Joseph Kessel

Je n'ai rien vu sur lui, ni même son nom dans aucun index des auteurs ! Peut-être me suis-je trompée ?
Quoi qu'il en soit, je vous fais partager ma dernière lecture, accrochez-vous, c'est un peu long...

Je tourne la dernière page d’un livre grandiose. Il m’a fallu deux jours pour galoper le long des 600 pages de cette aventure. Deux jours. J’ai la nuque cassée et les mains raidies par cette longue course ! Et dès les premières pages, j’ai compris. J’étais aspirée, envoûtée, saisie par une écriture d’une grande poésie, enveloppée par le souffle de l’épopée. Et je me retrouve maintenant essoufflée, les yeux emplis de tant de paysages, de tant d’hommes, tant d’émotions !
Cela se passe en Afghanistan. Dans un Afghanistan sauvage et brutal, noble et multicolore. Un Afghanistan loin des tragédies d’aujourd’hui, loin des talibans, et dans lequel on passe encore sous l’ombre imposante des Bouddhas de Bamyian. Il est rassurant de voir qu’un pays existe aussi dans des aventures qui ne sont pas guerres et tortures. Kaboul reprend sa noblesse, ses couleurs orientales, ses tissus chatoyants… Et tout l’Afghanistan se pare de ses plus belles soieries, de ses plus beaux bijoux… Les peuples se rencontrent, les hommes s’aident, s’aiment, se haïssent… A dimension individuelle, et non plus civile. Quelle bouffée d’oxygène !
Pourtant, ce n’est pas un monde tendre que nous décrit Kessel dans ces pages. C’est d’abord un monde profondément masculin. Le seul personnage féminin qui compte, c’est une petite nomade, à la lisière de l’innocence et de la vénalité, déchirée entre l’humilité la plus dévouée et l’ambition la plus dévorante. D’autres femmes parcourent le livre, bien sûr. Je me souviens de l’Occidentale aux bras nus, face à laquelle le regard se détourne, l’infirmière impudique que l’on fuit au plus profond de la nuit, la belle Pachtou juchée sur son immense chameau, que l’on refuse de regarder parce qu’une femme n’a pas sa place aux commandes, la vieille femme, enfin, sur le point de mourir et à qui l’on daigne faire l’aumône d’une dernière visite. Mais les femmes ne font que passer.
C’est ici un univers d’hommes, un monde viril et brutal, sauvage, où les sentiments restent enfouis au fond de larges poitrines habituées à la lutte et à la douleur, où l’amour étouffe le cœur mais n’illumine le regard que quelques secondes, et encore lorsque personne n’est là pour surprendre ce regard. Là, les hommes se battent, se jettent des défis à cheval, à l’occasion d’un jeu célèbre et solennel qu’il faut découvrir, dès les premières pages, raconté par un des personnages les plus attachants du livre, Guardi Guedj, l’Aïeul de Tout le Monde. Un vieillard sans âge qui promène sa silhouette sans poids, à travers les pages du livre et à travers le monde, et transmet la sagesse par les histoires qu’il raconte au peuple, captivé et respectueux.
Les destins ici se nouent, se croisent et se jouent, dans la rudesse et dans la violence d’un monde sans pitié. On aime les personnages autant qu’on les hait. Rien n’est en demi-teinte, les portraits sont aussi tranchants que les poignards afghans, les rapports humains sont aussi durs que les combats d’animaux qu’affectionne Ouroz, l’homme torturé dans son corps et dans son âme, déchiré d’orgueil, que nous accompagnons dans sa longue traversée de l’enfer. Les combats d’animaux… Ils sont au nombre de deux. L’Occidentale mesurée et calme que je suis a souvent frémi de colère dans ses deux passages : comment peut-on aimer, chérir et protéger des êtres que l’on envoie au combat avec la certitude que l’un des deux va mourir ? Je n’ai pas trouvé de réponse. Si ce n’est qu’ici, la souffrance physique témoigne de la souffrance de l’âme, celle que l’on garde cachée. Ici, on sacrifie son corps, on risque sa vie, on tolère des douleurs inouïes, à la recherche d’une paix qui semble inaccessible, sauf au vieil Aïeul. La douleur du corps exprime tant dans ces pages : L’orgueil déchirant, la quête infernale de la reconnaissance d’un père illustre, l’angoisse étouffante de vieillir et de devoir passer le flambeau, l’épouvante à l’idée d’avoir besoin d’un autre être pour être soi-même, le refus de comprendre l’autre, de se laisser aller à la compassion…
Les flots de rage et d’amour que charrient ses pages sont impétueux. Rien n’y résiste. Pas même le lecteur, qui perd toute mesure, tout contrôle, toute nuance. La quête de la paix emmène sans cesse les personnages au bord d’un abîme sans fond, où la tentation de sombrer dans la violence la plus abjecte est là, la quête de la sagesse les jette vers des gouffres torturés de folie, la quête de l’amour les conduit vers les actes les plus criminels… Et pourtant, on les aime, ces personnages, on les admire, ils nous fascinent… Et on garde au cœur, jusqu’à la dernière page, l’espoir qu’enfin ils trouvent la paix.

Tu as bien fait ! on a parlé de lui incidemment. Pour ma part je ne le connais pas, mais je crois comme toi que les "Cavaliers" serait son meilleur texte.

"le lion" m'a semblé surfait, avec ses fins de chapitre sur "les neiges du kilimandjaro"...

Bon, pour relancer un peu la discussion...
J'ai lu la semaine dernière La Vallée des Rubis.
Je vous livre la première phrase :
"C'était un dimanche d'automne... Il bruinait depuis le matin. Le ciel de Paris touchait presque l'ardoise luisante des toits."
Là-dessus, notre narrateur se promet une retraite calme et inactive, quand un ami surgit chez lui, évoquant, le regard pétillant, la lointaine Birmanie, les précieux rubis que l'on ne trouve que là-bas, un trésor inimaginable disparu on ne sait où, un brigand mystérieux mort sans livrer sa fortune... Vous vous y attendez, les promesses retournent d'où elles viennent, notre narrateur fait ses bagages, et les voilà partis, lui et son ami, dans cette lointaine Birmanie, dans la haute vallée de Mogok. Une halte très exotique en Inde donne le ton, les moyens de transport sont... pittoresques et les couleurs enchantent le regard.
Mais le ton reste intime, profond, comme étouffé au cœur de la grande forêt de Mogok, pudique comme le sont les Birmans, d'un éclat discret mais sûr. Les rubis, bien sûr, sont le motif du voyage (l'ami du narrateur est marchand en pierres précieuses), mais aussi l'aventure, le voyage, et la quête des rubis qui constituaient la fabuleuse fortune disparue du brigand mort...
Kessel adapte son écriture à la pudeur des personnages, à la dignité orientale, à la discrétion nécessaire à tout Occidental pénétrant en Birmanie, à la diplomatie des négociants, vendeurs et acheteurs, de pierres précieuses. Au passage, il nous fait pénétrer au cœur des immenses forêts, des modestes maisons et des profondes mines de rubis...

A mon résumé, vous devinerez que La Vallée des Rubis n'a pas provoqué le séisme qu'a déclenché Les Cavaliers, lu juste après. Malgré cela, c'est un livre que je conseille à ceux qui ont besoin de dépaysement et qui aiment ce genre d'aventure.

Je suis à la moitié des "cavaliers" de Kessel, que je n'ai jamais eu le courage de lire jusqu'à présent....

Ca sent son "académie française", voire les "belles pages de français" pleines de descriptions sublimes de paysages, levers et couchers de soleil, scènes de foules colorées et exotiques dont raffolaient nos instits d'autrefois.

Ca c'est le moins...

Le plus c'est l'analyse très moderne de Kessel des rapports des hommes et des femmes et de la socio politique de l'Afghanistan.
Il est très en avance sur son époque, quasi visionnaire, je dirais, au vu du pays maintenant.

Coïncidence, il parle beaucoup de la burka

J'ai entendu du bien des cavaliers, mais le lion m' a paru surfait, en particulier avec ces belles phrases qui finissent chaque chapitre sur le kilimandjaro.

Sur son côté visionnaire, pas seulement en Afghanistan, l'actualité montre bien que les femmes n'ont pas tous les droits : un rire trop fort, et on vous confisque le passeport, c'est dans le Monde d'hier, avec une photo de femmes en burqa sur la plage.

Citation :

Sur les plages de Gaza, les femmes ont désormais intérêt à ne pas rire trop fort, sous peine d'une réprimande de la police du Hamas. Asma'Al-Ghoul, une journaliste palestinienne âgée de 27 ans, connue pour ses écrits prolaïcité et son dédain farouche du hijab, le voile islamique, peut en témoigner.

Spoiler:

Quant au port du pantalon dont tu parlais sur un autre fil, au Soudan tu aurais eu le fouet !

Citation :

Une journaliste soudanaise se prépare à recevoir 40 coups de fouet mercredi pour avoir mis une tenue "indécente"(1), près de trois semaines après la flagellation de 10 femmes pour la même raison

(1) elle portait un pantalon.

l'affaire est toute récente.

Mandosiane a écrit une excellente et très belle critique des "Cavaliers"

J'en étais à la moitié quand j'ai écrit mes premières impressions .

Qui ont évolué au fil des pages...

Au début c'est effectivement un monde masculin et riche sans pitié pour les subordonnés, les femmes , les animaux.

Hommes dévorés par le paraître qu'ils nomment "dignité" et qui n'est que gloriole.

Puis les aléas de la vie se chargent de leur rappeler (au père comme au fils)qu'ils sont aussi vulnérables que ceux qu'ils méprisent tant.

Leur orgueil forcené les fera tenir et résister au désespoir, mais ils commettront des actes vils envers des inférieurs et des animaux, par vengeance,colère ou envie de prouver leur supériorité.

Puis ils regretteront, non face à leur conscience, mais parce que leurs actes seront connus et jugés par leurs pairs....

Sans se repentir, ils accepteront enfin leur sort, lié pour l'un à la décrépitude de l'âge, pour l'autre au refus des responsabilités adultes.
La fin est "ouverte".A chaque lecteur d'imaginer ce qu'il adviendra d'eux...
Ils m'en sont devenus bien plus sympathiques

Bonsoir, j’ai lu ton résumé des “cavaliers” de Kessel, et vraiment ton enthousiasme m’a touchée
La manière dont tu l’as décrit donne envie de le lire.
Dans un « marché aux Puces » ici en Argentine plusieurs étudiantes de Français, nous avons acheté parmi d’autres plusieurs de Kessel, j’ai trouvé que j’ai ce livre, mais en deux tomes,j’ai le 1er, un autre « le tour du malheur », j’ai le second seulement, un autre « l’équipage ». je n’ai lu aucun. Dommage, il s’est révélé écrivain d’un grand talent. J’ai cherché sur Google, il est né en Argentine journaliste, témoin de son époque et le cinéaste Buñuel s’est inspiré pour son bon film « belle de Jour » qu’on passe à la tv chez nous avec Catherine Deneuve d’un roman de kessel.
J’ai d’autres livres achetés dans ce bric- a-brac dont je ne connais pas les auteurs et ils sont intéressants
peut-être.
Merci pour ton excellent post

bonsoir Fontelle, ton avis sur le livre de kessel, me fait voir que parfois une deuxième lecture change notre premier point de vue, et c'est bon de lepartager
Merci

Amadak, je suis très honorée par ce que tu dis et je te remercie.

Il semble que Kessel n'ait écrit qu'un seul livre qui remporte tous les suffrages:" Les cavaliers"

-"Le lion"est connu aussi mais les avis divergent (je ne l'ai pas lu)

Le reste de sa production littéraire n'a pas bonne presse....
sauf
- "Fortune carrée"
-"Belle de jour"
-"la passante du sans souci"

les deux derniers titres ayant donné jour à des films

Citation :

J’ai d’autres livres achetés dans ce bric- a-brac dont je ne connais pas les auteurs et ils sont intéressants
peut-être

Peux tu nous donner les titres et les auteurs ?
Histoire de voir ce qui se vend chez toi dans les brocantes

L'histoire
Dans le grand parc royal qui, au Kenya, s'étend au pied du Kilimandjaro, Patricia vit en toute familiarité avec les bêtes sauvages peuplant ce vaste territoire. Buffles, zèbres, gazelles ou guépards ont aussi appris à connaître la jeune enfant avec laquelle le lion King se transforme en gros chat débonnaire et caressant. Il est vrai qu'elle l'a recueilli alors qu'il n'était qu'un lionceau aveugle et sans défense. Mais le parc est traversé par les fiers guerriers masaïs. Et le plus orgueilleux, le jeune et vigoureux Oriounga, n'a qu'un rêve : affronter le grand Lion.

Mon avis
Ce qui m'a séduite de prime abord, c'est l'écriture de l'auteur. Fluides, les mots de Joseph Kessel glissent en nous comme un ruisseau, raison pour laquelle j'ai dévoré les pages de ce roman en moins de vingt-quatre heures. La beauté des mots choisis donnent le sentiment que ce roman est un long poème, mais c'est également un roman d'aventures. Le narrateur, à l'origine simple touriste, se laisse embarquer par une petite fille, qui lui fait découvrir la brousse et ses secrets les plus intimes. Il quitte les sentiers battus, ceux destinés à l'origine aux touristes, pour littéralement "partir à l'aventure" en compagnie de cette initiatrice insolite.
Le Lion, c'est également une tragédie. On ne nous dit pas comment l'histoire va finir, mais on sait qu'il y aura "un dénouement" ; c'est du moins l'intime conviction du narrateur. Plus encore, "cela finira mal", telle est la conviction de Sybil. Tragédie d'une enfant, qui n'aime pas le monde des adultes, à la manière du narrateur du Petit prince, mais qui devra bien devoir le connaître un jour.
Le Lion, c'est enfin une peinture du Kenya colonisé, d'un monde à la fois enchanteur et cruel. Magnifique d'aspect, mais terrible au-delà des apparences. Sybil ne s'y est pas trompée :

- Je comprends, je comprends, dit Sybil. Vous trouvez que c'est merveilleux ici. Naturellement... pour quelques jours... en amateur, en passant. Mais faites-en votre existence ordinaire et vous verrez. Moi aussi dans les premiers temps, j'allais partout avec John, et je trouvais à tout beauté, charme, aventure, poésie... Et puis, peu à peu, c'est venu.
La jeune femme n'avait pas besoin de nommer le sentiment à quoi elle faisait allusion. Il n'était besoin de voir que son visage. C'était la terreur.

En conclusion, je ne peux que vous recommander de lire ce livre, qui a rôdé des années durant dans ma bibliothèque, pour enfin m'illuminer tel une révélation. Un sans fautes.


20/20
Absolument immanquable

magnifique histoire que le lion de Kessel, je l'avais lu très jeune, et puis je l'ai relu, et... je le relirais bien encore !

20/20 ah kervinia tu es généreuse, mais kessel lemerite !

je lui enlève un point donc 19 pour avoir dans plusieurs fins de chapitre utilisé "les neiges du kilimandjaro". là il a abusé bon dimanche

si j'y reflechis, je lui enlève encore un point pour l'abus des lunettes noires chez la femme > 18, mon dernier prix

Il y a des jours où on a envie d'être généreux