Marcel Proust II, Sodome et Gomorrhe

Au fait rotko, je ne te l'avais pas encore dit mais j'ai terminé le deuxième volume de Sodome et Gomorrhe
C'est sans doute l'un de mes préférés avec Du côté de chez Swann : le passage et les arrêts incessants du petit train qui se rend chez les Verdurin et en revient est magnifiquement décrit...
Un petit extrait qui m'a amusée ( le baron de Charlus s'adresse à Morel) :

[...] Quant à tous les petits messieurs qui s'appellent Marquis de Cambremerde ou de Vatefairefiche, il n'y a aucune différence entre eux et le dernier pioupiou de votre régiment. Que vous alliez faire pipi chez la Comtesse Caca, ou Caca chez la Comtesse Pipi, c'est la même chose, vous aurez compromis votre réputation et pris un torchon breneux comme papier hygiénique, ce qui est malpropre.

Un autre, plus poétique , et qui me semble bien résumer la Recherche :

[...] De nombreux fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau quelquefois pour une seule entrevue et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s'enfuyait, ces chemins de Balbec en étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d'eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n'avait pas sonné l'heure du repos éternel.

deux bonnes citations, l'une qui détruit la legende d'un Proust guindé et réservé à des gens "sérieux"- donc sans humour, l'autre qui rappelle le thème de la Recherche.

En même temps, la première citation justifie, ajoutée à d'autres, le soin avec lequel Proust choisissait les noms des personnages, (son "onomastique" dit-on, dans les cercles savants ) et que Brichot illustre avec les noms de lieux.

Dans la colombe poignardée, pietro Citati chez Gallimard consacre des pages à Sodome et gomorrhe p325 à 348, et de belles pages à Albertine. Il montre à quel point la scène de sadisme à Montjouvain vue à Combray, annonce et gouverne Sodome et Gomorrhe.

Marie kiss la joue a écrit:

un torchon breneux

Breneux: souillé d'excréments.
Lisez Proust et enrichissez votre vocabulaire

j'aurais même mis deux n : brenneux, vieux mot français (ancien français).

Robert propose les deux orthographes.

Bon, enfin, ce n'est pas facile à placer dans la conversation courante.

" c'est pas un p'tit brenneux comme toi qui va me faire la leçon"

Evitez l'Hôtel-restaurant Miramas. Le vin y est toujours trop jeune, les steacks trop vieux, la cuisson trop rapide, le service trop lent, et les toilettes breneuses.

oui, l'orthographe n'était pas fixée à l'époque.

rotko a écrit:

Sur le fil Murakami je disais à propos du symbolisme

Citation :

Vous me direz peut -être que c'est symbolique, mais le symbolisme a bon dos s'il n'est pas justifié ou explicitement entériné par l'auteur

ce à quoi Moon repondait

Citation :

on interprete si l'on veut, car bien que cela ne soit pas 'explicitement entériné par l'auteur' les symboles sont là... et les intérpretations multiples...

En général, l'auteur laisse des indices et j'en trouve avec les noms chez Proust : monsieur et madame de Cambremer

Citation :

"- [...] Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à
temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.
- Il ne commence pas mieux, répondit Swann.
- En effet cette double abréviation!...
- C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé
aller jusqu'au bout du premier mot.
- Mais puisqu'il ne devait pas pouvoir s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d'achever le premier pour en finir une bonne fois. Nous sommes en train de faire des plaisanteries d'un goût charmant, mon petit Charles, mais comme c'est ennuyeux de ne plus vous voir, ajouta-t-elle d'un ton câlin, j'aime tant causer avec vous. Pensez que je n'aurais même pas pu
faire comprendre à cet idiot de Froberville que le nom de Cambremer était étonnant."

j'adore ce genre d'humour. J'ajoute que dans sodome et gomorrhe t 2 p 1090 un personnage dit clairement
Cambremerde !

Et le portier dit aussi Camembert

rotko a écrit:

Dédaigneuse de Poussin et enthousiaste de Debussy, parce que moderne, elle révise aussitôt son jugement quand le narrateur lui apprend l’admiration de Debussy pour le dit Poussin.

Ne s'agit-il pas de Chopin au lieu de Poussin? Enfin, il me semble...
Sodome et Gomorrhe est aussi mon préféré avec Du coté de chez Swann

Citation :

« Au nom du ciel, après un peintre comme Monet, qui est tout bonnement un génie, n’allez pas nommer un vieux poncif sans talent comme Poussin. Je vous dirai tout crûment que je le trouve le plus barbifiant des raseurs.. » […]

Monsieur Degas assure qu’il ne connaît rien de plus beau que les Poussin de Chantilly;
- ouais ? Je ne connais pas ceux de Chantilly, me dit Mme de Cambremer, mais je peux parler de ceux du Louvre qui sont des horreurs
- il les admire énormément.
- Il faudra que je les revoie. Tout cela est un peu ancien dans ma tête, répondit-elle après un instant de silence et comme si le jugement favorable qu’elle allait certainement bientôt porter sur Poussin devait dépendre, non de la nouvelle que je venais de lui communiquer, mais de l’examen supplémentaire, et cette fois définitif, qu’elle comptait faire subir aux Poussin du Louvre pour avoir la faculté de se déjuger.

Sodome et Gomorrhe, Pléiade 811-813

c'est un plaisir de chercher un passage dans Proust.

Et elle révise son jugement sur Chopin quand le narrateur lui apprend que Chopin était le musicien préféré de Debussy:

Citation :

... Chopin, bien loin d'etre démodé, était le musicien préféré de Debussy. "Tiens, c'est amusant", me dit en souriant la belle-fille, comme si ce n'avait été là qu'un paradoxe lancé par l'auteur de Pelleas. Néanmoins il était bien certain maintenant qu'elle n'écouterait plus Chopin qu'avec respect et meme avec plaisir.

Sodome et Gomorrhe, Folio pag. 212

Chopin et Poussin subissent donc la même rehabilitation

rotko a écrit:

Chopin et Poussin subissent donc la même rehabilitation

En gros, oui...

Marie kiss la joue a écrit:

Un petit extrait qui m'a amusée ( le baron de Charlus s'adresse à Morel) :

[...] Quant à tous les petits messieurs qui s'appellent Marquis de Cambremerde ou de Vatefairefiche, il n'y a aucune différence entre eux et le dernier pioupiou de votre régiment. Que vous alliez faire pipi chez la Comtesse Caca, ou Caca chez la Comtesse Pipi, c'est la même chose, vous aurez compromis votre réputation et pris un torchon breneux comme papier hygiénique, ce qui est malpropre.

Un autre, plus poétique , et qui me semble bien résumer la Recherche :

[...] De nombreux fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau quelquefois pour une seule entrevue et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s'enfuyait, ces chemins de Balbec en étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d'eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n'avait pas sonné l'heure du repos éternel.

Ah oui, ces deux passages m'ont aussi marqué !!

Tout comme celui-ci, à la fin :

Dans le désordre des brouillards de la nuit qui traînaient encore en loques roses et bleues sur les eaux encombrées des débris de nacre de l'aurore, des bateaux passaient en souriant à la lumière oblique qui jaunissait leur voile et la pointe de leur beaupré comme quand ils rentrent le soir : scène imaginaire, grelottante et déserte, pure évocation du couchant, qui ne reposait pas, comme le soir, sur la suite des heures du jour que j'avais l'habitude de le voir précéder, déliée, interpolée, plus inconsistante encore que l'image horrible de Montjouvain qu'elle ne parvenait pas à annuler, à couvrir, à cacher - poétique et vaine image du souvenir et du songe.

Comme le signale rotko, la description des salons et du monde est pleine d'une ironie réjouissante, mêlée à une nostalgie marquée, comme dans les paroles de Charlus sur l'histoire des Guermantes.

Néanmoins, j'ai préféré Le Côté de Guermantes, justement parce que je préfère le Proust qui parle des mondanités. Si l'histoire avec Albertine reste intéressante, elle est somme toute assez lassante (oui, j'assume ^^). Sodome semble être un livre charnière car il est le volume central, mais aussi parce que le thème de l'inversion (donc homosexualité) y apparaît au grand jour, et aussi parce qu'il annonce d'après le narrateur toutes ses souffrances futures. Mais j'y ai trouvé moins de poésie, notamment par rapport aux Jeunes Filles (les tableaux d'Elstir...).