Mme de La Guette, Mémoires (1613-1676)

En voilà une femme bien courageuse. Son époux, militaire, étant presque toujours en campagne, elle eut une dizaine d'enfants à élever dans les tourmentes de la Fronde. Vivant près de Paris, elle dut endurer les désagréments causés par diverses troupes de soldats venus camper chez elle. C'est ainsi qu'elle perdit un de ses garçons, mort à sept ans de la frayeur que lui causa un soldat lorrain en le rackettant.

Un jour d'hiver elle glissa sur de la glace et se démit le bras en tentant de s'accrocher au mur. Un premier chirurgien fort médiocre ne fit qu'aggraver son état. Intervient ensuite M. de Cuvilliers, bailleul du roi, assisté de sa fille.

Citation :

On se prépara à me tirer à outrance : le bailleul se mit à cheval sur ce pauvre bras raccourci.

Elle parle de "bras raccourci" puisque celui-ci, était déplacé et comme entré dans le torse.

Citation :

Il me semblait qu'il l'avait allongé d'une pique. Quelle douleur épouvantable !

Je veux bien vous croire, madame, d'autant que vous ne faites aucunement mention d'une anesthésie !

Citation :

Le chirurgien et sa fille me le tiraient de toutes leurs forces, et deux autres hommes me le soulevaient en haut avec une serviette ; mon mari me tenait par le milieu du corps ; la bonne Mme Tronson voulut me tenir l'autre bras, et une autre personne me tenait les deux jambes, en sorte que je n'avais que la tête de libre pour la tourner à droite et à gauche. Je ne saurais penser aux douleurs que je ressentis sans frémir depuis la tête jusqu'aux pieds, car elles étaient si insupportables que je ne saurais les exprimer ; et le tout pour n'avoir pas été d'abord entre les mains d'un habile homme ! Je fus en cet état une heure entière.

Il s'agit pour le moment de décoller l'os du bras qui avait commencé à se souder à un endroit non correct.

Citation :

Je les priai mille fois de me relâcher, mais Mme Tronson s'y opposa fortement et dit : "Si nous la quittons, nous ne la retenons plus, et elle ne voudra jamais permettre qu'on la retouche. C'est pourquoi ne l'épargnons pas !" et en disant ces paroles elle les encourageait toujours de bien tirer.

Avec Mme Tronson pour sélectionneuse, l'équipe de France serait toujours dans la compétition, n'est-ce pas ?

Citation :

M. de Cuvilliers était tout en eau, comme si on l'avait tiré de la rivière, ayant fait de très grands efforts pour replacer l'os, en sorte qu'il n'en pouvait plus. Il se jeta sur le plancher et dit à sa fille : "Tôt, tôt ! voilà l'os préparé."

C'est la passe décisive juste avant le but.

Citation :

Cette bonne demoiselle reprend vite la place de son père et y agit si adroitement que tout d'un coup l'os fut remboîté. Je croyais entrer en Paradis, car ma douleur diminua tout d'un coup. J'en ai l'obligation entière à Mme Tronson, car sans elle le bailleul m'aurait abandonnée, et mon mari y aurait consenti, ne pouvant plus me voir souffrir et étant comme demi mort.

Et pourtant le mari était un dur à cuire, un fier à bras, un sacré gaillard !

Citation :

Quand les bandages furent faits, je demandai du vin pour boire à la santé de mes tyrans.

Attention ami lecteur car vient ici une pointe d'humour tout-à-fait extraordinaire...

Citation :

Je pouvais bien les nommer ainsi, car ils m'avaient bien tirée et s'y étaient employés de bonne façon.

Jolie chronique

je ne connaissais pas cette dame, et tu as eu du nez à la dénicher...

Oui, cela donne bien envie, mais je me demande si ce n'est pas le côté morceaux choisis + commentaires

Le texte des mémoires, sans l'introduction et les notes, tient dans 140 pages environ, et se lit très bien. C'est bien plus digeste que d'autres mémoires de contemporains, et on y découvre une femme qui, juchée sur un cheval ou l'épée à la main, est aussi à l'aise qu'un homme. Qui plus est elle s'est mariée à l'insu de son père, et elle a rencontré Mazarin et Anne d'Autriche !
Subitement il se vit mettre autant de coeur à vanter une lecture qu'un camelot en met à vendre un abonnement à un service de téléphonie sans fil, et il se demanda si cela n'était pas la preuve que la société de consommation dans laquelle il vivait depuis plus de tente ans avait déteint sur lui ; il se tut.

Tchipette a écrit:

Oui, cela donne bien envie, mais je me demande si ce n'est pas le côté morceaux choisis + commentaires

Bien envie bien envie tu as as de bonnes Tchipette elle a du souffrir le martyr cette pauvre femme!
Et merci à toi Troglo trop rares tes visites

troglodyte a écrit:

...Subitement il se vit mettre autant de coeur à vanter une lecture qu'un camelot en met à vendre un abonnement à un service de téléphonie sans fil, et il se demanda si cela n'était pas la preuve que la société de consommation dans laquelle il vivait depuis plus de tente ans avait déteint sur lui ; il se tut.

Je n'avais pas réellement trouvé ton côté "camelot"...alors que je ne supporte guère les réclames pour la téléphonie (enchaînée ou non).

Enfin, je l'ai lu d'une traite samedi, et t'en remercie, ce fut une lecture raffraîchissante...

Bien envie de me replonger dans l'histoire de la Fronde du coup...et même, pour tout avouer, de m'y plonger tout court.

Tchipette a écrit:

[...] Bien envie de me replonger dans l'histoire de la Fronde du coup...et même, pour tout avouer, de m'y plonger tout court.

Ce qui est chouette avec la Fronde, c'est que beaucoup de ses acteurs ont rédigé des mémoires ; il est jouissif de lire la version de chacun au sujet des mêmes évènements, et cela fait penser à ce que dit Démocrite : "la parole est l'ombre de l'acte".