le déprimécelui qui ne veut plus qu'on lui coupe les ongles
comme un bébé fâché qu'on veuille le torcher
celui qui est malade et qui gémit dans l'ombre
en pensant à sa vie couchée sur les rochers
celui qui ne veut plus que des ciseaux lui viennent
à travers ses cheveux mettre à mal leur longueur
et crier en sifflant au trou de ses oreilles
qu'en les coupant on prend le reste de son coeur
celui qui comme un chien frôle en marchant les murs
et sourit aux passants avec un air coupable
et dont l'épaule bute à du ciment et sur
la brique se fait mal en éraflant le sable
celui qui revient seul sans femme et sans enfant
et qui voit son visage aux carreaux des fenêtres
et se voyant se hâte et détourne la tête
pour ne pas voir l'enfer ricaner en passant
celui qui en tâtant s'avance dans la salle
et reprend et repousse un souffle catarrheux
et trébuche et se cogne et comme un roi s'installe
avec force jurons sur son siège crasseux
celui qui ne veut pas voir qu'il devra mendier
dans un mois dans un an pour continuer à vivre
et qui croit encor croître et se multiplier
quand il fait une page et l'ajoute à son livre
(extrait de Fête nationale, Gallimard, 1992)