées plus folles les unes que les autres, libérant leur imagination et leurs rêveries. Elles se raconteraient le passé, le présent et l’avenir, les attentes et les premières désillusions, les troubles et les espoirs.

Puis elle rejoindrait l’aïeule dans la chambre fleurant la lavande. La grand-mère somnolente l’attendrait, lui poserait quelques questions avant de s’endormir, rassurée. Par la fenêtre ouverte, elle verrait les arbres nocturnes, rendus difformes par tant de fantasmagories. Elle écouterait le souffle pénible de l’endormie, déchirée à la pensée de la perdre. Puis elle sombrerait elle-même dans le sommeil, abandonnée à l’été.

Oui, tout cela était bel et bien dissous, livré aux souvenirs et à l’amour. La jeune femme sur le bateau eut un sourire mélancolique. Dans la valise derrière elle, le livre achevé avait enfin trouvé sa voie. Ni tout à fait le même, ni tout à fait autre que celui qui devait être. Et jamais elle n’avait oublié, sous le crépitement de la plume, les sensations qui en avaient pressenti le sens.

L’écume lui parlait de choses étranges et lointaines en fouettant la coque du bateau. Des fragrances marines pénétraient son être de désirs. Bientôt ces soirs d’été aussi retourneraient à l’éphémère. Mais par elle, en elle, ils deviendraient éternité.

Un beau texte très visuel puis evocateur d'une periode révolue : les transitions se font insensiblement, et les deux illustrations qui encadrent le texte nous introduisent dans un univers à la fois onirique et vécu. On a le texte et l'histoire du texte, bien joué !

Merci !

J'aime beaucoup ce que tu fais Lîlâ.
Vraiment très beau, poétique et toujours très bien écrit.
Je suis étonné du peu de crédit que tu t'accordes. Tu devrais essayer de te faire publier.

Je n'ose pas.

Et puis je n'aurais pas assez de textes vraiment achevés pour les proposer à un éditeur. La plupart ont été abandonnés en route.

Lîlâ a écrit:

Je n'ose pas.

Et puis je n'aurais pas assez de textes vraiment achevés pour les proposer à un éditeur. La plupart ont été abandonnés en route.

Si tu veux un p'tit coup de pied au derrière, je peux te rendre ce service !

Chiche.