Eleni Sikelianos

Eleni Sikelianos est l’arrière-petite-fille du poète grec Angelos Sikelianos, qui fut donné favori pour le prix Nobel de littérature en 1948 (année où T.S. Eliot l’emporta). Quand elle était petite, cela ne voulait pas dire grand-chose.

«En Californie, où j’ai grandi, personne ne le connaissait. On avait un recueil de lui à la maison, une traduction, c’est tout. On n’en parlait pas.» Au jeu de l’héritage, il y a aussi une tante, Anne Waldman, poète et activiste toujours active, un temps compagne d’Allen Ginsberg, «mais on ne se voyait pas». D’autres font des vers dans la famille, d’autres encore sont d’incroyables personnages qu’on a surtout connus en photos.

Pêle-mêle, «des vendeurs d’opium, des serveuses, une danseuse burlesque dite Melena la Fille-Léopard (ma grand-mère maternelle), et un nain (l’un de ses cinq époux), lesquels échouèrent tous, au final, sur les rives de notre patrie américaine».

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112 p. Actes Sud Editions

Ces histoires ne seront pas cousues pour former une couverture sans la moindre couture, susceptible de recouvrir les traces de cette famille. Dans ce récit, toutes les failles sont visibles, elle saillent telles des cicatrices, elles cèdent aux coutures ou n’ont tout simplement jamais été rapiécées. Ce fil-ci (la vie démon père à quinze ans à Lausanne), ce fil-là (la vie de mon grand père à seize ans à Delphes) se défont et se tordent en autant de lignes sinueuses sur des cartes de géographie magnifiquement colorées qui s’arrachent aux frontières et se dévident dans l’éther. Il n’y a plus rien sur la carte, juste quelques noms ici et là, et des gerbes de couleurs.

Poèmes, souvenirs flous, histoires inventées, photos retrouvées, des on-dit constituent ce livre de Jon, comme une lettre qu'il n'a jamais reçue, et qui ne lui aurait pas plu, sans doute.

La vérité de l'affaire, c'est que je connais à peine mon père, et que ça a toujours été le cas, et que ça le sera toujours. Il pleurerait s'il lisait cette phrase. Comme je pleure en l'écrivant. Parce que j'écoute la chanson sur laquelle j'essaie d'écrire.

Cette littérature morcelée touche plus le lecteur qu’un récit fabriqué.