L’homme qui n’avait pas le temps
Il habitait près de chez moi Je le voyais venir toujours pressé. Il n’était en rapport avec personne et ne saluait non plus.
Aucun ne le voyait sortir ni personne ne lui rendait visite.
On m’a raconté que pendant sa jeunesse il menait une vie normale ; il étudiait, il avait des amis, amateur du sport il vivait seul et intellectuellement il avait été un enfant prodige : à l’age de trois ans ,il lisait déjà.
Après la mort de ses parents, tout avait changé. Il était venu vivre à l’ancienne demeure paternelle, s’y était confiné et avait pris distance de tout ce qui faisait partie de sa vie de naguère. Il avait même décroché le téléphone, pour ne pas perdre le temps.
Quel mystère cachait cette demeure, quel secret y régnait-il ?
Une femme peut-être qu’il voulait garder pour lui seul, c’était possible puisqu’il était un misanthrope.
Rien de cela n’était vrai. Il était retourné pour la bibliothèque, oui ! pour cette bibliothèque qui l’avait fasciné pendant son enfance.
La première de ses grands-parents, se composait de 10.000 volumes. Ses parents l’avaient amplifiée de 5000 volumes de plus, et lui en achetait davantage.
Les premiers ceux de ses grands-parents étaient de vrais joyaux, brochés en cuir, le dos en lettres dorées, et concernaient toute la littérature ancienne, religieuse, récits de voyages, il voulait lire tout.
Celle de ses parents, littérature contemporaine, auteurs du monde entier, il voulait lire tout. Et vite puisque le temps lui manquait.
Un livre par jour, 25 ou 30 par mois, je n’ai pas fait le compte, il lisait sans répit.
Il a commencé à se débarrasser de meubles pour avoir plus de place sur les murs et même par terre des colonnes montaient bouchant les fenêtres. Ni le soleil ni l’air frais ne pénétraient.
Lui, affairé calculait le temps qu’il lui faudrait pour finir la lecture.
Une femme de ménage qui venait une fois par mois nettoyer cet appartement, disait que l’ambiance était terriblement malsaine.
Les livres tombent malades , comme nous les humains. Ils sont attaqués par l’humidité, la décrépitude, ils perdent des feuilles comme nous les cheveux. Mais surtout une odeur de pourri, rendait ce lieu insupportable.
Lui , il vivait coincé entre un grabat, une petite table avec une lampe de bureau, une cafetière et des cigarettes Il était presque invisible entre ces milliers de livres qui l’entouraient comme des murailles
Je le voyais de temps en temps, retournant à la hâte de son travail, qu’il avait cherché tout près, pour ne pas perdre du temps
Au fil des années, son aspect se révélait de plus en plus minable , son visage pâle et livide, ses yeux rougis, son corps, autrefois bien bâti, était maintenant courbé et ne pouvait se redresser. Lire était devenu son addiction, sa drogue, son obsession.
Un jour il arrive chez le médecin, et il jette sur le bureau une série de radiographies et lui demande d’une voix ferme :
-Combien de temps me reste-t-il ?
Il soutient le regard du médecin, impassible et sans crainte. Celui ci lui répond :-trois mois-
Alors il pense à haute voix :
« il faudra que je lise les plus importants »
une musique pour un digne adieu
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