Encore une goutte...

La pénombre s’installait progressivement, par petites touches légères, la grisaille extérieure s’insinuait à travers les rideaux rouges…Au centre de la pièce, Corentin se dressait, affligé, les épaules basses. Il était vétu de blanc des pieds à la tête, seule une cravate d’un noir passé serrait son col de chemise de notable autrefois aisé. Sa mine en révélait beaucoup sur sa situation financière actuelle, son portefeuille devait être aussi défraichi que son costume fripé. Cela n’interessait personne dans la salle, il plastronnait pour des ivrognes pensa t’il. Et ses bras tombèrent un peu plus le long de son corps…
Il avait dû être beau autrefois, ou en tous cas racé, son allure générale en gardait quelque chose sous ses cheveux blancs. Seule la tristesse ruisselait le long des ravines du visage, noyant le bleu outremer de ses yeux. Il n’avait d’ailleurs gardé « d’autrefois » que le regard du jeune homme camarguais qui paradait à cheval « avant » oui mais c’était « avant »…Maintenant il n’était plus que Corentin « le patron du bar », celui qui sert les verres et nettoie le billard des miettes de pain.
Corentin avec sa fine moustache sous les lumières aux ondes jaunes du plafond. Corentin Carel qui loue ses chambres à des prix dérisoires aux paumés de passage, aux épaves que refoulent les quais de la gare toute proche. Corentin épris d’art, mais incapable de gratter la guitare suspendue à l’entrée de la salle de restaurant à la disposition des gitans de passage qui contre quelques piécettes délivrent leurs messages de voyages. Il avait en tête le projet publicitaire d’une affiche à coller au dessus de l’entrée : « Hôtel Carel, l’hôtel des courants d’air ». Il faudra bien qu’il le réalise un jour ce projet, m’enfin ce ne sera pas demain, ce ne sont pas les quatre ou cinq clampins affalés sur les tables ce soir qui lui permettront d’allonger les sous.
Et d’ailleurs qui étaient- ils ces déchets lapant leurs bières, le nez dans la mousse. Il y avait l’Olive et le Marcel, là près de l’entrée, deux forts gaillards qui n’avaient plus remis les pieds dans un champ depuis le décès de leur mère. L’Olive avec son chapeau de paille jaune ridicule dont les bords affaissés lui couvraient les oreilles, le dissimulant à la vue lorsque d’un geste lent il levait le coude, un sinistre idiot l’Olive. Et le Marcel avec son bonnet rouge pionçant sur le bois de la table, assommé par l’alcool et la chaleur de la journée terminée.

Deux fainéants, deux bons à rien mais qui lui ramenaient quelques sous quotidien, de quoi payer la débauche d’électricité. Tout de même, pensa t’il, aucune retenue, cuver sa bière en public fallait bien crécher sur les bords du petit Rhône pour en rencontrer des zigotos comme cela… Et en plus il ronfle…Il détourna la tête, derrière lui la pendule accrochée au mur du fond près des cuisines marqua sa présence il se faisait 1 heure. Il n’allait pas tarder à fermer. Le carillon sembla lui donner raison, il scanda rapidement le ronron du Marcel.
Au fond de la salle derrière Corentin, non loin du poêle à charbon un voyageur de passage avec sa casquette à la gavroche et deux habituées des lieux révélaient l’unique impression de vie. Corentin les connaissait bien ces deux femmes, la plus jeune, Carmen lui rappelait sa jeunesse. Il l’avait culbutée dans les foins de la Crau après les premières coupes de Mai. Elle était belle et vive sa gitane à l’époque avec ses grands yeux noirs. Elle avait gardé ses grands yeux noirs, il ne l’avait plus culbuté depuis longtemps, elle compensait en élevant le ton exagérément lorsqu’elle consommait dans son café…
Elle était toujours accompagnée de « Marie torchon », la bonne du curé, qui le soir se délurait de ses longues journées à astiquer les cierges.
Un détail commun à ces deux femmes lui vint à l’esprit, elles avaient gardé toutes deux leurs petits chapeaux et il était une heure du matin, il sourit machinalement. C’est vrai que Carmen portait bien le chapeau, en l’occurrence celui-ci était en paille enrubanné de noir, peut être en l’honneur de Louis son défunt mari. Louis était mort depuis huit ans, et depuis elle l’avait enterré mille fois avec les godelureaux les plus entreprenants de la ville, pauvre Louis. Quand à la « Marie torchon » son petit chapeau était en fait une capeline minuscule ornée d’une plume de pan qui virevoltait au gré de ses mouvements de tête telle une girouette sur un clocher d’église. Il toussa à s’en étrangler à l’évocation de ce bon mot. Une capeline, au XIX° siècle c’était minuscule et combien cela changera pour devenir le chapeau aux larges bords des élégantes des siècles futurs…
De l'arrière salle un peu de fraîcheur parvint jusqu'à Corentin, sans doute une fenêtre ouverte. Il creusa un peu plus les épaules et sursauta en s'appercevant que quelque chose avait changé dans le décor. Il scruta attentivement la décoration de la pièce, non pourtant rien n'avait changé. C'est alors qu'il comprit, c'était le ruban du chapeau de Carmen, il avait changé de couleur, il n'était plus noir, mais bleu. Il se frotta les yeux, bon là la nuit était bien avancée, sans doute la fatigue. Peut être que Carmen, ce soir, avait changé de ruban, il avait dû confondre.
Il ressentit cependant une gêne bizarre, une impression d'angoisse qu'il ne put expliquer. Il ferma les yeux, battit des paupières rapidement, son regard se posa sur les murs, et là ce fut le choc. Ses murs qu'il avait lui même peints avec application étaient maintenant d'un rouge carmin éclatant.



à suivre...

Un début "accrocheur", vite la suite, Bill !

Et puis

J’espère qu'il y a une énigme ?

Ou bien resterons nous avec deux supporters de football alcooliques ? ( ça c'est pour embêter quelqu’un ... )

mahiwan a écrit:

J’espère qu'il y a une énigme ?

Ou bien resterons nous avec deux supporters de football alcooliques ? ( ça c'est pour embêter quelqu’un ... )

Bien sur qu'il y aura, et d'ailleurs dès à présent il y en a une, de quoi je parle..? Où se passe l'action, est ce que cela évoque un souvenir en vous..? Voilà pour un début. Alors oui pour l'instant je plante le décor, mais c'est capital pour la compréhension de l'histoire. Et non, on ne restera pas avec deux alcooliques, ce sont deux personnages parmi d'autres...

Citation :

qui le soir se délurait de ses longues journées à astiquer les cierges.

peuchère quelle image

Du " Pagnol" en puissance ?

Citation :

d’une plume de pan

tu voulais sans doute parler de plumes de paon ?

Natalia a écrit:

Citation :

d’une plume de pan

tu voulais sans doute parler de plumes de paon ?

certes et tu l'auras compris car à rien ne sert Pan à plume....

Mais non ....ornée d'une flûte de pan

On peut penser à un peintre qui raconte son tableau ?

Inspiré du " Passe Muraille " de Marcel Aymé ?

et après ? et après ????

mahiwan a écrit:

Inspiré du " Passe Muraille " de Marcel Aymé ?

S'il y a ressemblance c'est fortuit...