Parole de poète
L’œuvre est humanité. Le genre humain n'a jamais cessé de transformer le monde, la boutade - on juge l'homme à ses œuvres - recèle une réflexion profonde qui vient du fond des temps, quand l'on mesurait la fragilité de la vie face aux éléments rebelles.
L'invention du langage fut une ruse : rappelez-vous Ulysse et le Cyclope !
On nous a appris que les premiers hommes s'habillaient de peaux de bêtes, il eût été plus juste d'affirmer qu'ils s'habillaient de mots. L'homme et la femme sont donc des fables. Comme leur société. De sorte que rien n'est achevé, que leur vie reste à rédiger perpétuellement. Comme leur société. C'est là voyez-vous que la poésie ne peut être innocente. Celui qui met à profit cette ruse pour ruiner ses semblables abuse du pouvoir de la fable, c'est un virus. Et le poète qui reconstruit indéfiniment le réel, un homme d'intérêt public pour la cité. Parce que sa langue, sociale par essence, la fonde. Nous sommes ici au cœur de la dispute entre libéraux et démocrates. Les premiers qui ne raisonnent et n'agissent qu'en fonction du profit qu'ils peuvent tirer de vous. Les seconds qui sont tenus par un contrat avec ceux qui les ont élus et qui ne peuvent qu'agir dans l'intérêt public. Projet toujours à l'ordre du jour !
Le poète est d'actualité: il met à jour et réinvente le monde.
Non un doux rêveur comme le voient les libéraux mais l'architecte d'une œuvre non avenue. J'esquisse là des voies inconnues, c'est le but de cette réflexion et aussi sa faiblesse. Le poète non élu par principe va fouler les plates-bandes des élus ! Lieu blanc et ludique ! Indéfinissable d'avance, sous peine de se contredire!
Alain Wexler, Verso N° 135
Juger un homme à l’aune de ses œuvres ? Jugement tout à fait impossible du vivant de l’auteur, celui-ci ne pouvant être le contemporain de ce qui n’existera au mieux qu’après sa mort…
Jugés sur nos actes, en revanche, nous le sommes tous de notre vivant, mais par qui ? Les juges, les flics, le tout venant, notre concierge, la voisine du dessus, les inconnus qui prétendent nous connaître…
Ecrire est un acte suivi de conséquences incalculables pour celui qui écrit, pas pour l’éditeur- ou devrais-je dire plutôt l’éditueur ? – ce libéral qui fait de l’argent avec le talent de qui lui vend le fruit de son travail.
Tous les éditeurs vous le diront : ils ne publient pas de littérature, ils publient des livres. La valeur d’usage leur importe peu, seule importe la valeur d’échange. Le livre est une marchandise, et pas la plus rentable. Alors la parole invendable des poètes là-dedans ? Ils ne font pas œuvre de leur vivant, ils écrivent des phrases invisibles. Ni libéraux ni démocrates, ils sont démocritiques et foncièrement antilibéraux. Ils n’ont pas voix au chapitre.
Il n’y pas de parole fondatrice en ce monde. Chacun prêche pour sa paroisse, c’est tout.
La parole d’intérêt public du poète, pour reprendre les termes d’Alain Wexler, elle est constamment étouffée par ceux qui ont en charge d’organiser la circulation du sens dans nos sociétés, j’ai nommé les éditeurs, ces grands censeurs au petit pied. Le poète n’est ni un élu ni un marchand de savonnettes. Il n’est pas rentable, on ne l’écoute pas. Sa parole est souvent difficile. On la dit hermétique. Elle peut l’être délibérément, mais parfois elle n’est obscure ou absconse que pour les gens de peu de culture…
Cette parole plurielle se survit dans des revues. Su le ton de la confidence, le poète remue ses mots pour un petit cercle de lecteurs. Il ne peut espérer plus.
Jean-Michel Guyot
30 mai 2009
