Pierre Loti

Lorsqu'un officier de la marine nationale écrit des romans, il parle inévitablement de lui et de ses voyages. C'est ce qu'à fait à merveille Pierre Loti à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. De la Turquie avec Aziyadé, du Japon avec Madame Chrysanthème, de la Bretagne avec Pêcheur d'Islande ou du pays Basque avec Ramuntcho, je vous invite chaudement à découvrir ou redécouvrir cet écrivain à la plume très fine, très douce, presque féminine.

Pierre Loti, né Louis Marie Julien Viaud, le 14 janvier 1850 à Rochefort sur mer ( Charente-Maritime) et mort le 10 juin 1923 à Hendaye, est un écrivain français qui a mené parallèlement une carrière d'officier de marine. Il a été enterré sur l'île d'Oléron après des funérailles nationales. Sa maison à Rochefort est devenue un musée.
Pierre Loti dont une grande partie de l'œuvre est autobiographique s'est inspiré de ses voyages de marin pour écrire ses romans, par exemple à Tahiti pour Le Mariage de Loti (Rarahu) (1882), au Sénégal pour Le Roman d’un spahi (1881) ou au Japon pour Madame Chrysanthème (1887). Il a gardé toute sa vie une attirance très forte pour la Turquie, où le fascinait la place faite à la sensualité, en particulier à la sensualité féminine : il l'illustre notamment dans Aziyadé (1879), et sa suite Fantôme d’Orient (1892).
Pierre Loti a également exploité l'exotisme régional dans certaines de ses œuvres les plus connues, comme celui de la Bretagne dans Mon frère Yves (1883) ou Pêcheur d'Islande (1886), et du Pays basque dans Ramuntcho (1897).

Musée

Le magzine litteraire de juin 2012 est consacré aux ecrivains voyageurs ; on y trouve toutes les figures connues, avec un petit encart qui oppose Pierre Loti à Victor Ségalen.

Du premier on dit qu'il a forcé sur l'exotisme, et qu'il gardait un "oeil colonial" : comprendre qu'il regardait l'Autre avec ses propres valeurs européennes.

On lui oppose Victor Segalen, dont on a parlé à plusieurs reprises sur GDS*, mais qui n'a pas un fil specifique ! dommage !

Victor Ségalen attachait de l'importance au regard du visité ("l'indigène") sur le visiteur.

son essai sur l'exotisme est dans le livre de poche 165 p.

Segalen opère au retournement de la notion d'exotisme. Il ne s'agit plus d'intégrer des éléments étrangers dans le décor d'une conscience faussement curieuse. Il s'agit de considérer les civilisations dans leurs différences radicales. L'exotisme devient ainsi pour lui la forme même de cette distance que l'on devine entre soi et l'autre.
Mais n'est pas exote qui veut. Cela ne se peut qu'à la condition de savoir tout d'abord céder à l'ivresse de la rencontre. Mouvement qui se paie au prix fort : n'en revenir qu'étranger, soudain, à soi-même.

son récit René Leys est paru chez Folio. Pourquoi n'avons-nous pas encore parlé de Ségalen ?

Parler d'"œil colonial" pour Loti me parait mal approprié. Certes il est dépaysé par la culture turque dans Aziyadé, certes il est hermétique à la finesse nippone dans Madame Chrysanthème. Mais il porte un regard aussi décentré, aussi vierge et neuf sur la Bretagne dans ses trois récits bretons. Compte-t-il coloniser la Bretagne ? J'en doute. Je crois simplement que Loti cerne les contours des cultures et des émotions avec un bâton dure là où d'autre usent d'un bâton souple.
Deux modes d'appréhension du monde bien différents.

Après je ne suis pas un spécialiste de Loti, et je ne connais pas ses positions politiques.

C'est juste que le terme de colonial me parait mal employé quand on affirme regarder le monde avec ses propres valeurs européennes. Est-ce que ça n'est pas ce que nous faisons tous, y compris dans l’œil du dé-colonisateur ?

Enfin je crois que je vais me procurer ce magazine. Ca a attisé ma curiosité.

Quant à Ségalen, je l'ajoute sur ma pile d'écrivains à découvrir

C'est vrai qu'il est difficile de se séparer de nos critères nationaux et/ou occidentaux.
Cela demande un effort, et de ce côté, on devrait lire Victor Ségalen dont j'ai parcouru les immemoriaux. ce sera un plaisir d'échanger avec toi sur cet écrivain méconnu, car sans complaisance pour les regards de son époque.

L'article que je citais était vraiment court ; je t'en donne l'essentiel en "cadeau bonux". Il prétendait que Loti avait sa petite approche du pays en séduisant des femmes indigènes, dont l'une d'elles, la Japonaise, aurait souffert jusqu'à en mourir du départ de son amant.

Allégation supplementaire : ces "femmes", au nom féminin, cacheraient en fait de jeunes hommes, des "gosses" comme disait l'autre.

C'est le contenu de l'article, je ne fais que le rapporter de mémoire et lui laisse toute responsabilité.

J’ai beaucoup lu, et apprécié, P. Loti à l’adolescence. Je l’ai relu plus tard et, malgré un côté un peu daté, voire désuet, je suis restée sous le charme d’une écriture imagée, souvent poétique, d’une sensibilité très XIXe ou début XXe aussi. Ce qui m’a frappée également, ce sont les avis contrastés et souvent tranchés sur l’œuvre comme sur l’homme. Or l’une et l’autre appartiennent à une époque et cela me dérange qu’on juge sans en tenir toujours compte.
Ainsi, le colonialisme ne reçoit nullement mon approbation mais il fut une réalité qui s’explique et donna lieu à des actes ou à des positions dont on ne peut parler sans nuancer.
Par ailleurs, Loti était homosexuel, ce qui devait être difficile à assumer pour un officier et faillit lui coûter son élection à l’Académie Française. Ses aventures féminines furent nombreuses aussi et il eut, entre autres, à Rochefort même, deux « familles » mais cela n’avait rien d’exceptionnel !

J’ai tendance à penser que Loti était « mal dans sa peau », qu’il a fui la France qu’il n’aimait guère, cherchant un ailleurs plus satisfaisant sans le trouver, je crois même qu’il ne s’aimait pas lui-même, certains passages de son Journal intime en attestent.

Je viens de finir la lecture de Le roman d'un enfant suivi de Prime jeunesse de Pierre Loti. Arrivé au déclin de sa vie, l'auteur revient sur son enfance avec tout ce qu'elle comportait de pureté et d'émerveillement. Puis il raconte comment s'amorce la lente chute vers l'âge adulte. On sent beaucoup de nostalgie dans ce récit, beaucoup d'impuissance à maintenir une innocence usée par l'érosion des années. C'est touchant et écrit avec une plume très douce. Je recommande.