L'indicible (nouvelle)

Elle lui avait dit de sourire. De s’ouvrir à la page comme à un monde vierge de sens. Démiurge, il devait créer la lumière par le verbe. Il avait acquiescé en silence. Le silence.

Et à présent qu’il regarde cette feuille veinée d’ivoire, il sent en lui jaillir la folie, vermine de ses propres entrailles, angoisse tenace qui lui martèle l’âme.

Age d’homme et de jouissance, âge où la vie offre ses tourments et s’essouffle sur la vitre muette. La pluie fouette le carreau, derrière ce rideau pourpre sur lequel vacille la flamme d’une bougie abandonnée. Il observe les caresses des ombres entrelacées, prend la plume, écrit un mot.

Ephémère.

Il contemple ce mot, ses courbes suggestives, ses lames qui pénètrent la terre et le ciel.

Puis le raie avec fureur, avec cette rage contenue de l’impossible. Il ne peut pas. Il n’arrive pas à dire ce qui est là, en lui, à l’affut entre ses lèvres closes, ce qui si souvent a été fait musique, peinture, écriture. Lui ne sait pas. Il ne parvient pas à exprimer cela qui ne peut être dit, cela qui recueille ses pensées.

Il voudrait hurler, laisser fuir ce cri primaire, issu de la nuit des temps, des temps de l’homme. Il n’a jamais douté que l’art seul pouvait dire cette détresse, ces espoirs, ces illusions, et les modeler en beauté. Mais où trouver la clef de ce mystère, où découvrir la porte des songes et saisir l’encre qui l’ouvrirait ?

A nouveau il prend la plume, à nouveau il trace un mot, lentement, prudemment, craintivement.

Neige.

Un mot doux sur la langue, subtil comme un rêve que l’on voudrait retenir, que l’on laisse échapper pour ne pas le briser par une trop forte étreinte.

Une larme irise sa vision. L’angoisse remue, sourde, aveugle au monde. Il déchire la feuille. Une autre apparaît, identique, toujours si blanche, si pâle, à peine marquée par les vagues de la flamme vacillante, là-bas, au loin.

Ses mains se crispent, ses veines deviennent saillantes, ses paupières se plissent et ne laissent plus apparaître que le feu de ses prunelles maladives. Il serre la plume, si violemment que la pointe transperce sa chair. Une goutte de sang perle. Il ne la sent pas. Il se penche sur la feuille, et écrit. L’encre est vie, qui coule sous ses doigts, qui trace des lignes déliées sur le papier, qui délivre les mots de son être.

L’encre est vie, qui dans le sang de l’écriture offre cette ultime respiration.

Je croyais que tu avais un blocage ?
Tu as trouvé ton âme soeur hier soir, ou quoi ?

Magnifique, Lîlâ !


Ecrire sur le syndrome de la page blanche...
C'est le comble !

Non, je viens juste de le faire, d'un trait. Je suis plutôt du genre à pratiquer l'écriture pseudo-automatique qu'à ruminer mon texte des heures et à le retravailler sans fin...

Et puisque j'ai un blocage, autant parler de ça, à défaut du reste, non? Autant faire parler ce qui est en moi concernant ce point, puisque je ne sais parler de "cela qui ne peut être dit".

C'est pas très gai, mais l'écriture transmet ce prétendu echec.

En faire une unité autonome me paraît difficile, je verrais bien ce texte comme une phase dans un récit plus long dont il ne serait qu'un épisode, une mauvaise passe, un malaise ressenti ponctuellement.

belles images bien choisies, la deuxiéme est promesse.

Presque triste, mais joli, Lîlâ

C'est un très beau poème en prose Lîlâ.

Désolée, mais écrire du joyeux, je ne sais pas faire. Encore moins qu'écrire tout court.

J'ai beau faire, je n'arrive PAS à écrire des choses légères, gaies, printanières. L'écriture est avant tout pour moi un moyen cathartique. D'où le fait que ça s'apparente souvent à une sorte d'écriture automatique, ou que ça puisse avoir un côté "surréaliste".

Rotko, je vois ce que tu veux dire. Mais je ne vois pas, en revanche, ce que je pourrais écrire d'autre autour de ce texte.

Il fait écho au texte de Soussou, je trouve, la naissance et ses diverses étapes, très beau Lilâ.
Au fil des pages blanches noircies par l'encre, la renaissance s'écrira à l'encre sympathique.


Je suis émue par vos mots à toutes les trois, émotions, sincérité, vous êtes touchantes.

Merci...

C'est vrai que mon texte ressemble un peu à celui de Soussou. Plus tourmenté, sans doute, plus sombre. Mais l'idée est sensiblement la même.

Et n'oublions pas Michaux : "Quelle drogue prendre pour avoir l'écriture facile?"

Il fait écho mais cela n'est pas le même moment, on pourrait imaginer qu'après le tien vient celui de Soussou, libération, naissance à venir.
Pour l'écriture facile pfff... l'oubli ? pour créer, je pense parfois qu'il ne faut pas penser.
Pas penser à ce que l'ont fait, s'oublier, se projeter dans les mots pour écrire ou dans le tableau pour peindre.
Je ne sais pas, j'essaye ça pour le moment.

Idem. C'est pour cela que j'ai employé le mot "surréaliste". Plus je retravaille, plus je conceptualise, raisonne, veux bien faire, plus c'est mauvais. Les textes qui ont recueilli le plus de compliments sont ceux que j'ai écrit dans un état second, en me laissant porter par les mots sans réfléchir. Je n'oublie pas, non, je n'oublie rien. Mais je m'abandonne à ce qui est en moi et je le laisse parler.

D'où, peut-être, un côté très sombre.

La peinture est un stade ultérieur. Je prends le pinceau quand je n'arrive même plus à former le moindre mot.

En fait, ce que tu dis peut être joint au commentaire de Rotko, selon lequel mon texte semble plus être un extrait qu'un monde clos. Dans ce sens, effectivement, la suite pourrait être une (re)naissance...

Ce texte n'est pas triste, il est douloureux quelque part, mais surtout tellement bien écrit que la tristesse passe au second plan. On n'y voit que ces mots qui glissent et se perdent et expliquent *
Lîlâ ne change rien et surtout écris, continues à noircir des pages, c'est le meilleur remède contre ce qui peut bloquer ou faire mal.
tu le fais parfaitement
triste? moi non plus je ne sais pas trop faire gai ! écris comme tu le sens dans tes tripes, c'est cela l'important et à mon avis tu es bien partie

Merci.

« Je veux qu’on se taise, quand on cesse de ressentir. »

Breton.

J'adore la citation de Michaux sur l'écriture facile.
Il fait échos à mes recherches d'étudiant du "stylo à la science infuse"...

Un calligraphe qui s'investit,jusqu'au sang.Presque comme un pacte entre lui et le mot.J'aime l'idée,l'ambiance de ton texte qui se dégage plus qu'une compréhension parfaite c'est comme une chanson qui sonne juste.

La magie des mots! Leur puissance d'évocation...
J'aime beaucoup, LÎlâ, la façon dont les mots naissent de ta plume, ce qu'évoquent les sons, la forme des lettres. C'est très bien écrit, en détaillant toutes les étapes ( un peu douloureuses peut-être) de cette éclosion. J'apprécie particulièrement la neige et tout ce qu'elle évoque. Il y a beaucoup d'émotion contenue dans ton texte. Bravo!!!

Comme quoi, il n'y a pas d'indicible, puisque la mission de l'ecriture est précisément de dire. Certains disent le manque d'inspiration, d'autres, l'absence de la personne aimée, d'autres, le vide de l'existence.
Si on prend un auteur comme Pérec, on voit qu'il a écrit sur les souvenirs enfouis ou les vérités pressenties et refoulées avec W ou le souvenir d'enfance ou l'absence avec la disparition.
Ce sont les thèmes ou les sentiments faciles qui donnent les écritures plates. bon anniversaire lîlâ

Merci Rotko, et merci à tous pour vos encouragements !

Effectivement, j'ai tendance à préférer transmettre (ou tenter de le faire) des sensations, des sentiments, des instants, des impressions, que des textes trop clairs, trop simples, trop évidents...

Et comme tu le dis, Rotko, c'est ce qui est le plus facile à la base qui fournit, à mon sens, les moins bons résultats...

D'ailleurs, c'est pour cela que mes textes ne sont jamais "joyeux". Je n'arrive pas à écrire cela, je trouve toujours le produit fade, sans intérêt, mal fait, comme si ça sonnait faux ou s'arrêtait à l'évidence sans aller plus loin.

un excellent texte, un peu difficile pour moi.C'est vrai qu'il pourrait faire partie d'un livre important, il le promet. Très contente de l'avoir lu, et continue sans hèsiter.