linguistique et ideologie

Linguistique et colonialisme Petit traité de glottophagie
Louis-Jean Calvet Petite Bibl.payot, numéro 419

Citation :

Ce livre montre comment l'étude des langues a toujours proposé une certaine vision des communautés linguistiques et de leurs rapports, et comment cette vision a pu être utilisée pour justifier l'entreprise coloniale.

colbrune a écrit:

Citation :

Passionnant sujet que celui qui étudie les mots en usage formant un terreau idéal à l'émergence et l'essor d'une idéologie.

Sur un tout autre terrain, c'est Viktor Klemperer, Lingua Tertii Imperii que j'ai trouvé passionnant

http://akrieg.club.fr/crKlemperer96.html




chez Pocket; Collection : Agora.

Victor Klemperer observe la mise en place de la LTI, la «langue du Troisième Reich», sa montée en puissance, et son durcissement désespéré à partir de 1943, lorsque la bataille de Stalingrad fait de l'armée d'un Reich qui devait durer mille ans l'armée la plus misérable.

La LTI, écrit Klemperer, est une langue dont la «pauvreté» est la «qualité foncière» (p. 43). Les mots y sont martelés. A la date du 28 juillet 1933, il note : «La répétition constante semble être un effet de style capital dans leur langue» (p. 5. Tout en elle «devait être harangue, sommation, galvanisation» (p. 47).

Ce sujet est abordé dans un documentaire de Stan Neumann

La Langue ne ment pas Film français en noir et blanc, 2003, fort intéressant :

il repose sur le journal tenu par Klemperer de 1933 à 1945, où il note les apparitions ou les reapparitions de mots, et les faits marquants de la politique et de sa vie.

Successivement en 1935 il n'a plus le droit d'être correcteur dans les examens publics, il perd parce que juif son poste à l'université, l'accès des bibliotheques publiques lui est interdit,

En 1938 il perd son permis de conduire : un non-aryen ne peut rouler sur les autoroutes créées par les Allemands.

Viendront ensuite des privations et vexations diverses : la visite du jardinier municipal qui donne des amendes pour les mauvaises herbes dans son jardin, l'interdiction d'avoir des animaux domestiques, il doit faire piquer son chat etc.

Expulsion de son domicile pour le regroupement de familles dans une JudenHaus (promiscuité garantie), confiscation de sa voiture, de sa machine à écrire.

Interdiction d'aller dans des lieux publics comme théâtres, cinémas, Zoos, couvre-feu à 20 h et institution de "l'heure juive" : une heure en tout et pour tout est fixée pour faire les courses.

Klemperer note le quotidien, et la disparition progressive de ses amis (déportations, morts subites etc.)

Le film de neuman, la langue ne ment pas, a aussi le mérite de resituer les aspects lexicographiques et sémantiques du travail de Klemperer (on y viendra bientôt, patience !) dans les actualités de l'époque :

des scènes de fêtes et des discours officiels qui suscitent l'enthousiasme et une adhésion apparemment unanime.

Le contraste entre ces manifestations collectives et les chroniques démystificatrices de Klemperer est saisissant.

Il faut bien entendu prendre le titre du film dans ce sens : la langue reflète l'ideologie, et dans le cas présent ce n'était que mensonges et manipulations.

Klemperer ;

Klemperer qui travaillait alors sur le XVIIIe siècle retrouve dans son actualité les idées du contrat social mais poussées jusqu’à l’absurde.
(je lui laisse la responsabilité de cette opinion).

Il prend comme sources ce qu’il entend à la radio, dans les conversations , il note les « blagues » (antisémites, bien entendu).


Telle qu’il la décrit dans son journal, l’idéologie nazie se proclame contre les idées et les théories. L’Allemand n’est plus l’homme du livre, mais un homme d’action.

Erleben : faire l’expérience de chose, vivre sans recul, intensément, éprouver.

Ce qui importe : le peuple et la terre. On vante les mérites du travail, on fait l’éloge de la volonté et de l’obstination.

Le peuple (Volk) : on organise des fêtes "populaires",
des fêtes "du peuple", (1), on parle de la "communauté du peuple", et des "étrangers au peuple" etc..

Blut, le sang, la race, avec ce qui la menace, « la souillure raciale ».


Le vocabulaire relève de l’héroïsme : on emploie des adjectifs comme « obstiné, fort de caractère, combatif »

la langue, pauvre, regorge de clichés : on parle de foi fanatique (en oubliant le sens de folie qui mène au crime), fanatique est un mot élogieux.

Les insultes ; le répertoire est étroit : "pute juive, cochon de juif, canaille juive"...
(à suivre)

je donne des exemples précis, ce qui ne veut pas dire que les notes et remarques de Klemperer ne s'adressent qu'au régime hitlérien dont il fut l'observateur.

Il temoigne de la manipulation des gens par le langage, les representations, et les signes.

C'est particulièrement visible dans les Etats totalitaires, mais présent aussi, à des degrés divers, dans tous les régimes autoritaires.

Klemperer.

Les signes envahissent le quotidien.

La Swatiska , ou croix gammée, qu’on trouve partout y compris sur les ballons des enfants.

Le salut à bras tendu et le heil Hitler remplacent le bonjour dit à l’épicier.

La prestation de serment de fidélité au führer se pratique même à l’université.

Le blitz, l’éclair qui figurait sur les transformateurs électriques, devient , redoublé, le sigle de la SS et figure sur les machines à écrire.
On parle de "guerre éclair", de "victoire éclair"

La croix chrétienne est remplacée par le flamme : dressée vers le haut, c’est l’annonce d’une naissance, vers le bas, d’un décès.

L’étoile jaune désigne depuis 1941 les juifs depuis l’âge de six ans.

Citation :

« Qui porte ce signe est l’ennemi du peuple »

Klemperer note au jour le jour les slogans racistes de IIIe Reich dans les discours officiels :

Citation :

Quand le Juif parle ou écrit en allemand, il ment.

Citation :

Il n'y a pas de bon juif !

Citation :

Il faut tuer ce peuple qui voulait nous tuer

Habituellement on avait pourtant recours aux euphemismes

"disparu" ou "inconnu à cette adresse" signifie déporté,

"évacuation" signifie déportation.

"venir chercher" veut dire arrêter. etc.

Les mensonges de la propagande se retrouvent dans le langage :

on parle de Krise au lieu de "défaite", de "crise maîtrisée", de "crise du monde occidental",

de front élastique pour des retraites.

En 1935 Virginia woolf fait un voyage à Heidelberg :

Citation :

« Bannières tendues dans les hauteurs en travers de la rue : "Le juif est notre ennemi" ou " Il n'y a pas de place pour les juifs".

Nous avons donc filé à toute vitesse, jusqu'à ce que nous soyons hors de portée de la foule docile dans son hystérie.

in « Voyages dans le Reich ». Récits présentés par Olivier Lubrich (Actes Sud) cité par Le point.

C'est très intéressant ce que tu notes, Rotko.

"Du cristal à la fumée" pièce de Jacques Attali, montée par Daniel Mesguich au Théâtre du Rond-Point, veut faire entendre les mots prononcés lors d'une réunion des dirigeants nazis en novembre 1938 : elle porte déjà en germe la "solution finale".

Cette réunion secrète a lieu le 12 novembre 1938 deux jours après la "Nuit de cristal" au cours de laquelle des centaines de synagogues et des milliers de magasins juifs ont été détruits et une centaine de juifs tués.

Pour reconstituer cette scène, l'écrivain s'est appuyé sur les notes récemment redécouvertes d'un des sténographes présent à la réunion, ainsi que sur des compte-rendus des procès de Nuremberg.

Goering ne veut plus d'actions anarchiques, et l'élimination économique des Juifs passera obligatoirement par leur élimination physique.

Attali l'économiste ? C'est vrai qu'il s'y connaît en manipulation de langage.

caroline a écrit:

Attali l'économiste ? C'est vrai qu'il s'y connaît en manipulation de langage.

Je ne l'ai pas mis sur "scènes et tréteaux" pour ne pas lui accorder crédit les yeux fermés. Mais si, comme c'est dit, on retrouve les paroles mêmes de 1938 qui auguraient des conséquences que nous savons, il est bon d'y prêter l'oreille pour reconnaître ce type de discours.

oui, Attali, un "indémodable des coulisses du pouvoir"

On a l'impression que ces gens-là se recasent facilement, comme PPDA sur Arte et maintenant sur RTL !

le spectacle continue.

Je viens de finir La désinformation par les mots, ouvrage critique passionnant écrit par un linguiste, Maurice Pergnier. Il permet de résister un peu au lavage de cerveau que nous infligent les médias.

Il se présente sous la forme de différents articles classés par ordre alphabétique et propose une analyse de l'emploi de divers mots ou de diverses expressions par la presse.

On trouve ainsi des articles sur l'emploi de mots comme "antiaméricanisme", "catholique", "charnier", "communauté internationale", "démocratie", "diabolisation", "fasciste", "frappe aérienne", "gauche droite", "guerre", "immigration", "ingérence humanitaire", "intellectuels", "islamiste", "nationalisme", "pacifisme" etc.

Maurice Pergnier est un érudit qui ne manque pas d'esprit si bien que son livre est à la fois instructif et très plaisant à lire. Pergnier n'est pas toujours neutre lui-même mais comme ses prises de position, toujours argumentées, sont l'inverse des prises de position des prescripteurs d'opinion, il apporte une bouffée d'oxygène salutaire.

Solweig a écrit:

Je viens de finir La désinformation par les mots, ouvrage critique passionnant écrit par un linguiste, Maurice Pergnier. Il permet de résister un peu au lavage de cerveau que nous infligent les médias..

Aux editions du Rocher. On peut écouter Pergnier dans une emission retransmise sur ce site.

Solweig a écrit:

Je viens de finir La désinformation par les mots, ouvrage critique passionnant
écrit par un linguiste, Maurice Pergnier. Il permet de résister un peu au lavage de cerveau
que nous infligent les médias.

Un peu dans le même genre, je lis LQR : La propagande du quotidien.
ce serait interessant de recouper les 2 ouvrages ! Je note le tien !

Citation :

De modernité à gouvernance en passant par transparence, réforme, crise, croissance
ou diversité, la Lingua Quintae Respublicae (LQR) travailla chaque jour dans les journaux,
les supermarchés, les transports en commun, les " 20 heures " des grandes chaînes,
à la domestication des esprits. Comme par imprégnation lente, la langue du néolibéralisme
s'installe : plus elle est parlée, et plus ce qu'elle promeut se produit dans la réalité.
Crée et diffusée par les publicitaires et les économistes, reprise par les politiciens,
la LQR est devenue l'une des armes les plus efficaces du maintien de l'ordre.
Ce livre décode les tours et les détours de cette langue omniprésente,
décrypte ses euphémismes, ses façons d'essorer les mots jusqu'à ce qu'ils en perdent leur sens,
son exploitation des " valeurs universelles " et de la " lutte antiterroriste ".
Désormais, il n'y a plus de pauvres mais des gens de condition modeste,
plus d'exploités mais des exclus, plus de classes mais des couches sociales.
C'est ainsi que la LQR substitue aux mots de l'émancipation et de la subversion
ceux de la conformité et de la soumission.

A rapprocher du fil linguistique et ideologie où il est question notamment de la langue du troisieme Reich de klemperer.

LQR - La Propagande Du Quotidien d' Eric Hazan
Éditeur : Raisons d'Agir

Bonjour,

J'arrive sur ce fil via celui consacré à Littell. Quoi de plus logique en fait?
LTI est un livre qui m'a véritablement passionné et, chose remarquable, le court-métrage basé sur l'œuvre est tout aussi remarquable qu'elle. Bien sûr, mieux vaut s'intéresser un peu à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale pour l'apprécier pleinement, mais ceux qui s'intéressent à la langue sans pour autant avoir d'atomes crochus avec l'histoire de l'Allemagne nazie peuvent tout de même y trouver leur compte.
Le court-métrage est disponible ici et mérite d'être vu:

https://www.dailymotion.com/video/x13vw6_la-langue-ne-ment-pas-1-4_shortfilms

Et merci à Rotko (et Monique) de nous avoir indiqué le livre d'Eric Hazan, qui figure désormais sur ma liste de lecture.

rotko a écrit:

LQR - La Propagande Du Quotidien d' Eric Hazan
Éditeur : Raisons d'Agir

Voir par ici : Film réalisé à partir du livre d'Hazan

D'ailleurs, vous pouvez faire une recherche de vidéos sur gougueule à partir des marqueurs "inculture" ou "Franck Lepage" : diffusion d'intelligence...