Scribouillis et grabouillages

C'était mon premier meurtre

Les contes du grand frêne

C'est l'hiver, ma saison préférée.
Quand il neige ainsi à gros flocons. Quand la terre et le ciel se rejoignent pour inventer le noir et blanc. Le bruit léger des cristaux blancs, se posant les uns sur les autres dans un silence pesant, ce chuintement d'hiver...je sens la neige qui fait doucement plier mes branches et recouvre mes racines.
Je ne vois rien, j'hiberne à moitié, ma sève bloquée au plus profond de mes vaisseaux, mais j'entends.
Les Mounier se disputent, encore et encore. C'est Marie, boule de méchanceté déssechée qui crie après Jean, le fils.
Qu'est-ce que tu tournes?
Y'a rien à faire?
Je suis en train de te faire vivre dans MA maison.
Pourquoi tu vas pas pas à la forge de la plaine en hiver, hein?
Ah tiens si Pierre savait ce que j'endure!

Pierre c'est l'autre, le frère, celui qui a littéralement fui Marie. Parti se marier à 600 kilomètres, il est instit et envoie de belles lettres à sa mère...nous pensons à vous si fort... j'espère que le temps sera clément pour les foins...non, je ne pense pas que nous puissions venir cette année pour Noël, Lucie est épuisée, la grossesse...
Pierre et Jean qui me clouaient les planches de leur abri-cabane-interdite-aux adultes et se chuchotaient des secrets édifiants lorsque la corde retirée, la cabane leur offrait le plus beau des refuges.
Jean est resté à la ferme, et parfois, me jette un regard un peu triste. Parce que Marie n'a jamais été facile, même avant Clara.

Clara, je l'ai vu venir du haut de mes trente mètres, poussée par le vent, poussée par la rage de trouver enfin un asile, l'âme en lambeau et les guenilles qui vont de pair. Clara qui ne parle pas et fronce le sourcil sur ses yeux noirs, s'est installée malgré Marie.

Encore une assiette?
Et celle là, tu la maries quand? Qu'est-ce qu'on raconte au village, une bohémienne voui?
M'en vais donner la maison à Pierre, tiens.
M'man on peut pas aller au village...la neige.

Aujourd'hui jour faste et silencieux chez les Mounier, Marie rêve, se remémore des temps insouciants. Jean est parti faire du bois dans la forêt, avec les hommes du hameau, ils en ont pour la journée. Clara aide la voisine.

Le temps est sec et bleu, l'air glacé coupe le souffle signalant tout être vivant par les volutes de buée gris clair. C'est l'hiver, la saison où vivre veut dire survivre. Mes branches cassent sous l'effet du gel, mais les quelques hauts nuages filants, si prompts, si légers, me parlent du monde.

Après un bref cri, un son sourd m'arrive puis le silence.
Le hurlement de Clara alerte tout le village, qui retrouve Marie, le cou brisé, au pied de l'échelle de l'appentis.
La mort ici rythme la vie, avec son soupcon de nonchalance insupportable.
Jean, prévenu, arrive en courant et regarde hébété, résigné. Cette fois, faut y aller au village, pour ramener le curé, on la mettra dans la neige, le temps du redoux.

Quand l'hiver s'assoupit, mille petits signes réveillent le paysage, l'abeille court aux chatons du saule marsault, l'herbe couchée et filasse laisse passer les premières pousses, une odeur surtout, d'air réchauffé et de promesses printanières.

Le bruit qui revient.

Chez les Mounier c'est toujours le silence, on a écrit à Pierre, on donne à manger aux bêtes tandis que le village s'organise pour les semailles.

Jean s'affaire, je le vois qui m'observe avec sa corde. Non il préfère l'appentis, à l'endroit même, où revenu seul du bois il a poussé Marie avant de repartir en courant, s'étonnant de sa chance.

Il ferme les yeux pour ne plus voir, non le regard stupéfait et terrifié de Marie, mais les lacs noirs de celui de Clara.

Car Clara lui pardonne.

le style est très bon, l'intrigue bien menée
faire parler un arbre n'a pas un intérêt essentiel ici, tu aurais aussi bien pu raconter l'histoire sans cet artifice, cela aurait été tout aussi intéressant.
on sent que tu as de l'aisance dans l'écriture

Merci Lucius pour tes remarques.
En ce qui concerne l'aisance, ce n'est pas vraiment cela , je me sens plutôt bébête à la relecture.
J'ai juste essayé de m'amuser en écrivant quelques courtes nouvelles vaguement polardeuses...
Je me suis effectivement bien amusée à tuer quelques personnages, moi qui fait sortir guêpes et araignées, qui sauve les souris des prétentions chasseresses du chat...

l'aisance, ça ne veut pas dire que ça sort forcément d'un seul jet.
ton écriture est fluide et passe bien à la lecture

moi j'aime bien que tu fasses parler un arbre, ce qui contribue à la variété de tons dans ce texte. (1)

Tout est précis et travaillé, la lecture est facile mais doit être attentive (il est tôt ce matin). Un beau texte, bien disposé sur la feuille, et qui a une unité.(2)

maintenir (1) et (2), c'est la réussite.

J'aime beaucoup ...

Le récit ,vu du point de vue de l'arbre ,apporte une touche "non évènementielle".

Je veux dire (difficile à expliquer) que ce genre de faits s'est produit beaucoup plus souvent que l'on ne pense dans les "campagnes profondes"lorsque les enfants (adultes) étaient écrasés par leurs géniteurs, et finissaient par les "aider" à mourir, pour pouvoir vivre....ENFIN!

Retour à la Zonzon

La pluie tombait drue en arrivant à la prison. François rallongea le pas, salua le planton, présenta la totalité de ses papiers, vida l'ensemble de ses poches et franchit une à une les portes blindées. Arrivé dans le minuscule local réservé aux médecins, il jeta un rapide coup d'oeil sur la liste des détenus et poussa un soupir. Oh non, pas Marco.
Marc Eyraud, palme d'or de la bêtise, le cerveau d'Averell dans le corps de Joe, Marco et ses plans plus pourraves les uns que les autres; Marco était le premier sur sa liste.

Salut François, tu vas bien?

Marco était rentré vaguement gêné.

Que t'arrive-t-il encore?
Ben c'est la misère tu sais...

François s'assit le plus confortablement possible. La suite de l'histoire pouvait être longue.

...j'ai eu un plan super pour me faire de la thune...

Un plan super : Marco en avait essayé des dizaines, d'une stupidité parfois vertigineuse. Son premier casse : le vol du matériel audiovisuel de l'école de la Chapelle à Andrézieux. Il avait réussi à se faire faire une clef. Une de ses copines travaillait comme agent de service. Il avait embarqué tout le matériel un dimanche soir, et direction la maison. Le lendemain matin, les gendarmes frappaient à sa porte, tenant la paire de moonboots qu'il portait pour faire son casse, et qu'il avait précautionneusement mise devant sa porte. La neige tombait depuis dimanche midi, la poursuite n'avait pas été fatiguante. Il fit ainsi connaissance avec l'hotellerie discutable de la prison.

...ma cousine, tu sais celle qui travaille dans la boite d'installation d'alarmes? Ben, elle m'avait dit que l'alarme des dépôts JM Lab déconnait plein pot. Tu te rends compte tout ce matériel HiFi, sans surveillance? Alors je l'ai cuisinée, discretos tu vois...

La discrétion de Marco fit sourire François. Après un minable casse chez un bijoutier, il n'avait rien trouvé de mieux que de mettre quelques montres à ses bras. Puis tout joyeux, il avait fait du stop pour rentrer à La Chapelle. La voiture qui s'était arrêtée était celle de son voisin, l'adjudant chef Lepellier. Qui fut quand même étonné de son goût prononcé pour l'horlogerie. C'est là qu'il avait fait son deuxième séjour à la maison d'arrêt.

...donc, je me rencarde, ils vont la changer un soir, à deux pelots, et les entrepots, ben, un coup avec, un coup sans alarme, le temps qu'ils règlent quoi. Pas besoin de leur faire peur, je chourre quand y'a plus d'alarme...

Faire peur, ça, Marco, il ne savait pas. Il avait bien essayé une fois de braquer une pharmacie pour des cachetons avec un pistolet en plastique. Mais son mètre cinquante n'avait pas impressionné le pharmacien. Sous prétexte, d'aller lui chercher le 'Roupinol' dans la réserve, il s'était fermé dans son bureau, et avait baissé le rideau métallique. Les flics, prévenus, avaient ouvert à un Marco hors de lui qui criait au kidnapping. Il retrouva la prison avec une désinvolture de caïd.

...j'avais emprunté un petit fourgon, et ça marchait du tonnerre, les chaines, les enceintes, les autoradios, il y en avait déjà pour des ronds. Je charge tout ça tranquillou, et vlan, l'alarme se met en marche!
Marco, je ne sais pas ce que tu vaux comme type honnête, mais comme voleur, tu ne vaux pas un clou. Il te faut changer de job, mon vieux!
Attends, c'est vraiment la faute à pas de chance. Parce que quand l'alarme sonne, moi, je panique pas, je cours au camion et je démarre!

François se redressa, cette fois vraiment intéressé.

Et alors?
Et alors, je pars par la rue des Alliés à fond la caisse, et arrivé à la ZUP, je vois vaguement un fourgon de flic dans le retro, mais je les sème dans la cité.
Et ils t'ont retrouvé comment cette fois-ci?
Ben le camion, c'est celui de mon beauf, le mec de ma soeur Sylvie, tu vois? Celui qui est électricien. Et son camion ben, il y a mis son nom...

Jérôme Faure, électricité générale, téléphone 06,88,75,30,88, en lettres rouges sur fond blanc, les flics ont appelé bien vite, et n'ont eu aucun mal à retrouver Marco.

Ma soeur, elle décolère pas, je crois que cette fois, elle va pas venir me voir ici...

François riait sans retenue.

C'est très drôle, et j'aime tout particulièrement la construction (impeccable).

Bravo!

Superbe Tchipette, ça m'a bien fait rire. Pauvre Marco !

Dis donc, c'est très différent du précédent qui m'a également beaucoup plu (mais qui m'avait donné un de ces froid dans le dos).

Merci à tous

Demain je remets de l'encre dans l'imprimante... je ne les ai pas encore lus !

Pas taper ...

heu moi je viens seulement de les lire aussi et me suis régalée !! continue Tchipette , tu écris très bien et très frais et très clair bravo !! et en plus tes histoires sont intéressantes

Deux textes et deux univers différents.
On y trouve cependant la même délicatesse, le même souci du détail qui donne à voir.
On le voit, l'arbre devant la maison, comme on voit les scènes de casse et la tête déconfite de Marco.
Le premier rend nostalgique, le second fait sourire.

Hommage à E.

Fille à chat
Où ?

es tu passée
Sans un mot
Sans le chat
Espèce de.


Un jour là et l'autre
Où ?

Le jardin ne sera plus, ni toi.

Il nous faudrait une lecture à voix haute, pour bien marquer les scansions

Suggestif, léger et délicat.