Alice Ferney

Alice Ferney, Le ventre de la fée, Actes sud.

Rosemary a un bébé...

Alice Ferney est comme son personnage principal, elle séduit et attire, et quand on en prend conscience, c'est trop tard. Les premières pages de son livre sont un tableau de Bazille, ou un Klimt, comme sur la couverture d'Actes Sud.

La "fée", une jeune femme qui inspire l'amour, qui se nourrit d'amour, connait bientôt le bonheur "d'attendre" et d'enfanter. Gabriel sera le nom de l'enfant choisi, et aimé.

Qu'en dire, sans déflorer l'histoire ? Gabriel, ce n'est pas l'archange de lumière, bien au contraire. On suit son évolution, fasciné, et horrifié. on dévore la suite en frémissant. Prêtera-t-on le livre à la compagne de vie qui voulait (c'est bien une idée de femme !) que notre fillette fasse de la danse ? Ca mérite réflexion. Faut dire que des phrases comme

Citation :

" Ce fut alors qu'il se mit à penser aux petites filles".

(p 87). nourrissent, à juste titre, les appréhensions...

Alice Ferney, Grâce et dénuement, Actes Sud.

Un monde à part.

Ils ont planté leurs caravanes dans un vieux potager abandonné, et ils vivent là, les cinq grands garçons d'Angeline, avec leurs épouses et la marmaille. Un jour, ils recoivent la visite d'Esther qui s'intéresse aux enfants et conquiert leur amitié. Esther, la gadjé, vient avec ses livres, et tandis que les enfants vont connaître par ce canal une vie imaginaire, la conteuse va connaitre leur vie quotidienne, faite de "grâce et de dénuement".

Alice Ferney ne présente pas une vie idyllique des Gitans, pas plus qu'elle ne jette sur eux un regard angélique. Mais à connaître les gens, on finit par les aimer, surtout les femmes et les enfants. Insouciants ou résignés, ils ne sont pas à l'abri des drames devant lesquels, plus que d'autres, ils sont démunis.

Pas de trémolos dans la voix d'Alice Ferney, mais une présence affectueuse qui conquiert le lecteur. Esther raconte pour les enfants, et par dessus leurs épaules, les lecteurs écoutent la voix d'Alice.

J'aime bien ces phrases qui accueillent les paroles d'autrui, qui les apprivoisent et nous les font entendre :

Citation :

"Les femmes épluchaient des pommes de terre. Tu n'as pas mis le chemisier noir, dit Misia. Elle ne doit pas l'aimer, dit Milena. Si, je l'aime, dit Esther, mais c'est trop habillé pour la journée. Tu es gentille ! dit Angéline, mais moi je crois que tu voudrais jamais montrer ta poitrine et ce chemisier il est bien trop ouvert. Les joues d'Esther devinrent deux pommes rouges."

.Parenthèse : Alice Ferney incorpore donc à son récit ("Grâce et dénuement") des phrases tirées des contes qu'Esther lit aux enfants.

A la fin du volume, elle donne les références des citations et précise les pages où celles-ci interviennent. On a donc une bibliographie succincte (23 titres) des lectures pratiquées.
Dans "Elle est debout sur mes paupières", Cécile Clozel donnait aussi le "carnet des chansons de Lou".

Ces attentions sont des cadeaux pour le lecteur.

Respect, pudeur et affection sont notamment les qualités de ce livre attachant.

Les autres

Dans une belle maison de famille, on fête un anniversaire. Celui de Théo : il a vingt ans.
Son père est absent. Sa mère, Moussia, est présente. Sa fiancée Estelle est là aussi .Son frère Niels également.
Autour d’eux, des amis proches : Claude et Fleur, sa fiancée. Marina et son petit garçon Arthur.
A l’étage, Nina, la grand-mère centenaire de Théo et Niels, la mère de Moussia, vit ses derniers instants.

La tendre Moussia est délaissée depuis des années par son mari Luc. Elle sauve les apparences.
Niels se sent moins aimé que son frère ; il est brutal, provocateur, plutôt insupportable.
Théo est doux, compréhensif, attentionné pour sa mère. Il rayonne de bonheur auprès d’Estelle, son adorable fiancée si intelligente.
Claude est, prétentieux, content de lui. Il est accompagné par Fleur, ravissante, riche, un peu superficielle.
Marina, la révoltée, est venue avec son fils de 4 ans, Arthur, à qui on ne connaît pas de père.

Quelle drôle d’idée ! Niels a offert à son frère un jeu de société : Personnages et Caractères… (sur la boîte l’avertissement suivant :Personnes susceptibles s’abstenir !).
Un jeu qui permet, au travers de questions, de découvrir mieux qui l’on est, ce que nous sommes aussi aux yeux des autres, dire ce que nous pensons d’eux…Un vrai jeu de massacre ! Et pourtant, poussés par Niels, ils vont y jouer…Nul ne sortira indemne de cette soirée.

La soirée sera relatée de trois manières :
- dans une première partie, Choses pensées, on vit de l’intérieur de chacun ce qui se passe.
-la deuxième partie, Choses dites, pourrait faire une pièce de théâtre. L’auteur relate tous les échanges verbaux.
- la troisième partie s’intitule Choses rapportées…Comme un bilan de cette soirée…

Dans ce huis clos, les rancoeurs, les peines, les douleurs plus ou moins enfouies, les secrets, les sentiments inavouables. Tous seront peu à peu exprimés par les participants qui vont se dévoiler.

Passionnée par la première partie, intéressée par la seconde, j’ai trouvé la dernière un peu longue…J’avais envie d’en finir avec cette soirée et ce jeu…
Si on me propose d’y jouer, je refuse !

Les autres

Extrait du livre :

(FLEUR)

"Qui n'est pas susceptible ? Qui peut entendre les critiques en souriant ? Très peu de gens sont capables d'écouter une remarque ou un reproche qui engage leur être, sans éprouver aussitôt du mécontentement, un grand déplaisir, et de la colère contre celui qui leur parle. Je suis sûre de cela. L'expérience est simple à mener : essayez de pointer le nez d'un ami sur son défaut le plus criant. Adressez-vous à lui avec douceur et gentillesse, mais franchise, sans éluder, puis regardez sa tête : déconfite, furieuse. Il vous en veut déjà... et quelque chose est détruit entre vous, la candeur, l'idée qu'on se faisait de l'idée que l'autre se faisait de soi, irrémédiablement annihilée par une seule parole. Un mot qu'on a laissé s'envoler ne se laisse plus jamais rattraper par l'aile. Qui a dit cela ? Estelle doit le savoir, il paraît qu'elle sait tout. Alors je le lui demande. C'est Luther qui a écrit cette phrase, dit Estelle. Il voulait signifier bien sûr que tout peut être dit, que les paroles ont la légèreté du souffle qui les porte et s'évanouissent comme la voix, et cependant toutes ne peuvent pas être dites. Il nous faut du discernement.
Ils n'y croient pas. Ils veulent penser que l'on peut se parler ! Je m'étonne vraiment mais n'ose pas insister. Niels est persuadé qu'il n'a pas de défaut. Il n'imagine pas une seconde ce que nous pourrions lui dire. On ne peut presque rien se dire les uns sur les autres. Cette conversation-là est un sentier miné. Il faudrait le déplorer, se corriger, accepter d'écouter dresser la liste de ses défauts par ses amis. N'est-ce pas pour les autres que l'on se transforme soi-même ? Claude me trouve maniaque dans mon appartement. Je peux l'entendre mais ne supporte pas qu'il me prenne sur le fait et me le fasse remarquer. Car alors le trait s'impose indéniable et nous n'avons rien à débattre."

Les autres
J'aurais dû préciser que c'est une très belle écriture que celle d'Alice Ferney. Je pense qu'elle est aussi une fine psychologue.

Personnellement, la première partie m'a semblé aride et m'a laissée perplexe et déçue: des pensées éparses juxtaposées sans aucun liant, des questions sans réponses. Mais dans la seconde partie tout prend forme; sous forme de dialogues vifs et incisifs, l'auteur nous précise et affine ses personnages, les secrets émergent et les non-dit s'expriment. La troisième partie nous relate avec une grande finesse psychologique les pourquoi de l'histoire,ce qui sous tend une individualité, ce qui la forme, les blessures et les secrets qui construisent et/ou qui détruisent; elle explicite les relations ainsi tissées, la part d'amour et de haine de chacun. Le roman traite aussi de la façon dont chacun se perçoit, différente de la perception qu'en ont les autres, des difficultés du point de rencontre de ces regards divers. Le jeu à la base du récit est un jeu de "massacre"; pourtant on note un regard chaleureux de l'auteur pour ses personnages et une compréhension de leur être; ce n'est pas tant désabusé qu'on pourrait le croire ni cynique, mais sous l'ironie perce la tendresse et finalement l'amour.

La conversation amoureuse

Voilà un livre que j'ai savouré, tant pour la qualité du style, langoureux comme l'amour, que pour les nombreuses idées sur les rapports si ambigus hommes / femmes.

L'intrigue semble banale : un homme tombe amoureux d'une femme croisée à l'école où va son fils. Il vient de divorcer, elle est mariée, mais l'éclair du désir passe entre ces deux-là et il n'y a plus qu'à attendre le dénouement inéluctable.

Cette histoire est entrecroisée avec celles de plusieurs couples, amis plus ou moins proches de ce binôme héroïque passionné.

Alice Ferney nous décrit les émois des personnages dans le détail et propose une double lecture du sentiment amoureux : vu par les yeux de la femme, qui s’illusionne beaucoup, et vu par les yeux de l’homme, séducteur et conquérant de l’immédiat.

Lui est mû par un fort désir physique, alors qu’elle ressent une affection croissante et douloureuse pour cet inconnu, qu’elle fréquente d’abord timidement avant de lui céder.

Bien entendu, après leur aventure charnelle, il ne reste pas grand chose : une vague amitié, un brin de malentendus, et une trace lumineuse de ce flamboiement éphémère.

L’écriture est scintillante. Dans sa pudeur, sa lenteur. Elle nous berce tellement qu’on partage vraiment la magie de ce moment unique où deux êtres se reconnaissent et se complètent.

Quand j’ai refermé le livre, j’ai eu la sensation d’avoir baigné dans la douceur et la beauté.

Des mots, du monde, de l’amour…

J'ai commencé à lire Alice Ferney avec"La conversation amoureuse" et j'ai été tellement enthousiasmée, ravie, que je les ai acquis l'un après l'autre ! Et...depuis je guette la parution du suivant.Je les pointe de cinq étoiles. Une auteure(je ne m'y fais pas!)donc une auteure à ne pas laisser passer ! A lire ! Que du bonheur ! alouette.

suzanne a écrit:

J'ai commencé à lire Alice Ferney avec"La conversation amoureuse" et j'ai été tellement enthousiasmée, ravie, que je les ai acquis l'un après l'autre ! Et...depuis je guette la parution du suivant.Je les pointe de cinq étoiles. Une auteure(je ne m'y fais pas!)donc une auteure à ne pas laisser passer ! A lire ! Que du bonheur ! alouette.

il te faut donc lire Grâce et denuement en première page de ce fil et le conseiller aux membres du gouvernement dont la politique d'expulsion des Roms a été explicitement désavouée à Strasbourg !

suzanne a écrit:

J'ai commencé à lire Alice Ferney avec"La conversation amoureuse" et j'ai été tellement enthousiasmée, ravie, que je les ai acquis l'un après l'autre ! Et...depuis je guette la parution du suivant.Je les pointe de cinq étoiles. Une auteure (je ne m'y fais pas !) donc une auteure à ne pas laisser passer ! A lire ! Que du bonheur ! alouette.

Oh oui, j'ai suivi le même chemin que toi avec Alice Ferney et maintenant il me les faut tous !

J'ai commencé hier "passé sous silence" et j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, mais je poursuis quand même... Quelqu'un d'autre l'a lu ?

IzaBzh a écrit:

J'ai commencé hier "passé sous silence" et j'avoue avoir du mal à rentrer dedans, mais je poursuis quand même... Quelqu'un d'autre l'a lu ?

Est-ce le récit qui se passe pendant la guerre d'Algérie avec comme personnages de Gaulle et bastien thierry ?

on m'en parlé hier soir dans une file d'attente, et la personne en était très contente.

Oui, c'est celui-là. J'ai vu une critique sur le net qui était emballée par ce livre, mais c'est la première fois que je n'arrive pas à m'attacher à un livre d'Alice Ferney, peut-être parce que les motivations des personnages me passent complètement au-dessus de la tête. N'empêche qu'il est extrêment bien écrit

Je viens de le terminer, donc je me lance...
Ce livre est la version romancée de l'attentat du Petit Clamart contre le général de Gaulle avec des noms différents (De Gaulle/De Grandberger, Bastien-Thierry/Donadieu, Vieux Pays/France, Terre du Sud/Algérie). Alice Ferney y fait alterner les visions des deux personnages principaux.
Dans plusieurs critiques, j'ai constaté que ce roman était plutôt bien reçu et qu'on félicitait Alice Ferney d'être sortie de son créneau habituel ("les histoires de bonnes femmes" !) pour s'attaquer à l'histoire récente et à des personnage connus.
Justement, c'est ce qui m'a freinée. J'aime ses histoires de bonnes femmes, non mais ! Entre le général, ex-héros de la guerre de 40, dévoré d'ambition et d'action et qui supporte difficilement sa retraite, et ce militaire catholique de bonne famille plutôt fanatique qui fait passer son honneur avant sa vie, ce roman m'a paru étranger. Impossible de m'attacher aux personnages, même si les passages sur De Gaulle laissent deviner une certaine admiration pour le personnage. Toute cette obsession de l'honneur, la patrie, cet homme qui fait passer cela avant sa propre famille et, en plus, pour garder une colonie, ça me dépasse complètement ! On dirait des stéréotypes (limite macho) plutôt que des êtres humains.
Ce qui ne m'empêchera pas de lire le prochain Alice Ferney, en espérant qu'elle n'écrira pas un autre roman "historique"

"passé sous silence"

Ce sont surtout les personnages et leurs "mentalités" qui t'ont déplu ?

qu'aurait-ce été si tu les avais connus ou fréquentés !

la personne qui m'avait parlé de ce livre avait vécu les évènements et avait donc, je suppose, une certaine distance avec les personnages.

Je le lui demanderai à la première occasion, en fin de semaine.

C'est leur mentalité, en effet, qui ne rejoint en rien ce que j'aime et ce en quoi je crois.
Par contre, j'ai lu de très bonnes critiques sur le net, y compris celle d'un fils de pieds noirs qui était ravi qu'on remette cette période en lumière.

Passé sous silence

Selon mon informatrice, c'est le général de Gaulle qui s'en sortirait mal dans ce récit : pourri d'ambition, il aurait condamné à mort Bastien Thiry, ici sous un pseudo, sans user de son droit de grâce comme il était possible surtout que le condamné en question était en dépression.

Toujours de la même source, Jean Bastien-Thiry, homme de droite, mais sans les excès de l'OAS, d'une droite dite "des valeurs", honneur et tout, avait sacrifié son bonheur familial pour l'engagement politique. Il voulait un procès en justice et une destitution du Général qui avait trompé son monde. ie roulé dans la farine les pieds-noirs et les Algériens non engagés dans le FLN.

Bref, pour ma lectrice, sans sympathie politique avec le fusillé, c'est bastien thiry qui a le beau rôle dans le récit.

En même temps, toutes ces données seraient conformes à un ouvrage concernant l'attentat du petit Clamart lu par ma lectrice parallelement à Alice Ferney.

fin de mon interrogatoire amical.

Assouline dans son blog se montre réticent devant l'entreprise d'Alice Ferney :

Citation :

L’homme de l’attentat [Jean Bastien-Thiry] est constamment présenté comme un supplicié victime de l’Histoire, naïf, orgueilleux, pur esprit d’ingénieur incompétent en matière militaire, pas même capable de manipuler du plastic ou de tirer à la mitraillette, personnage de haute morale prêt à se sacrifier pour sa cause, noble, pur et plein de compassion pour son prochain ;

et sa cible comme un personnage laid, grandiloquent, cynique, emphatique, arrogant, vaniteux, dictatorial, égocentrique et sans coeur.

De la préparation de l’attentat à la fin du procès, l’honneur est toujours d’un côté, et le déshonneur de l’autre. “Tu étais un insurgé, pas un criminel”.

On a parfois envie de rappeler à l’auteur que l’un a tout de même tenté d’assassiner l’autre, qu’il n’a exprimé aucun regret, qu’il était prêt à recommencer et que tout dans sa propre défense laisse à penser qu’il eût jugé déshonorant d’être gracié par un homme qu’il méprisait. Elle fait penser à ces avocats qui veulent absolument sauver la tête de leur client malgré lui.