Michèle Lesbre

Ecoute la pluie "(ne t'écoute pas écrire, Ysandre ! comme d'autres s'écoutent parler. Compris ?)

Je ne redonnerai pas le résumé, il l'a déjà été, plus haut dans les posts.
J'ai été un peu soufflée, au début : une écriture si proche de l'âme ... comme si c'était cette dernière qui parlait, et non sa tête.
Mal à l'aise aussi, et je ne voyais pas pourquoi ?
J'ai compris en avançant dans le récit. Lesbre écrivait des choses que je pensais, que j'avais pensé. Tout ça avait un écho à l'intérieur de moi.
La description de l'homme âgé m'a paru minutieuse, comme s'il fallait que tout soit restitué dans son esprit pour garder en mémoire l'instant de ce saut, ce sourire à elle adressé en ultime message, cet envol de l'imper beige, les bruits, le chauffeur de la machine se précipitant en larmes pour s'appuyer au mur...
Et puis elle s'est enfuie, sans doute en état de choc. Sa cavale dans les rues mouillées de pluie, son oubli assumé d'un rendez-vous avec l'homme qu'elle aimait et voulait retrouver, tout ceci participait pourtant d'une volonté de fuir ce qu'elle avait vu ?
Pourtant, une partie de son cerveau continuait à préserver le petit homme qui s'était donné la mort. Parce qu'elle voulait qu'il continue à vivre en elle, l'empêcher de mourir complètement.
Si l'on ne garde pas précieusement le souvenir des disparus que l'on a aimé, ils meurent une seconde fois.
Et puis, il a été le déclencheur d'une succession d'images de son passé proche ou lointain. Cet amour à éclipses avec le reporter photographe qu'elle devait revoir ce soir-là, elle en a parlé, l'a analysé mine de rien : "Il" disait que les mots ne sont pas à la hauteur... Encore quelqu'un aux prises avec l'incommunicabilité. Elle lui a donné davantage que lui ne lui a donné, c'est ce qu'elle sous entend. Pas sûr ! il ne lui reste que des souvenirs et quelques photos qu'elle a prise de lui, en douce. Ils marchent encore quelque part dans les villes visitées ensemble, victimes sans doute d'un manque de volonté à poursuivre une histoire dans la réalité. Elle n'a vraisemblablement pas cherché à le garder, trop indépendante, trop versatile ? Lui ne vivait qu'à travers les instantanés des vies qu'il saisissait avec ses photos, davantage amoureux des images qui, pour lui, représentaient la vie.
Des actes manqués ! Lui, nous ne le connaissons qu'à travers ce qu'elle en dit. Elle, semble pratiquer en permanence, la fuite en avant.
Lesbre a un vrai talent ! on là suit, on ressent ce qu'elle éprouve, on se désole qu'elle ne puisse s'exprimer auprès de cet homme qui l'attend, là-bas, au bord de la mer... pourtant, elle n'adhérait pas à ce qu'il disait : "les mots ne sont pas à la hauteur".
Pourquoi n'a-t-elle pas tenté de les mettre "à la hauteur", les mots ?

Un compte-rendu qui donne envie de lire, Ysandre   alors que j'étais hésitante par rapport à ce livre. Si personne ne le demande, je me mets sur les rangs pour le recevoir à mon tour

pour Yandre:
Chère amie tu exprimes en toute sa puissance l’âme de cette femme, débordée par le choc vécu. Cette pluie intérieure, celle qui tombe et celle de ses larmes, nous touchent au plus profond
Tu écris très bien, comme toujours, mais je ressens quelque chose de personnel dans ton commentaire, je me trompe peut.être?
Tu es très sensible, je le sais. 

Pour Nicyrle: Une lecture qui une fois le livre fermé, tu aimeras relire
je le recommande chaudement. 

bonjour ma Lointaine, de personnel, pas particulièrement, je n'ai jamais vécu l'horreur de voir quelqu'un mettre fin à ses jours, mais avec ses mots, elle m'a fait approcher son désarroi profond. Elle a ce talent. Et puis, j'ai peut-être été agacée par ses atermoiements... pour moi, elle aurait du aller à son rendez-vous, parler à l'homme qu'elle aimait de son profond malaise, lui expliquer, lui dire de vive voix ce qu'elle pensait de leur relation passée, présente et de ce qu'elle voulait qu'elle devienne.
Mais le livre n'aurait pas été ce qu'il est, et cela aurait été dommage. Merci Luba, toujours aussi indulgente avec moi:bises: 

Dès le départ, Michèle Lesbre savait que son personnage n'irait pas au rendez-vous fixé. c'etait une donnée de base. Par contre elle est surprise de l'importance donnée par ses lecteurs à l'expression

Citation :

lesmots ne sont pas à la hauteur

Elle n'y attachait pas elle-même une grande importance.

La lecture est donc, comme souvent, une interprétation différente des desseins initiaux.

En revanche, les rencontres qu'elle fait ne sont pas fortuites à ses yeux : Comme disait Eluard, il n'ya pas de hasard mais des rendez-vous. Ainsi au début du livre, elle entend un couple se disputer. on le retrouvera ensuite, réconcilié.

Un signe pour l'histoire ?

a mon avis, un clin d'oeil, tout au plus.
lesmots ne sont pas à la hauteur


Elle n'y attachait pas elle-même une grande importance. dit Rotko
Si elle n'y attachait pas une grande importance, pourquoi l'a-telle cité à deux ou trois reprise dans son texte ? Pour moi, c'était un élément important de leur histoire. Elle lui parlait, il était mutique, se retranchant derrière cette phrase l " les mots ne sont pas à la hauteur". Comment bâtir une relation si l'un exprime ses sentiments et l'autre, pas !
Faut-il toujours tout deviner, on peut comprendre certains silences, mais pas tous.

le photographe croit plus aux images qu'aux mots. C'est lui qui prononce l'expression.

oui, parce que pour eux, les images sont des mots (à l'interlocuteur d'interpréter !)

Ysandre, ton commentaire te rapproche de Lesbre, j'ai l'impression que l'a comprise comme si elle ne te parlait qu'a toi (je ne sais pas si je m'exprime bien). Lumineux commentaire!

Ysandre;
ce livre a la particularité de donner plusieurs  points de vue

Je suis de ton même avis, elle n’a pas le courage de lui dire que leur amour ne sera plus le même.  Il est froid, habitué à son travail et la femme, qu’il, aime peut-être,  occupe un second plan dans sa vie.
Elle n’a pas pris la décision de lui parler car il ne donne de l’importance aux mots, et ne la comprendrait pas. Leur dialogue serait inutile.

merci Maya, c'est vrai ce que tu dis, je me suis sentie très proche de l'auteur par moments.
oui, ma Lointaine, et c'est bien qu'il y ait plusieurs points de vue, des ressentis différents.

J'arrive un peu tard pour mettre mon grain de sel mais tant pis !
J’ai lu avec attention tout ce que les Grains qui ont lu Ecoute la pluie en ont dit. Ce court roman ne laisse pas indifférent, j’en conviens à mon tour. Sa belle écriture m’a séduite. J’ai particulièrement aimé le début avec cette évocation saisissante du vieil homme et de son sourire. Pourtant, plus loin dans le récit, la narratrice essaie en vain, dit-elle, de se rappeler son visage, elle hésite : des lunettes ou pas ? des cheveux blancs ou un crâne chauve ?

Citation :

Il avait une allure assez délurée malgré la canne et sa voussure, une sorte d’élégance fragile, quelque chose de désuet mais de charmant. […] Son corps paraissait flotter sous l’imperméable. […] il a sauté sur les rails comme un enfant qui enjambe un buisson, avec la même légèreté. […]

L’image obsédante de l’inconnu revient comme un leitmotiv au fil des pages et l’auteur la pare d’une poésie qui la transfigure :

Citation :

L’apesanteur d’un corps abandonné au vide est d’une étrange et inquiétante beauté, il apparaît soudain mobilisé et offert, tout entier pris dans un élan dont on ne veut croire qu’il s’enfonce dans la nuit.

La mort du vieil homme est un révélateur pour la narratrice amenée à revenir sur sa vie, son passé et son présent. Ses incertitudes, pour ne pas dire ses atermoiements, n’empêchent pas une forme de lucidité quand elle observe le monde qui l’entoure, par exemple :

Citation :

Ces morts (les suicidés du métro) mettent les nerfs à vif d’une foule déjà malmenée, puis tout rentre dans l’ordre, tout continue. Ils ont à peine bousculé l’ordinaire.

Elle remarque un graffiti éloquent sur un mur :

Citation :

Devant l’indifférence générale, demain est annulé.

J’ai beaucoup aimé aussi le passage à propos du grand-père et l’idée qu’il a servi de guide vers « l’âge adulte, une épreuve à différer le plus longtemps possible. » :

Citation :

Nous étions comme deux aventuriers, lui et moi, deux êtres à peine éveillés cherchant leur route vers un point imaginaire, chacun le sien. Sans doute connaissait-il celui qui guidait sa vie depuis longtemps, mais avec moi il avait cette délicate intelligence de l’oublier et de faire mine de chercher lui aussi.

La fin est très belle, j’y vois un symbole : écouter la pluie, c’est être sensible à la beauté d’un instant, se rendre attentif à soi-même et vivre pleinement. C'est en même temps une invite à l'adresse de son amant pour que ce soit lui et non elle qui tranche en ce qui concerne leur avenir.

Un passage m’a nettement moins plu, c’est celui de l’achat de la robe verte. J’ai eu le sentiment qu’on frôlait le cliché dans ce geste-pulsion qui, je trouve, ne cadre pas bien avec le caractère de cette narratrice capable de réflexions subtiles même en plein désarroi. Ce geste, vu les circonstances, a quelque chose de choquant, du moins l’ai-je ressenti comme tel.

J’avais beaucoup aimé ce petit roman. C’est l’un de ceux qu’on garde dans notre souvenir. Tu y as trouvé des pensées et d’extraits que je n’avais pas remarqués. Michèle Lesbre, une auteure à retenir.
Très éloquent commentaire:heart: 

Un passage m’a nettement moins plu, c’est celui de l’achat de la robe verte. J’ai eu le sentiment qu’on frôlait le cliché dans ce geste-pulsion qui, je trouve, ne cadre pas bien avec le caractère de cette narratrice capable de réflexions subtiles même en plein désarroi. Ce geste, vu les circonstances, a quelque chose de choquant, du moins l’ai-je ressenti comme tel. a écrit:

Nicyrle
j'avais pensé que c'était une pulsion née de son désir de se rattacher à la réalité. Ou un signe de révolte contre toutes les pensées douloureuses ...

tu as peut-être raison Ysandre, dans les moments de désespoir on cherche inconsciemment se rattacher à la vie quotidienne. Un moment d'oubli.

Amusant de voir les réactions différentes à la lecture : l'histoire de la robe verte, je l'ai acceptée sans problème, sachant que certaines femmes, un jour de cafard, se font un petit cadeau pour se remonter le moral. La pulsion acheteuse, puis le changement d'avis.

J'ai plus insisté que vous sur les reproches plus ou moins adressés à l'amant ; (ultimatum est trop fort, invite convient mieux, la balle est dans son camp), on a chacun des impressions et des interprétations.

La pluie est à la fois extérieure et intérieure (notamment dans ce qui est dit du tango). Les points communs entre Ecoute la pluie, le canapé rouge et le lac m'ont frappé comme des thèmes communs.

elle tient apparemment à ce fragile équilibre : un pont léger entre le réel et l'irréalité. Je n'ai lu d'autre que le canapé rouge, mais j'y retrouve cette navigation à vue entre son passé et son présent, en funambule, elle passe de l'un à autre. Dans son présent, elle inclut le rêve, l'imaginaire, ce qui aurait pu être et qui n'a pas abouti, et j'ai eu maintes fois envie de lui dire : "c'est de ta faute ! les atermoiements ne mènent à rien !" rhaaaaaaaa ! Indépendamment de mes mouvements d'humeur, je l'apprécie énormément.

tU AS RAISON Rotko, souvent après avoir pleuré, pour remonter le moral ,on aime se faire un petit cadeau,de ce genre.Les autres livres d'elle semblent
aussi bons que celui-ci.
Difficle d'en trouver chez nous.
Je suis encore à l'attente de "je reste roi d'Espagne" La famille de cet homme décédé ne répond pas mes messages.
Si je vois Salem ce soir à buenosairesnegra, je lui demanderais pourquoi on ne trouve pas ses livres à Bs As.

ma pauvre petite Luba, tu as bien du mal à trouver les livres qui te plaisent ! ça me navre.

moi aussi je cherche je reste roi d'Espagne, il n'était pas à ma médiathèque mais je vais fureter ailleurs !

oui, chère Ysandre, ce M.avait acheté semble-t-il le seul exemplaire en place.
Salem n'est pas la grande littérature, mais passer un moment à rire fait du bien.
Sa personnalité me rappelle Frégni, un autre genre,bien sûr, mais la même trajectoire d'autodicacte et avoir commencé à écrire très tard, suite à de nombreux métiers.
En France vous avez tout du monde entier,je suis jalouse et,contente!! 

j'ai apprécié la lecture de "écoute la pluie"
 
 
je l’ai lu presque d’une traite car je voulais savoir si elle irait à Nantes, si elle reverrait son amant et si ..
Certains passages m'ont un peu perturbée, décidément tout me perturbe ..je pense à la nouvelle de Javier..
 
Elle pense sans cesse à ce sourire qui reste gravé dans sa mémoire contrairement à l'aspect physique..
nous avons tendance me semble-t-il à notre époque à regarder plus l'aspect extérieur que intérieur d'une personne.On ne sait plus sourire .
Et ce vieux monsieur lui fait un dernier cadeau  avant de quitter la terre.Cadeau  qui va poursuivre cette femme qui va la remettre en question..
De ce fait elle se pose beaucoup de questions sur son amant..et avis perso bien sûr elle se rend compte qu'il n'est pas  "humain", seules ses photographies l’intéressent ..même les vieilles photos trouvée dans un carton le laisse indifférent.
Donc j'étais  un peu perturbée  car cela me fait penser qu'on oublie de regarder autour de soi, on oublie de dire aux gens qu'on les aime, beaucoup sont abandonnés comme ce monsieur qui a perdu sa vie donc plus aucune raison de vivre.
A un moment , elle s'en veut de ne point avoir pris attention à ce vieux monsieur à l'imperméable qui selon l'ouvreuse venait souvent dans le métro.
si elle avait repéré cet homme, ils auraient peut-être  sympathisé et peut-être que le vieux monsieur aurait encore eu une raison de vivre   .
Quand elle déambule sous la pluie dans les rues de Paris, elle doit penser à cela et s'en vouloir..
L’achat de la robe verte, oui Rotko parfois les femmes après une déception ou un état plus mélancolique achètent et souvent regrettent.
Moi je pense qu'elle a fait cet achat alors qu’elle dit ne pas  porter souvent de robe pour se prouver à elle-m^me qu’elle était vivante, je veux dire qu'il fallait quelque chose de concret.
en revenant à ce vieux monsieur, elle savait qu'elle n’irait pas au rendez-vous, intérieurement elle ne le souhaitait pas ..elle attendait une excuse ..bien sûr pas le suicide de ce monsieur.
J'ai aimé ce livre qui dans un sens nous remet en question..
je ne  connaissais  pas cette auteure et je l'apprécie...
voilà mon point de vue sur le livre:oops:

Ode, j'aime beaucoup ton commentaire si sensible.   Je crois qu'on peut parler de livre réussi à partir du moment où il nous renvoie à nous-mêmes, à nos propres interrogations et nous en suggère d'autres.
Je note au passage que je suis la seule   apparemment à avoir peu apprécié la scène de la robe verte, j'y ai vu un cliché qui, pour moi, détonne par rapport au reste du roman et ne correspond pas non plus à l'idée que je me faisais du personnage. Cela montre à quel point chacun a sa propre lecture d'un même ouvrage.  

merci Nicyrle..
je suis d'accord avec toi, c'est intéressant de lire les diverses interprétations du livre selon la sensibilité du lecteur , lectrice..
c'es la 1° fois que je participe à un livre voyageur et j’ai apprécié l’expérience.
j’espère avoir l’occasion de la renouveler.

oui, c'est le point positif d'un forum que de partager des impressions et connaissances sur un pied d'agalité, merci Ode.

ma petite Ode, tu as tort d'avoir peur de poster ! je trouve, comme Nic, ton commentaire plein de sensibilité, bien écrit et tu expliques avec simplicité et bon sens tout ce que tu as ressenti.
N'hésite plus à poster tes impression, s'il te plait, Ode   
Tu as raison, les gens ne sourient plus ! il m'est même arrivé de sourire à quelqu'un qui m'a regardé avec incompréhension ! il se demandait peut être ce que je lui voulais ?....