Bernard Noel

Bernard Noël : Je ne connais pas grand chose de ce père Noël - même à la rubrique "Auteurs français" ici, il n'y a rien... Pas d'infos sur le bonhomme sinon qu'être chez POL est un gage de "bon" bouquin (a priori pour moi, BiBi). Alors je me suis lancé.

Je suis lire « La Castration mentale » de cet auteur de chez POL, sorte de livre-rubriques à Thèmes divers...
Deux extraits ont retenu mon attention .
1. « L’écriture s’oppose à l’agressivité malade, à la prise du Pouvoir, à la totalité triomphante parce qu’elle ne vit qu’en se remettant en jeu ».
Je pense - sourire amusé aux lèvres - à une vieille émission d’Ex-libris où PPDA parlait d’Antonin Artaud pour en faire une divine éloge, à ce Monsieur de Villepin nous bassinant avec son Amour de la Poésie et de la Littérature, à Feu Georges Pompidou qui avait un penchant pour la Poésie, à Feu-bis François Mitterrand qui aurait tout donné pour être un écrivain honoré et aimé des femmes. Tous un peu castrés mentalement, ces Hommes du Pouvoir.
2. « Nous avons quitté l’infini Divin pour entrer dans l’interminable Humain. Il s’ensuivit un déchirement, un déchirement que l’art et la littérature assument depuis plus d’un siècle, mais qu’aucun pouvoir, aucune forme de pouvoir, n’a jamais pris en compte, car tout pouvoir veut au fond rester absolu. Alors, comme au temps des Rois, notre Société fonctionne sur des figures, qui sont autant d’images dégradées de Dieu.
Il y a les figures de l’homme providentiel et le culte de la Personnalité, il y a les champions, les stars, les présidents, la loterie, le loto, le tapis vert. Il y a tout ce qui fabrique du vedettariat ; mais qu’est-ce qu’une vedette ? C’est un tout petit dieu qui ne peut guère vous dispenser qu’un…autographe. »

Pour moi, c'est plutôt bien des livres qui éclairent et qui jettent un peu de lumière sur les coins assombris du Monde.
BiBi

On a parlé de Bernard Noel ici, à propos de Sade.

Mais c'est vrai qu'il devrait avoir sa place au rayon poésie.

Il a aussi sa place au rayon auteurs en prose, et je dirais même au rayon érotique, avec le chateau de Cène chez L'imaginaire de Gallimard.

le narrateur évoque des souvenirs : les rites collectifs qu'il a connus et qui ont mis dans son lit une Emma, bien moins coincée psychologiquement que la Bovary.

Les scènes sont précises et très bien ecrites. Elle se savourent et se font désirer car des attentes existent, et on sent que ces chaudes amours avec Emma sont des préliminaires à d'autres épisodes.

A noter que Bernard Noel ne dédaigne pas d'employer des mots précis, parfois familiers, sans tomber dans la vulgarité.

Un avis sur ma lecture du Château de Cène ( c'est un peu long mais j'ai du mal à faire autrement)

Ce recueil de textes est composé de deux récits: Le château de Cène et Le château de Hors, et de deux essais ou textes critiques : L'outrage aux mots et La pornographie. Je n'ai lu que Le chateau de Cène, et L'outrage aux mots.
Ecrit dans les années 70 , l'ouvrage fut interdit à la vente et l'auteur accusé d'outrage aux moeurs.
Autant annoncer la couleur: il ne s'agit pas que d'un récit érotique mais plutôt d'une plongée au coeur de l'innommable, de l'inacceptable comme le qualifie l'auteur. L'une des scènes, zoophile, fut d'ailleurs censurée pendant très longtemps par l'auteur lui-même. C'est cette dernière scène suivie d'une autre, très gore, que je ne dévoile pas, qui a provoqué chez moi une nausée bien loin d'être figurée!!!!!!!!!!!!
Bon. Voilà pour l'aspect trash. D'aucuns diront que tout de même, depuis la reconnaissance dans les milieux littéraire de Georges Bataille, à juste titre, on a ouvert la porte à ce genre de littérature subversive en diable, et que des choses bien plus choquantes se sont écrites depuis... ( entre parenthèses si certains écrivains d'aujourd'hui revendiquent cette liberté absolue, ils la doivent, non pas seulement à Bataille, mais aussi à des gens comme Bernard Noël...) Et c'est vrai. Mais la fameuse scène des chiens et sa suite, placent tout de même le récit dans la catégorie des ouvrages réservés aux adultes, et pas à n'importe quels adultes... Nous n'avons pas tous le même seuil de tolérance face à ce genre de subversion, et moi qui en ait un plutôt étendu, j'avoue avoir éprouvé très concrètement mes propres limites.
Mais : quelle écriture remarquable!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Poétique, extraordinairement moderne ( si l'on se réfère aux années 70), puissante, pleine d'un souffle onirique, métaphysique, et au final critique...
Certaines phrases sont dignes des plus grands poètes :
" Le temps va me prononcer, m'accoupler avec les autres. Je m'immobilise, je me prépare à être absolument le signe de moi-même...", et je pourrais en donner des dizaines d'exemples. On est d'ailleurs souvent dans un univers surréaliste et pictural... l'image dépassant le sens, la musique des mots créant l'image...


Enfin, en ce qui concerne Le chateau de Cène, on pourrait aussi, proposer une lecture beaucoup plus métaphorique, et c'est L'outrage aux mots qui nous permet d'infirmer cette lecture: tout cela n'est qu'une réflexion en action, transposée dans un imaginaire débridé, sur le langage, sur l'écriture, sur l'acte d'écrire et l'objet écrit lui-même... :
" On n'écrit pas pour dire quelque chose, mais pour délimiter un lieu dont nul ne pourra décréter qu'il n'a pas eu lieu."
Le langage est sublimé dans le "mal", et surtout libéré, en pleine mutation poétique:
" Nous vivons dans un monde bourgeois, où le vocabulaire de l'indignation est exclusivement moral - or, c'est cette morale-là qui massacre et qui fait la guerre. Comment retourner sa langue contre elle-même quand on se découvre censuré par sa propre langue?"

Je terminerai en disant qu'il m'est impossible de conseiller cette lecture. Mais je tenais juste à vous faire partager l'expérience qu'elle a été, et la richesse dont elle est porteuse.

Citation :

Je terminerai en disant qu'il m'est impossible de conseiller cette lecture. Mais je tenais juste à vous faire partager l'expérience qu'elle a été, et la richesse dont elle est porteuse.

C'est bien dans les cordes d'un forum. J'ai eu aussi des echos assez proches, et je le lis à petites doses : : 40 pages au départ, j'aborderai la suite ce soir.

Je trouve décevant de la part des lecteurs que de n'entendre jamais que des réactions sur le contenu dit trash du livre... "Innommable", si vous voulez, encore que ce terme semble détourné du sens où Bernard Noël l'avait déposé...

Ce n'est pas de la provocation, la quête d'une nausée, d'une horreur - encore qu'elle est révélatrice de la pudibonderie et du manque d'ouverture universel du lectorat -, d'ailleurs Le Château ne choque plus le moins du monde aujourd'hui, mais bien la quête du corps, de son essentielle absence de limites, de sa liberté enfin assumée. C'est du plaisir qu'il faut prendre avec ce livre, à mon sens, et le lecteur y est maintes fois invité...

La plénitude corporelle par la parole, c'est tout l'art de Bernard Noël. Il ouvre notre corps, notre esprit, et y rentre avec beauté. Se refermer comme une huître avec la scène des chiens est une réaction un peu stérile, je pense, et l'expérience est à retenter si elle a déplu au départ...


Enfin l'idée de l'écriture est assez évidente, je crois, Mona est dans le livre même décrite comme l'incarnation de la poésie. Mais il ne faudrait pas non plus arrêter sa lecture à ce point.

Et bien si tu lis mon avis dans le détail tu liras aussi que j'ai aimé l'écriture de Bernard Noêl, et que j'y ai pris un grand plaisir : je pensais que c'était clair. La poésie est en elle-même, porteuse et créatrice de plaisir.
Que l'idée d'une mise en scène de l'écriture au travers de Mona soit banale, je te le concède. Au moins ma lecture a tout de même eu le mérite de ne pas s'arrêter à " l'innommable" de la scène de chiens ( et là désolée mais il ne me semble pas faire preuve de la pudibonderie excessive du lectorat dont tu parles, mais juste d'affirmer des limites qui sont les miennes : cette scène m'a indisposée, oui, maintenant un auteur a le "droit" d'indisposer ses lecteurs, ce n'est pas moi qui te dirai le contraire!).
Dans L'outrage aux mots, Bernard Noêl dit des choses remarquables sur le langage, la langue, et la pudibonderie dont tu parles, et j'adhère complètement à ses idées.
Je me permets donc de nuancer quelque peu les choses, cela m'ennuierait que l'on me prenne pour ce que je ne suis pas ( une lectrice pudibonde!)

June a écrit:

cela m'ennuierait que l'on me prenne pour ce que je ne suis pas ( une lectrice pudibonde!)

bien sûr, et comme j'ai eu connaissance de réactions proches assez voisines des tiennes, je prends mon temps, mon plaisir et des précautions pour ne pas rater l'oeuvre.

Citation :

Mon sexe est dressé devant toi, et c’est à lui qu’ainsi assise et nue tu parles, avec un bruit d’expiration qui fait que chaque mot agonise longuement entre tes dents:

- Mon savouret, mon babel mon doigt mon félon mon agu mon niquet ma noisette mon plant mon alouvi mon braquet mon léchart mon gobelet mon chevillon ma dardèle mon pileret ma putie mon rapineux ma quintaine…

je continue la lecture et les impressions sont fortes dans une grande economie de mots. Les mots crus produisent une émotion que des termes plus anatomiques détruiraient en rendant les scènes abstraites.

Pas de danger ici ! tout est bien visuel, entre réalité et fantasme ("je me souviens" glisse de temps en temps le narrateur), entre fantasme et fantastique, car on est introduit dans un monde hors du réel avec des portes cachées, des capsules, des scènes vécues avec un double.

je pense que ces sènes visuelles devraient être illustrées, non par un cinéaste car le contenu n'est pas projetable, mais par un dessinateur qui ponctuerait le texte de ces personnages fabuleux que sont les chiens ou les nègres immenses.

Ces dessins amèneraient une pause dans la lecture. Le chateau de Cène, alcool fort, ne se lit pas d'une traite, à mon avis.

Oh, si, c'est possible (enfin bon, je lis souvent d'une traite, personnellement).

Attends d'arriver dans les derniers chapitres, tu verras que l'idée d'illustrations, du moins est-ce mon avis, devient tout à fait inutile et fatalement inachevée.

j'adapte mon rythme de lecture au texte.

à suivre...

des entretiens de Bernard Noel

Claude Margat, Questions de mots – Entretiens avec Bernard Noël, editions libertaires

Sur le ton de la conversation amicale, Bernard Noël et Claude Margat parlent de Zao Wou-Ki, de la Chine, de l’écriture, de L’Outrage aux mots, des dégâts de la télévision, des grèves, de la Commune de Paris, de fantômes, de révolution…