Délires racistes et savants fous

Faut-il croire les scientifiques ? Dans une discussion, celui qui avance « Comme les études des scientifiques l’ont montré » bénéficie d’un atout considérable;

Le petit ouvrage de ’l’historien Guy Bechtel, chez Agora, édition Plon/Pocket, Délires racistes et savants fous, rappelle que les savants pourvus de chaires prestigieuses ne vivent pas hors de leur époque et épousent sans le savoir les préjugés de leurs temps.

On connaît, notamment par l’entremise de Balzac, les noms sinon les méthodes des craniologistes et physiognomonistes de son temps. Il s en ont fait des mesures sur les crânes, ils les ont pesés, Ils ont tout pesé, même les matières fécales, ils ont mesuré les angles faciaux, analysé les bosses et rotondités avec le même soin que Bouvard et Pécuchet dans le livre de Flaubert.

Les résultats étaient probants : l’angle facial était de 80° chez les Européens, 50° chez les singes, c’était parfait. D’autant que « les nègres » avaient un angle de 70°. On ne pouvait rêver mieux.

L’intelligence et le poids du cerveau ? Les diverses manipulations que retrace l’historien ne manquent pas de comique. Pour montrer que les Européens sont les meilleurs, on adopte les critères favorables, idem pour les hommes supérieurs aux femmes. Faut savoir s’adapter !

Les polémiques sur les poids respectifs des cerveaux allemands et français mobilisent les savants dans la foulée de la guerre de 1970, et chacun défend son camp avec les mesures les plus extravagantes mais les plus précises.

Délires racistes et savants fous

Saviez-vous que la manie des esclaves noirs, celle qui consistait à s’enfuir de la propriété du maître, était une maladie mentale ? Cartwright avait bien montré que cette « drapetomanie» les touchait tous :

Citation :

« Une atmosphérisation défectueuse du sang, jointe à une déficience de la matière cérébrale dans le crâne, est la cause véritable de l’altération de l’esprit des peuples d’Afrique et les a rendus incapables de se prendre en charge. »

CQFD.

Le désir de liberté est donc une aliénation mentale.
Remarquez que nos gouvernements actuels ne sont pas loin de souscrire à ce genre d'élucubrations. Remplacez blancs indo-européens par patrons et nègres par ouvriers, et le texte devient contemporain...

Je compte parler de Césare Lombroso dont l'homme criminel en 1876 connut aussitôt un succès européen.

Citation :

le climat d'insécurité y est sans doute pour quelque chose. La presse est développée, lapresse à sensation surtout, et la criminalité peut-être enlégère augmentation (les historiens en discutent), fait la une de tous les journaux en Europe. On aa peur.

Qui sont ces gens venus de l'ombre qui attaquent, volent, assassinent ? des gens comme nous ? non, des gens très différents de nous, marqués dès la naissance.

on voit l'actualité de ces remarques.

Pour Lombroso, le criminel, victime d’une lourde hérédité, régresse vers ses origines et celles de la race humaine, il devient comme un enfant et un animal. Or

Enfants et animaux ont de fortes pulsions criminelles, sont déjà plus ou moins des délinquants.

Dans un des chapitres de l’homme criminel, il montre qu’il n’y a pas plus pervers que l’enfant, à grand renfort de sources et de références, d’accumulations d’exemples mal prouvés et d’affirmations péremptoires :

Citation :

« le germes de la folie morale et du crime se rencontrent non par exception mais d’une façon normale dans les premières années de l’homme ».

Maniant les chiffres avec abondance, il met en fiche des enfants de maisons de correction et remarque chez eux des anomalies, tant dans la forme du crâne, que dans la dissymétrie du visage, les dents superposées, les yeux divergents

Citation :

« la plagiocéphalie ou asymétrie est vraiment un des caractères les plus éclatants des criminels »

Je vous fais grâce des anomalies trouvées pour signaler que chez les criminels : dans 58,2% des cas on trouvait une grande proéminence des arcades sourcilières, dans 46%, des anomalies dans le développement des dents de sagesse (!!).

Des mésaventures intellectuelles de Lombroso, on peut retenir que les chiffres brandis et les accumulations d'exemples ne doivent pas servir de preuves.

Nettement megalomane, Lombroso, bien qu'il ait eu lemerite de relancer l'étude medicale sur le cerveau notamment, tenait tellement à ses thèses qu'il pretendait résoudre lui-même des affaires policières. Avec peu de succès, ce qui fit rire de lui. On retiendra aussi qu'il chargeait sans nuance les magistrats.

C'est le professeur français Lacassagne qui eut raison de Lombroso et montra notamment que le milieu social, bien ignoré du savant italien, jouait un rôle déterminant dans la criminalité.

Lombroso s'interessa aussi aux hommes de génie qu'il traitait comme des malades mentaux, et il soutenait que chez les Juifs le nombre des fous était multiplié par 6.

Quant aux criminels proprement dits, il leur découvrait une insensibilité physique et morale à toute épreuve, sauf en de rares cas. Pour appuyer ses dires, il invoquait leur conduite apparemment impassible pendant leur exécution, et le nombre important des suicides en prison !!