Chapitre 1 : Le géant
L'arbre, au milieu de l'air chaud et des montagnes environnantes était à moitié déraciné sous le poids d'un géant qui avait pris le vieil arbre solitaire pour dossier. Le géant était torse nu, son énorme ventre rose couvert de cicatrices gonflait au fur et à mesure de ses ronflements. Il portait un jean délavé, négligé, déboutonné, sale depuis des jours.
A vrai dire, le géant mesurait près de vingt mètres de haut, et n'avait pas le moindre argent. Son visage était mouillé de larmes et de bières, mais son esprit se trouvait immergé dans l'épaisse tranquillité d'un sommeil sans rêve.
La chaleur donne soif. Le géant avait puisé son content dans le lac et dans les tonneaux de bières qu'il avait pris dans les débris du château du puissant roi. Kofnaal.
Je toisais ce gros tas en sommeil en attendant qu'il se réveille. Je le lui avais dit, que s'il me touchait, je serais capable de le tuer. Comme le géant était craintif et peu intelligent, il avait fini par comprendre. Parce que l'affection de ce géant était aussi débordante que dévastatrice. Il se réveillait. Son sommeil poussait ses derniers râles, son visage se tournait vers moi, puis de l'autre côté, puis une nouvelle fois vers moi.
Le soleil attaqua ses yeux avant que son regard s'habitue à la clarté de ce mois de Mars. Une ombre était là, dans son champ de vision, une ombre minuscule de chien qui se mit à lui parler. L'air hostile et intrépide, les pupilles de ses yeux étaient pâles de haine. Ce chien était affreux, pensait-il. Moche et hostile. Il avait un œil de verre qui lui donnait l'apparence d'un monstre, et avec ça un cheveu sur la langue. C'était un chien dangereux qu'un chasseur aurait abattu très rapidement, même s'il avait été à lui. Un chien enragé, sa haine est implacable.
"C'est pénible. Tu encombres le paysage avec ton ventre. Les choses les plus grosses sont ici-bas les plus inutiles. Dis-moi à quoi est-ce que tu sers ? Dès que j'en aurais la possibilité, je te couvrirais de terre. C'est regrettable que l'alcool ne tue pas celui qui passe sa vie à dormir." Lança-t-il.
"J'ai faim." Murmura le gros d'une voix souffreteuse.
"Crétin. T'as qu'à bouffer ton ventre. Seize-mille tonnes de viandes, de fruits, de pommes de terres et de légumes, toi tu ne prends que des tonneaux de bières."
Le géant essayait de se tourner sur le ventre en tirant les hautes herbes vers lui, mais il ne parvint qu'à arracher une touffe de cette herbe. Il se roula sur lui-même dans un long et un pénible effort, et se hissa pour se mettre à genoux à l'aide de ses bras.
Il transpirait et soufflait. Il voulait retrouver la belle chevelure blonde qu'il avait trouvée s'enfuyant au loin. Il voulait retrouver Ab. Ab était un monticule de pierre qu'il avait dressé et qu'il câlinait quand il se sentait seul. Il avait du le reconstruire des milliers de fois parce que cassés sous la pression de cet énorme torse. Je laissais ce géant seul, et allait courir sur mes quatre pattes vers l'ouest.
Le géant plongeait dans le lac, un lac froid et profond. Etre dans ce lac, c'était changer de dimension. Ni lui ni personne n'était parvenu à en toucher le fond qui devait être couvert de mercure et de débris de bois.
Le géant se souvenait. Il n'était jamais parvenu à contrôler sa force. C'était son malheur, or il ne pouvait s'y résoudre, comme toutes créatures, son regard se dirigeait vers le bonheur, comme sur les formes et les courbes érotiques de la féminité. Sentir la chair de l'autre contre soi c'était sentir son âme, se sentir exister. Se sentir exister pour quelqu'un. Ses souvenirs négligeait les belles choses et tenait peu comptes de ceux qui l'avait aimé. Il se souvenait surtout des dégâts qu'il avait causés.
*
**
Des étudiants en chemise de travail flânaient autour d'un tronc coupé. Certains profitaient du temps libre pour fumer, l'un d'entre eux avait amené son petit frère, un collégien, dont la chevelure était rousse et bouclée, et dont le visage était parsemé de façon apocalyptique, des tâches de rousseur, dont l'allure innocente et la timidité cachait une disposition pour le vice. Une femme s'était trouver avec lui et lui avait parlé. Des liens s'étaient formés entre eux et il avait fini par abuser d'elle. Personne ne le savait. Mais il n'oublierait pas sa robe de paillettes, ses cheveux d'une blondeur presque blanche, ses lèvres pulpeuses et ses formes gracieuses.
La violence compulsive de sa passion avait un empire sur son corps physique, ses jambes n'étaient faites que pour courir et ses bras pour prendre, son esprit était faible. Et son frère et ses amis s'en rendrait compte un jour.
Un de ceux là était assis sur le tronc coupé, il avait l'air d'être le chef de cette bande. Il avait la coupe taillé au millimètre, une chemise impeccable, c’était le genre de garçon à s’entretenir méticuleusement, seul sa barbe, qui commençait à pousser, pouvait lui donner une apparence négligée. Il comptait silencieusement ses pièces sales et grasses, ainsi que ses billets froissés. Personne d'autre qu'eux n'était là pour assurer la commercialisation de la sainte défonce. De ce fait, l'argent venait facilement. Le garçon se voyait plus tard chef d'une mafia au cœur d'une grande ville, cessez d'être un pauvre dealeur dans une contrée campagnarde.
J'arrivais près de cette bande de jeunes désœuvrés. Ils me regardèrent arriver, sans broncher comme un évènement historique dans un article de journal.
-" L'un d'entre vous à causer des malheurs à une femme. Je sais qui c'est, c'est toi." dis-je en désignant le jeune rouquin.
Le grand frère leva les yeux sur celui que j'avais désigné, en fait tout le monde le regardait. Tout le monde respectait et protégeait la femme dont il avait été cause du malheur.
"Rafael, tu vois les ruines derrière la montagne du nord, non loin du lac ?" Demandais-je au garçon posé sur le tronc coupé.
"Oui, c'était un château"
"Je le sais, il faut que vous débrouillez pour le reconstruire, pas forcément de vos propres mains, mais par celles des autres, vous avez tout le temps que vous voulez."
"Ça fait plus de cinq cent ans qu'il a été détruit ce château..."
"Tu sais comme moi, que tu n'as aucune volonté face à moi. Si je dis que tu vas reconstruire le château, tu le feras. Nécessairement. Tu le sais."
Le garçon resta silencieux comme pour refuser, mais après quelques instants d’un duel silencieux de regards qui se soutenaient l’un et l’autre, il répondait qu'il ferait reconstruire le château.
"Je dois repartir, maintenant. Faites comprendre au petit qu'il doit à présent être un homme, et maîtriser ses passions"
"Sa raison est maintenant un corps d'homme sur le dos d'un taureau furieux, se maintenant dessus en se tenant par ses cornes." Conclut le garçon sur le tronc coupé, d'une voix sentencieuse.
"Adieu."
Je repartais en direction d'où j'étais venu, en direction du lac où se reposait toujours le ventre de bières et d'inconséquences. J'allais partir avec lui, faire une longue route, traverser la terre pour trouver en l'endroit où giserait son gigantesque corps.
Je dépassais le lac, personne aux alentour. Je me dirigeais donc vers les ruines en accélérant ma course, je régularisais mon souffle, afin de ne pas cracher mes poumons en arrivant, à chaque instant je maudissais le ciel de n'avoir pas fini d'arriver, à chaque instant je croyais être au bout de mes forces. J'avais moins d'énergie que n'importe quel autre chien, je n'avais pas l'habitude.
Arrivé au milieu des ruines, je cherchais la réserve. Il y était encore, par terre un très grand filet de pèche qui n'avait jamais été utilisé. Je le prenais entre ses crocs et le traîna au pas de course vers le lac. Une fois au lac je plongeais et nagea vers le fond. Une grosse ombre noire était là, je nageais plus profondément jusqu'à la dépasser et laissa nager la forme à l'intérieur du filer. Remontant à la surface, il respira un grand coup et posa ses pattes sur le sol boueux. Il tirait le filet, mais n'avais pas assez de force, il ne pouvait pourtant pas lâcher prise, sinon le géant se noierait, et mourrais.
Les garçons l'avait maintenant rejoins près du lac, et ils s'y mirent à dix pour sortir le géant rose de l'eau. Le géant, une fois au contact de la terre, se hissa lui-même pour se joindre aux forces harassées du chien et des adolescents. Il s'assit sur terre, cracha de l'eau et du sang, avant de dire :
-"J'ai touché le fond !"
-"Mon dieu, l'imbécile. L'enflure, qu'il soit maudit" marmonnais-je entre mes dents.
Les adolescents ricanaient, le géant continuait de cracher en se débarrassant des saletés qui se trouvaient sur lui. Il gratifia son publique d'un ultime spectacle en secouant son arrière-train à la manière des chiens, comme pour se moquer de moi, ce qui causa l'hilarité générale.
"Je ne suis pas un imbécile, mon coco. Y a rien de mieux que de se retrouver dans l'eau froide, le lendemain d'une cuite, par cette chaleur. Même si ce lac est très sale. Je me sens renaître. Les êtres n'ont pas besoin de grandes idées, ils ont besoin de repos. L'esprit, c'est une perversion, ça n'amène les hommes à ne construire que des choses futiles qu'ils finiront pas détruire d'eux-mêmes si cela n'a pas déjà été fait avant."
"Toi tu as surtout besoin de te laver avec autre chose que de la vase. Tu ne pense qu'à toi. Se reposer, mais tu ne vis pas seul mon gros. On est plusieurs sur terre, on est une communauté, et toi, toi, toi tu lui sers à rien."
"Pourquoi tu m'as sauvé la vie ?"
"J'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu réfléchisses sur ce que tu as fais. On va voyager. Je vais t'emmener découvrir du monde."
"Pourquoi tu ferais ça ?"
"Tu vas me suivre. Aussi bien qu'un âne suit la carotte."
"Si tu présentes les choses comme ça..."
"Tu vas m'obéir, et tu le sais très bien. Ce que tu ne sais pas, c'est pourquoi tu vas m'obéir. Parce que t'es un imbécile, un crétin qui ne pense qu'à se saouler."
Le géant ne se démonta pas, et pris un autre tonneau, cassa le couvercle et but d'un train toute la bière qui s'y trouvait. Je dis une dernière fois aux jeunes de s'occuper du château, et fis signe au géant de me suivre.
Chapitre 2
Ba
-"C'est quoi ton nom ?" Demandais-je au géant
-"Ba" répondit-il à voix basse
-"Pardon ?"
-"
Ba" dit-il plus fort.
Je ne répondis rien. C'était pas un nom ça... le géant avait du se le donner histoire de s'appeler quelque chose. La longueur des pas de Ba m'obligeait à marcher avec un rythme soutenu pour ne pas me laisser distancer. Heureusement, pratiquement tous de ses deux jambes étaient enfoncées dans la graisse de son ventre, le reste n'était pas beaucoup plus grand que moi. Je ne l'avais jamais vu couvert d'autre chose que ce machin qui ne ressemblait à rien, qu'il était obligé de tenir avec la main quand la braguette se brisait, car elle supportait mal que son ventre grossisse au fur et à mesure des bières et des sucreries.
Sur un seul plan, j'étais comme lui. J'avais l'ivresse de la chaleur, au point de ne pas se gêner d'en transpirer en permanence. C'est pour cette raison qu'on se dirigeait vers le sud. Vers le Sahara, après avoir traversé la Belgique, la France, l'Espagne et l'Algérie. Je restais silencieux, méditant sur ce voyage, et marchant en compagnie de cet alcoolique ne me faisant aucune ombre. J'avais besoin de prouver quelque chose.
Lui aussi restait silencieux. Il ne craignait pas la soif, il avait bu tellement de bière dans sa vie que son corps fonctionnait comme celui d'un dromadaire. Il ne pouvait craindre le désert, et je crois pas, qu'il n'ai bu d'eau depuis des années. Pour ma soif personnelle, je l'avais chargé d'un sac remplis de quelque gourde d'eau. Par contre, pour la fatigue je n'avais rien prévu. J'étais courageux, et pour lui c'était "marche ou crève."
Je sais que des hommes ont été capable de parcourir la Sibérie, la Mongolie, la Chine et arrivé en Inde par la seule force de leur jambes. Et rien ne nous empêcherait de nous reposer plusieurs jours.
-"Tu connais cette femme, à la chevelure blonde..." Lui demandais-je
Le souvenir de cette femme s'éveilla tout de suite dans l'esprit de Ba. Il l'a voyait encore, fuyante, pleurant, criant au secours. Lui aussi l'avait excité. Et il en avait honte.
-"Qui ça ? Y a plus d'une femme de ce type là dans le monde tu sais..."
-"Pas dans nôtre contrée. Tu sais très bien de qui je parles."
-"J'ai connu plusieurs femmes. Une seul d'entre elle m'a aimé. Elle m'aimait parce que je suis fort. Elle aimait mon dos. Je lui racontais des histoires... qu'elles soient vraies ou fausses. Elle aimait ça. Et puis on s'en fiche que ce soit vrai ou faux, non ?"
-"Morte ?"
-"Oui." Dit-il en regardant ses pieds, fermant ses yeux dans une expression de colère.
-"J'suis sûr que c'est à cause de toi, crétin que t'es."
"TA GUEULE ! hurla-t-il, c'est pas tes oignons ! Elle... elle aimait la poésie et moi aussi. Encore aujourd'hui elle pense à moi... avec amour..."
Je restais silencieux, l'insultant par lâcheté dans mon esprit. Je n'avais plus réellement envie de discuter.
Sous l'aurore boréale, assis dans l'herbe rafraîchie par l'obscurité, ils vivaient l'une des plus belle nuit de leur amour. Ba n'avait jamais autant bu de sa vie, et de loin. Aussi, il laissait de l'air rentrer en lui alors que ses pensées étaient en plein délires. Il était comme dans un état transitoire, balancé dans le vide avec son amour qui le suivait partout. Le paysage, son passé, son esprit était déformé, seul son amour était résolument intacte, et plus puissant que tout.
Ils n'avaient jamais fait l'amour ensemble, lui était puceau, n'ayant jamais trouvé de partenaire de sa taille, à fortiori qui aurait accepté de pratiquer son corps titanesque. C'est pour ces raisons que son désir sexuel envers elle était décuplé par dix, cent ou mille.
Il parlait à voix basse. Lui racontant une autre histoire, oubliant sa forme épaisse et le fait est qu'il n'était pas humain, il lui promettait qu'ils seraient Bonnie & Clyde, Roméo & Juliette, ou encore Jack & Rose. En escaladant son dos et le massant de son corps nu, elle lui dit qu'il n'était pas Jack mais le Titanic à lui tout seul. Elle aussi était ivre, mais très légèrement comparé aux litres qu'avait ingérer Ba.
Après un silence, il ferma les yeux, et réfléchit mélancoliquement. Il avait besoin de cet accomplissement de leur amour par les liens sacré du corps et des parties. Il souhaitait par amour que se rejoigne leur mains et se serrent dans l'effort commun. Il avait besoin, parce qu'il était excité de soulager son sexe qui n'en finissait pas de durcir sous l'effet du désir, de l'alcool et de ce que lui faisais Majorie. Leurs relations n'allaient jamais plus loin que les préliminaires. Il se sentait frustré, et son envie grandissait, il en oubliait même qu'il l'aimait.
Une voix calme s'éleva dans la nuit. Il avait pris sa résolution.
"J'ai besoin de toi Majorie."
Elle resta immobile sur son dos, et lui demanda ce qu'il se passait, et de quoi il avait besoin. Ba ne fit pas attendre sa réponse et lui dit qu'il avait besoin de faire l'amour avec elle. Ils avaient déjà essayé à plusieurs reprises de faire l'amour, dans diverses positions, Majorie dans une position dominante. Mais elle n'avait résolument pas assez de force pour pratiquer son instrument. La seule solution était que Ba soit dans la position dominante, dans cette posture il n'arrivait qu'à exécuter le missionnaire. Le risque était donc que Ba écrase Majorie sous son poids.
Il comptait sur le fait que son ventre avait la même consistance que de la pâte-à-modelée, et donc qu'il puisse lui passer dessus sans que ses os se rompe. Pour ce qui était de l'étouffer, il n'y avait de risque, la chaire de Ba était si éventée (la seule différence avec la consistance d'une pâte-à-modelée) que son ventre ne pouvait étouffer personne, en revanche, écraser, il le pouvait que trop bien.
Majorie était prête. Leur ton solennel était plus lié au risque évoqué qu'au moment unique et précieux de la première fois. Majorie se couchait par terre, son ventre se soulevait sous l'effet de sa forte respiration. Elle était comme émue par le meilleur, résignée par le pire. Il s'avançait vers elle, lui faisait des bises dans le coup, sur les épaules sur la poitrine. Comme d'habitude, inutile de se précipiter. Il lui donnait les plaisirs de son corps, comme on donne l'extrême-onction. Majorie jouissait en silence, ses jambes reculaient vers sa croupe et s'étiraient lentement. Elle semblait regarder en arrière mais fermait les yeux. Ba s'approcha, elle releva sa tête pour que Ba puisse l'embrasser sur la bouche. Puis il s'avança encore, jusqu'à que sa verge atteigne son entrecuisse.
Puis il lui fit l'amour. Se laissant lentement tomber sur elle. Allait et venait sur son corps, sentait au début la respiration de sa conjointe sur son ventre. C'était une première fois. Il n'était pas doué, aussi l'excitation et la volupté finirent par avoir raison de lui et ne plus penser qu'à son propre plaisir. Ses sensations s'exacerbaient de façon violente. Il était comme immergé dans un autre monde, incandescent et aussi complexe que les fils d'une toile d'araignée. Il était l'araignée et Majorie était sa proie. Majorie n'existait presque plus. Ba s'enfonçait de plus en plus dans cet autre univers, regardait d'un visage ébahie une ellipse blanche lui faire tourner la tête.
L'apothéose arriva enfin, il sentit une force violente agir sur sa poitrine, puis il sentit se vider. Il chutait d'une tour plus haute que tout au monde. L'atterrissage fut brutal, il était épuisé, ne sentait plus ses forces. Il repensa à Majorie et du même coup, s'éloigna d'elle dans ce qui lui restait de force. Une fois assez éloigné, il s'écroula par terre et se reposa pendant une heure. Il retrouvait l'obscurité de la nuit et l'herbe froide. Il avait la nausée. Il connaissait cette sensation par cœur, aussi il sut l'a réprimé. Il se releva enfin, et contempla le corps inerte de Majorie.
L'effroi parcourut tout son corps. Puis les larmes lui montait aux yeux. Son visage était inexpressif, elle n'avait plus de forme. Il l'avait écrabouillée. Il ressentait l'envie de s'enfuir loin, il était terrorisée par ce qu'il venait de faire. Il passa lentement ses mains de son front à son menton, sur son visage mouillé de sueur et de graisse. Puis il regarda ses mains dont les doigts étaient repliés sur eux-mêmes. Il ressentait sa culpabilité comme faisant corps avec lui. Sa culpabilité qui était pour le moment terrible et sans retour possible. Il déplia ses doigts, contempla ses mains, et se mit à pleurer dedans.
Les jours se suivaient, Ba ne les distinguaient pas les uns des autres. Sans son idylle, dont il ne restait que les morsures de terreurs et de sentiments blessés, sans rien d'autres à faire que de boire comme à son habitude, et de dormir. Il savait qu'il n'oserait jamais plus revivre une relation avec une fille. Il ne pouvait certes contrôler ses sentiments, et lui bien moins que quiconque, mais il n'oserait jamais faire les démarches pour approcher le coeur des jeunes filles. Il savait aussi depuis cette nuit terrible qu'il ne saurait plus contrôler son désir sexuel, en dépit du fait qu'il rattachait ce désir à la mort de Majorie.
Il avait imaginé Ab lui dire qu'il devrait arrêter l'alcool. Mais c'était impossible, l'alcool était nécessaire à son métabolisme depuis des décennies. Ab ne pouvait comprendre, il ne buvait jamais d'alcool. Et lui n'était même pas sûr de retrouver quelque fois un état normal. Il n'était même pas sûr de se souvenir de ce que c'est "être dans on état normal". Après tant d'année, c'était à se demander pourquoi il n’avait pas attraper la mort. Mais il n'avait aucun élément de comparaison avec ses congénères, vu que parmi ceux qui buvaient de l'alcool, il était celui qui avait le métabolisme le plus puissant. Dans son enfance, il lui fallait boire une dizaine de litres pour être éméché.
Un groupe de jeunes venait vers lui tandis qu'assis sur l'herbe, il buvait encore. C'est la première fois que cette bande de jeune voyait une chose pareille, pourtant, ils étaient nés dans le coin. Ba les entendait parler dans son dos. Ils s'exclamaient, d'abord puis riaient. Mais Ba s'en foutait, il avait passé l'âge d'être affecté par les quolibets des autres depuis longtemps. Puis il sentit qu'on lui balançait un caillou. Il ne réagit pas. Le deuxième qu'il reçut dans le dos était beaucoup plus gros, il mesurait dix centimètre de diamètre.
La bande de jeunes s'amusèrent donc à lui jeter des cailloux. L'un d'entre eux, envoya un rocher de trente centimètre qui atteignit cette fois son crâne. Le choc vint en même temps que la douleur, Ba se retourna et vit de ses yeux la bande hilare. La cause de leur hilarité était autant liée au fait que des cailloux jetés que de sa sale gueule.
Il se leva, et avança très calmement vers l'auteur de la faute. Ce dernier n'osait pas bouger d'un centimètre, les autres commençaient à reculer pour s'échapper. Ba décocha un violent coup de point au garçon. Il n'était pas assommé, ni même sonné. Son cou était déboîté, il était mort sur le coup.
Les jeunes regardèrent leur pote, gisant par terre. Le cou désarticulé, le visage aussi inexpressif que Majorie.
Le jeune n'était ni sa première, ni sa deuxième victime. Tuer sous l'effet de la colère, ne lui faisait plus beaucoup d'effet, on avait plusieurs fois essayé de le tuer à cause de son apparence trop extravagante, il s'était défendu et avait ressentis de la culpabilité les premières fois. Aujourd'hui il n'en ressentait que par Majorie, qu'il avait tué à cause de son affection. Ou même pire, de son excitation. La plupart des jeunes avaient décampés, il n'en restait que deux.
"Excusez-nous... euh... monsieur. On voulait seulement attirer votre attention, il n'aurait pas du...il..."
"Je m'en fous. Allez rejoindre vos potes. Si je revois l'un de vous, ce sera le même sort que pour ce pauvre type. T’occupe pas de lui, fiston. Je m'occuperais de le mettre sous terre. Si ces proches sont prévenus, ils n'ont qu'à venir, ils subiront exactement le même sort. Si tentés est la ville entière est de me tuer, je me défendrais sans peine."
Ba se retrouva seul, au milieu de ce désert campagnard. Il savait que le village n'attaquerait pas, ni personne d'autres. Il était faux qu'il avait la moindre envie de se défendre contre le village entier. Il n'en était pas au point de vouloir se tuer, mais n'était pas sûr d'avoir la force de volonté nécessaire pour sauvegarder sa vie qui n'était faites que d'alcool et de ronflements. Ah ça, la mort lui empêcherait définitivement de boire, mais pas de dormir tranquillement, sans cette culpabilité qui ne le quitterait pas. Il n'avait aucun souvenir de sa famille, il avait eu des amis pendant son enfance, alors qu'il ne mesurait que cinq mètres. Il était déjà celui qui rompait la tranquillité des gens. Son inconséquence avait brisé en mille morceaux la demeure de ceux qui l'avaient pardonné par la suite. Il n'avait jamais su se contrôler, il ressentait son affection comme une boule coupante, cent fois plus grosse que lui. Ses amis lui avaient donné un prénom, mais il l'avait oublié.
Il était né avec la même taille qu'un bébé normal. Mais avait déjà sa couleur rose bonbon, et son ventre était assez rond pour être couvert de vergetures. S'il n'avait pas grandit, il aurait explosé. Ses parents avaient du l'abandonner. Des parents parfaitement normaux, sans-cœur. Son passé était truandé de désamour et de destruction. Sa vie n'était faites de déglingue et de solitude. De son corps, seul sa mâchoire de mutant lui était utile. Son seul vêtements ne servaient pas tant à sa pudeur qu'à cacher l'instrument de sa honte, l'instrument du crime. Désormais les jeunes auraient fait la paix avec lui, dans la crainte de représailles.
Il regarda le vent tournoyer devant lui, se lover sur son corps puis repartir. Il partit vers la forêt, trouver quelque chose à manger. Ça faisait des années qu'il n'avait pas mangées de viandes d'animal. Le retour de ses sensations pourrait lui redonner l'impression d'avoir une vie qui bouge.
Chapitre 3 : Le Roi
La nouvelle arriva comme le scandale des pires guerres et massacres, voire des pires potins de la cour royale. Le roi était mort. Le peuple ému par cette nouvelle, faisait le point d'un règne glorieux qui n'avait duré que vingt ans. On se souvenait des guerres et des combats qu'il avait menés avec son peuple, on se souvenait des vies qu'il avait sauvées par son courage et son agilité impressionnante. Il n'avait qu'un fils de huit ans. Or la coutume ne prévoyait nulle régence, nulle instance similaire. Le roi n'aurait ni de tuteur, ni même de conseiller. (Car il était considéré que si le roi avait tuteur, ce n'était que le tuteur qui avait le pouvoir.) Les peuples des pays étrangers donnaient à leurs jeunes rois des conseillers. Même les rois confirmés avaient des ministres. Ces peuples étaient considérés comme des fous.
Ainsi le jeune Kofnaal avait tous les pouvoirs en ses mains et de façon absolue. C'était un Louis XIV avant l'heure. Le gamin désormais roi prenait ainsi place sur le trône de feu son père. Sa première décision fut qu'on fasse construire un autre château royal, le premier serait la trace du passé, et un hommage à la postérité de son père. Le nouveau fut construit des mains des pauvres, qui furent grassement payés car le jeune n'avait aucune notion de proportion, et considérait que tout l'argent du royaume était une énorme masse superflue qui fallait utiliser à des fins utile.
Mais cette bonne action n'eut pratiquement aucun effet autre que la présence forte et glorieuse de la nouvelle bâtisse. Le salaire pour ce travail n'améliora aucunement la précarité des paysans et des ouvriers. Ces derniers avaient transformés cet argent en vin et l'avaient bu. De surcroît, le peuple ne lui était aucunement reconnaissant. Ils n'avaient de respect que pour sa couronne et parce qu'il était le fils de son père.
Dans le même temps qu'il gouvernait, ses propres gouvernantes lui apprenaient à lire et à écrire. Son père ne s'était pas occupé de ça, lui racontait à son jeune fils des histoires, lisait à sa place et lui expliquait comment il travaillait pour que le fiston ne soit pas perdu une fois qu'il serait responsable du royaume. Son père lui apprenait les sages paroles de Rousseau, de comment les hommes ont passés entre eux un contrat sociale, et ont ainsi cessés de vivre comme des animaux. Les torrents de marée violente, les neiges rudes et âpres, les tornades, les incendies, les diverses intempéries causées par l'intempérance des dieux avaient fait que les hommes s'étaient trouvés solidaires et avaient arrêtés de s'entre-tuer pour donner leur puissances à une seul personne, le roi.
Ce roi, c'était lui à présent. Il regrettait les leçons de son père qui étaient aussi enrichissantes qu'amusantes. Il avait à présent à subir la rigueur d'un enseignement lent et méticuleux, et à se montrer persévérant devant ses gouvernantes avec qui il préférait jouer en courant après leur jupons et en jouant à cache-cache sous leurs robes de couleurs vives. En tant que roi, il était considéré comme un adulte, ses gouvernantes ne tardèrent donc pas à lui faire découvrir la volupté charnelle et les divers jeux sexuels. Une fois devant lignes sans vie d'un livre, il avait du mal à comprendre pourquoi ses gouvernantes si amicales avec lui devenaient tout d'un coup ses tortionnaires lorsqu'il était confronté à la lecture.
Une fois qu'il apprit à lire à écrire et qu'il crût ses souffrances terminées, il dut apprendre les mathématique, la philosophie, la science, l'histoire et la géographie. Si l'histoire et la philosophie le passionnait autant que les récits de son père d'autrefois, la rigueur des autres matières le faisait autant souffrir que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Le roi avait demandé à la reine (qui était pour l'instant sa mère) que ce soit elle qui se chargea de son éducation, afin qu'il ne fasse que se divertir avec ses gouvernantes. Mais la reine était incapable d'éduquer son enfant correctement, cette jeune femme avait reçut pour toute éducation, les comportements à suivre pour être une reine exemplaire. Son rôle consistait à faire honneur à son mari (ou cette fois à son fils) et à sourire en se montrant au peuple.
Une barbe naissante commençait à se voir sur le visage du roi. A quinze ans, il avait déjà sept ans de règne à son actif. Sept longues années qui avait été très importantes pour lui, sept longues années où il s'était construit. Mais de ces sept longues années, pratiquement rien ne figurerait dans l'histoire de sa ville. Seule la construction de son château maintenant terminée était la preuve visible du temps qui avait changé. Le peuple, même les gens à la cour était nostalgie de la "grande époque" celle de feu son père.
Il l'admirait lui aussi, mais éprouvait sa sévérité et sa dignité sur les tableaux du couloir, ceux de la chambre du gouvernement, celui de la pièce principale où figurait tous les visages des autres rois, celui qui était présent dans sa chambre. Il s'était fait faire lui-même le portrait, mais il en était peu fier. Son tableau avait été fait dès le commencement de son règne, or il avait à cette époque huit ans. Ce visage impertinent, cet air aussi insignifiant qu'insolent, ce n'était plus lui. Mais c'était lui quand même. Il avait réclamé qu'on lui fasse un nouveau portrait, cette chose était faite mais le tableau ne pouvait faire figure de portrait officiel du roi. La tradition allait au delà de son pouvoir. Chaque portrait avait été peint au début du règne de chacun des rois.
De tous ces rois, il était le plus jeune. Venait juste après lui le portrait de son arrière grand-père, qui avait été couronné à l'âge de dix-neuf ans. Il ne considérait même pas son nouveau portrait comme étant à sa hauteur. Ce portrait était la représentation d'un jeune roi qui n'avait rien fait. Comme le jugerait-il dans cinq ans ? Dix ans ? Vingt ans ? Fallait-il qui se refasse peindre à chaque fois qu'il se considérait comme changé ?
Il voulait agir. Trouver quelque chose à mettre sur son palmarès. Mais il ne trouvait rien à se mettre sous la dent. Il se rappela ce qu'avait été le règne de son père. Un seul mot lui vint à l'esprit : Guerre. Etait-il homme à affronter tout un peuple de ses congénères ? Il s'agissait de tuer des hommes. Et en quantité non-négligeable. Son père participait lui-même aux guerres, et tuait certains hommes de ses propres mains. Cela n'avait pas l'air de l'empêcher de dormir la nuit. Pourtant, ce n'était pas ça qu'il l'avait emporté, mais les ravages de la tuberculose. Oserait-il participer lui aussi à la guerre ? L'exemple de son père lui prouvait qu'on pouvait mener cent guerres sans s'éteindre tranché d'une épée. Certes, mais...
Les dernières résistances dans son esprit ne pu l'empêcher d'identifier l'ennemi désigné. La ville au nord, non loin d'Haarlem avait eu de nombreux contentieux avec le royaume. C'était l'ennemi désigné parfait. La dernière guerre contre eux remontait à 75 ans, il ne risquait pas d'inscrire cette guerre dans la continuité de ses prédécesseurs car malgré les divers ennuis, les deux villes étaient officiellement en paix. Mais il y avait malgré tout une tension latente entre les deux gouvernements, et on ne pouvait dire que les deux peuples s'affectionnaient beaucoup.
Oui mais quel motif donné à cette guerre ? En marchant le long des couloirs, il croisa sur sa route, l'homme d'expérience, celui qui avait passé six décennies au service du même royaume, et qui en savait beaucoup sur toutes choses. On pouvait dire que cet homme avait sacrifié sa vie au service du royaume et de chacun de ses rois. Il n'avait nul autre salaire que celui de vivre au frais des comptes royaux. Il n'avait aucune occupation, en dehors de celles qui lui sont vitales, autres que celles relatives à son travail. Quoiqu'on puisse dire que manger et dormir était dans une certaine mesure, aussi utile au royaume, qui entretenait son outil, que ces deux activités étaient utiles à lui-même.
-"Dites-moi Jeroen, je voudrais attaquer Ijmuiden, mais il me manque la raison, le motif de cette guerre... pourriez-vous m'aider ?
-"Et bien vôtre grand-père m'a appris que le gouverneur d'Ijmuiden est un empereur, certes peu puissant, mais en tant qu'empereur sa première volonté est d'agrandir son empire. En l'attaquant, vous ne ferez que vous défendre du risque que son empire empiète sur les terres qui appartiennent aux rois d'Haarlem."
"Mon attaque sera donc légitime ?"
"Ce n'est pas une attaque. Vous ne faites que vous défendre, sir."
Le jeune roi fut impressionné par l'habilité spirituelle de son modeste servant. Ce servant avait aussi pour rôle d'écouter les enseignements de chacun ses seigneurs, afin qu'ils puissent profiter aux rois suivant. Il aurait également à l'enseigner à son propre successeur.
L'ordre fut donc donné de déclarer la guerre à Ijmuiden. L'information circula dans tous le royaume et le succès fut retentissant. Tout le monde attendait cette guerre depuis 75 ans, Kofnaal n'avait eu qu'à y penser et à signer la directive. Un émissaire neutre a été envoyé pour prévenir l'empire adversaire de l'imminence du conflit. Les deux gouverneurs organisèrent leurs armées, fiers et formant tout deux de belles cohortes pleine d'espoirs et de joies. Le roi constatait avec une immense fierté qu'à l'inverse de l'empereur, lui participerait à la bataille de deux armées qui s'écraseraient l'une contre l'autre. Le jeune roi était excité par la perspective de cette bataille, excitation exacerbée par la peur, toujours présente de se trouver tuer par l'un des soldats de l'armée adversaire.
Il avait l'impression de déballer un cadeau, un cadeau de bonheur. Même s'il mourait, et à fortiori si c'était le cas, il entrerait dans la postérité. Le plus jeune roi d'Haarlem, quinze ans, menant sa bataille avec son armée. Il lança donc l'ordre du commencement de la bataille, et les deux armées s'élancèrent l'une en direction de l'autre. L'armée royale sentait déjà la victoire comme les sonorités métallisées de Somewhere over the rainbow, le combat était beau. Le jeune roi n'osait pas trop s'avancer. Il était dans le retrait et regardait les autres exulter, ou bien tomber. Au moment où il se décida de faire quelques mètres, une douleur drastique se fit ressentir au niveau de ses côtes et du haut de sa tête. Ses jambes fléchirent, il eut une nausée violente et s'écroula par terre. Tout était flou, tout s'agitait autour de lui, tandis qu'il avait l'impression de s'enfoncer dans la terre. Des ombres se penchèrent sur lui. Des ombres qui rugissaient d'une voix grave et lente. Il ne sentait plus ses bras. Il avait besoin de ses mains pour sentir ses blessures, ma sa conscience ne faisait que subir, subir et encore subir. Rien d'autre n'existait que la douleur. Il attendait que cette sensation s'évanouisse, et alors il serait mort. Mort au combat.
La sensation de douleur fut bientôt mélangée à celle de douceur. De douceur froide, qu'il identifia comme les premières sensations funèbres. C'était en réalité la douceur de draps et de pansement. Puis il s'évanouit.
Une heure plus tard, qui lui semblèrent quelques instants, il rouvrit les yeux et reconnut les différentes couleurs autour de lui, mais ces couleurs étaient bien trop lumineuses et l'éblouissait. Son armée avait gagnée la guerre sans lui. Avait gagné quoi ?
La ville d'Ijmuiden était désormais dépendante du royaume. Les peuples respectifs de ces deux villes avaient connus quelque temps les restes des tensions passés, et de nombreuses bagarres et coup bas avaient été le quotidien de la presse. Maintenant, ce n'était qu'à force d'alcool que des ivrognes se battaient entre eux dans la neige pour ces histoires. Dans la neige puisqu'il est notoire que les ivrognes trop virulents sont jetés dehors comme des malpropres.
Le roi avait maintenant trente ans. Il avait perdu un œil dans cette bataille, et ne savait toujours pas ce qui lui était arrivé. Il ne voulait pas le savoir. Le roi s'enfermait et lisait, sa mère et sa femme ne le voyait plus. Il vivait l'instruction comme une boulimie qui pourrait combler le vide de ses journées. Malgré un emploi du temps chargé, l'ennui persistait comme un gouffre effrayant. Un gouffre effrayant où régnait toutes les pensées morbides liées à la condition humaine. D'autant que le roi avait un peu délaissé son royaume, autant qu'il avait délaissé sa santé. Il prenait du poids et était souvent malade. Le soir d'un 24 Novembre, jour de fête pour le royaume il ne descendit pas à la salle pour danser. Danser était autrefois son loisir favori.
La fête qui se déroulait au palais attirait beaucoup de monde. C'était l'occasion de danser dans le luxe, de rencontrer les "grands" les gardes n'acceptaient pas n'importe qui, il était impensable que des ivrognes ou des paysans viennent salir les lieux. Une jeune fille entrait dans le palais, dans l'espoir d'y trouver un cavalier, un amoureux peut-être. Ba était amoureux d'elle, mais elle ne pouvait se résoudre à l'épouser, même si elle l'aimait beaucoup. Ce n'était pas un homme, c'était une sorte de monstre très joli, aussi obèse qu'affectueux mais il avait un côté très bestiale qu'elle n'aimait pas, en dépit de son intelligence et des belles histoires qui lui racontait avant de s'endormir.
Elle s'appelait Janis, en partie à cause de ses origines anglaises. On ne pouvait lui en vouloir, du haut de ses seize ans, de rêver aux romances d'un prince charmant qui lui ressemblerait. Ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'aucun de ses brave gars n'étaient capables d'autant d'amour et de compréhension que ne l'était Ba. Tout le monde adorait ce dernier dans la famille. Cette famille n'avait pas voulu l'accompagner à la fête. Elle était donc seule et libre, comme une adulte éprouvant son indépendance comme une étape essentielle de sa vie. Malheureusement, elle savait qu'elle ne pourrait être tout à fait libre dans le choix de son futur époux.
Une fois sur place, elle fut intimidée par cette foule de couple déjà formée. Personne n'était seul, sauf elle. Elle ne pouvait danser seule. Alors elle prit la décision de s'asseoir près de la table circulaire. Sans réfléchir, elle y but son premier verre de champagne. Histoire de faire quelque chose de ses mains, en attendant que celles-ci en trouvent d'autres avec qui se serrer et monter de haut en bas avec grâce. Elle détacha ses longs cheveux bruns et passa sa main sur sa robe comme pour épousseter de la poussière illusoire.
L'excitation monta en elle comme une poussée d'adrénaline lorsqu'elle entendit un "Mademoiselle" prononcée à côté d'elle. Elle se retourna et vu un homme d'environ trente ans qui se tenait debout derrière elle.
-"Vous êtes assis à ma place."
C'était la première fois qu'elle se faisait vouvoyer. Dans l'immédiateté, elle se releva et s'excusa poliment mais l'homme l'a fit rasseoir en lui assurant qu'il pouvait prendre la place d'à côté. L'homme s'assit et tira une cigarette de sa veste, l'alluma et lui demanda ce qu'elle cherchait ici.
"Oh. Hum. J'aime bien les fêtes. C'est pour ça que je suis venu."
"Mais vous êtes seule ?"
"Oui."
"Vous êtes venu chercher un cavalier ?"
Elle le regarda sans répondre et acquiesça timidement de la tête. L'homme lui fit signe de l'a suivre. Sa timidité se transforma en frayeur. Lorsqu'elle se leva, elle sentit le sol trembler sous ses pieds. De la poussière était tombée par le toit, et tout le monde levait la tête vers lui. Le sol trembla d'une force nettement plus vigoureuse, et Janis s'écroula par terre avec d'autres gens. Janis sentit une vive douleur dans son coccyx en tombant. Cette douleur l'empêcha de se relever immédiatement, d'autant qu'une autre violente secousse se fit ressentir.
Un instant plus tard, un bruit chaotique résonna dans la salle, et pour cause le toit s'écroula sur les gens dans la salle. Le mur de l'entrée principal s'écroula également en mille morceaux, et Janis crût voir dans ce maelstrom de débris muraux une forme rose. Elle se retourna et vit l'homme qui l'avait invité à danser être couché par terre, comme mort. La violence du tremblement n'en finissait pas de faire vibrer les fondations. C'était du délire. Un cauchemar ? Ceux qui étaient encore en vie entendirent un rugissement qui provenait de dehors. Un rugissement qui semblait prononcer son nom. Janis. Janis. Janis. C'était Ba. La destruction du château n'était pas la conséquence de sa colère, mais de son amour. Le château n'était pour lui qu'une couverture sous laquelle Janis était enveloppée.
La chambre royale avait explosé sous les points de la bête féroce qu'était l'amour de Ba pour Janis. Le roi tomba avec elle. Et s'enfuit de ce fiasco. Il se retrouva dans les champs, à courir de manière tout à fait instinctive, le souvenir du combat dans la peau. Ses jambes le lâchèrent à une vingtaine de mètre du château, qu'un monstre rose de la même taille détruisait. Une voix chantante s'éleva à côté de lui.
Jeune roi, tu n'as rien fait pour mériter ta gloire.
Tu as laissé ton âme et ton château dans le désœuvrement.
Ainsi, ne t'étonne pas si désormais, de ta nature ta forme ment,
Puisque la gueule et les poils canins seront le prix de tes déboires.
Trouves-moi désormais ce qui t'as mis dans cet état,
Donne le à manger à la terre, raisonnes avec le ciel,
De la nature et des dieux ne cherche plus querelle,
Et paix en ton âme, forme humaine tu reprendras.