Claude Pujade-Renaud

Claude Pujade-Renaud, Au lecteur précoce, Actes Sud.
14 nouvelles.

écriture précise, souffrance diffuse, variété de tons.


"Mourir à petite pluie" : au bord de la mer, deux femmes "abandonnées", deux belles-soeurs, poursuivent leur monologue. Le ciel est un peu gris, et les sensations restituent une atmosphère de marée basse. Regard par la fenêtre :

Citation :

"Depuis l'enfance, Aline est habituée à ces silhouettes discrètes glissant sur fond de mer. Certains jours arc-boutées contre le vent. Réduites, parfois, à de minces guillochures striant sur la brume. Sur ce passage, elle n'a pas plus de prise que sur les marées. Un exode calme, sporadique, qui lui paraît appartenir à l'ordre des choses. Peut-être la ville sur leur gauche se vide -t-elle en un lent goutte-à-goutte, dans combien de temps sera -t-elle exsangue, ville morte ? Quant à la falaise, elle s'érode et recule chaque année de quelques centimètres."
On pense à des absents dont la photographie gêne le regard. Insomnies, souffrance diffuse, liens tus, interdits suggérés...

"Une odeur à frechin". Hélène accompagne Gerard dans une maison de son enfance, dans le Quercy. Elle le decouvre sous un jour nouveau, presqu'etranger, jusqu'aux mots qu'il emploie...

"Mamanmatante": ces mots qui reviennent, dans l'étreinte !
"Une halte" :

Citation :

"Imprévu ce dérapage : Céline à la place de Cécile[...]Adrien peut comprendre que Cécile n'ait pas apprecié le glissement d'un prénom à l'autre",...

"Au lecteur précoce",
la nouvelle-titre, introduit avec humour dans la tête d'un auteur qui s'ennuie à faire des dedicaces... quand on lui en demande.

Pastiches et moqueries, situations cocasses, lieux communs et bourdes, le ton est varié et savoureux.

J'ai lu il y a longtemps deux de ses romans : La Nuit, la neige (Actes Sud) superbe roman historique qui commence à la cour de Philippe V d'Espagne, un soir de décembre 1714. Deux carosses se croisent dans la neige, celui de la nouvelle reine, Elisabeth Farnese, qui a signifié à l'autre, Anne-Marie des Ursins, jusqu'alors toute puissante à la cour, sa disgrâce...
Exil, souvenirs, adaptation de la jeune reine, rancoeur de l'ancienne gouvernante déchue, deux destins de femmes qui se croisent et une passionnante fresque historique.
Et puis, Belle-Mère (toujours Actes Sud) court roman plus intimiste.
Eudoxie, quarante-sept ans, rencontre par une petite annonce Armand, sexagénaire et père d'un fils de trente ans, un peu bizarre. Armand meurt et Eudoxie se retrouve belle-mère malgré elle... Peinture de la banlieue de l'après-guerre, beau portrait de femme, réflexion sur les difficiles rapports humains : là encore, un beau livre, publié en 1994.

maïa a écrit:

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Et puis, Belle-Mère (toujours Actes Sud) court roman plus intimiste.
Eudoxie, quarante-sept ans, rencontre par une petite annonce Armand, ...

Un premier avis : Lisez-le !!!

Je l'ai lu hier soir suite à la lecture du message de Maïa !

C'est très beau, une très belle histoire, un très beau portrait de femme !

De très beaux portraits pour tous les protagonistes, je ne pouvais fermer l'oeil sans l'avoir fini.
C'est plein d'humanité, de douceur, de beaux regards envers les autres. Non franchement je suis totalement sous la beauté du texte, belle écriture et de l'histoire !

à lire... à suivre ... !

Maïa ... un grand merci

De rien, Utopie ! Pour une fois que je me rends utile

La chatière

Actes Sud


Une série de nouvelles. Deux sont particulièrement réussies.

Dans la première, un homme mûr et sans enfant, très occupé et peu enclin à entretenir une liaison sérieuse, réalise pourquoi sa mère ne lui a jamais souhaité son anniversaire le jour de son anniversaire. Mais toujours plus tard. La mère cache un secret de famille, qui lui explose comme une bombe en pleine figure. Aura t-il le temps d'assimiler cette nouvelle donne dans son histoire ? Le lecteur en tout cas comprend cette révélation dérangeante car nous avons tous vécu des "réveils brutaux" au cours de nos existences apparemment rectilignes.
C'est bien amené, bien préparé et incisif.


Dans la seconde, l'auteure explore l'intimité personnelle et tragique d'un jeune homme précoce (y compris dans sa vie sexuelle). L'omniprésence de la mère, sa capacité à dominer et retenir son enfant de 36 ans avec une possessivité quasi utérine, sont au centre d'un puzzle étrange, mais ça n'est pas tout. Il y a là aussi un secret.
Qu'elle livre en fin de nouvelle, laissant notre héros en état de choc.

Claude manie bien ces sorties de scènes "coups de théâtre".

D'autres nouvelles ont moins d'impact, voire traînent un peu en lenteur car le style se veut artificiellement recherché.

Une idée phare dans le livre : la femme-féline.

Allégorie peut-être éculée mais ô combien convaincante...

Le tout est enrobé de sensualité, de volupté et de cruauté.