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| | Philippe Jaccottet | |
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+7Alain Genji Constance Lîlâ Furtif coline rotko 11 participants | |
Auteur | Message |
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rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Philippe Jaccottet Sam 04 Mar 2006, 09:34 | |
| poète suisse, etabli en france, et traducteur : sa traduction de l'odyssée aux éditions de la Decouverte, est une merveille.
les violettes
Rien qu'une touffe de violettes pâles, une touffe de ces fleurs faibles et presque fades, et un enfant jouant dans le jardin...
Ce jour-là, en ce février-là, pas si lointain et tout de même perdu comme tous les autres jours de sa vie qu'on ne ressaisira jamais, un bref instant, elles m'auront désencombré la vue.
Fleurs parmi les plus insignifiantes et les plus cachées. Infimes. A la limite de la fadeur. Nées de la terre ameublie par les dernières neiges de l'hiver. Et comment, si frêles, peuvent-elles seulement apparaître, sortir de terre, tenir debout ? [...] | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mar 25 Juil 2006, 16:14 | |
| Longer le pré aujourd’hui m’encourage, m’égaie. C’est plein de coquelicots parmi les herbes folles. Rouge, rouge ! Ce n’est pas du feu, encor moins du sang. C’est bien trop gai, trop léger pour cela.
Ne dirait-on pas autant d petits drapeaux à peine attachés à leur hampe, de cocardes que peu de vent suffirait à faire envoler ? Ou de bouts de papier de soie jetés au vent pour vous convier à une fête, à la fête de mai ? Fête de l’herbe, fête des prés. Mille rouges, dix mille et du plus vif, tant ils sont brefs ! Gaspillés pour la gloire de mai. Toutes ces robes transparentes ou presque, mal agrafées, vite, vite ! Dimanche est court…
Philippe Jacottet, le pré de mai, in paysages avec figures absentes. Poésie Gallimard. | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:16 | |
| L'ignorant
Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j'ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j'ai, c'est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d'abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d'ordre),
et j'attends qu'un à un les mensonges s'écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l'empêche si bien de mourir ? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l'ignare et l'inquiet ?
Mais je l'entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :
« Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres... »
(L'ignorant, Editions Gallimard, 1957) | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:19 | |
| L'effraie
La nuit est une grande cité endormie
où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à
l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.
Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,
le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
qui se rapproche et se retire, on jurerait
une lueur fuyant à travers bois, ou bien
les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.
(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses
j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que
l'oiseau nommé l’effraie qui nous appelle au fond
de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur
est celle de la pourriture au petit jour,
déjà sous notre peau si chaude perce l’os,
tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.
(L'Effraie, éd. Gallimard, 1953) | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:21 | |
| Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches, tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin du poème, plus que le premier sera proche de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin. Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches ou reprendre souffle pendant que tu écris. Même quand tu bois à la bouche qui étanche la pire soif, la douce bouche avec ses cris doux, même quand tu serres avec force le noeud de vos quatre bras pour être bien immobiles dans la brûlante obscurité de vos cheveux, elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux, de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille, elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.
(L'Effraie, éditions Gallimard) | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:24 | |
| Qu’est-ce qui se ferme et se rouvre
suscitant ce souffle incertain
ce bruit de papier ou de soie
et de lames de bois léger ?
Ce bruit d’outils si lointain
que l’on dirait à peine un éventail ?
Un instant la mort paraît vaine
le désir même est oublié
pour ce qui se plie et déplie
devant la bouche de l’aube | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:26 | |
| Dans les chambres des vergers
ce sont des globes suspendus
que la course du temps colore
des lampes que le temps allume
et dont la lumière est parfum
On respire sous chaque branche
le fouet odorant de la hâte | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:28 | |
| Oeuvres de Philippe Jaccottet aux Editions GallimardL'effraie et autres poésies L'ignorant, poèmes 1952-1956 Éléments d'un songe, proses L'obscurité, récit Airs, poèmes 1961-1964 L'entretien des muses, chroniques de poésie Poésies 1946-1967, choix. Préface de Jean Starobinski Paysages avec figures absentes, proses A la lumière d'hiver, précédé de Leçons et de Chants d'en bas Pensées sous les nuages, poèmes La semaison, carnets 1954-1979 A travers un verger, suivi de Les cormorans et de Beauregard Une transaction secrète, lectures de poésie Cahier de verdure, proses et poèmes Après beaucoup d'années, proses et poèmes Écrits pour papier journal, chroniques 1951-1970 La seconde semaison, carnets 1980-1994 D'une lyre à cinq cordes, traductions 1946-1995 chez d'autres éditeursLa promenade sous les arbres, proses (Bibliothèque des Arts) Gustave Roud (Éditions universitaires de Fribourg) Rilke par lui-même (Le Seuil) Libretto (La Dogana) Requiem, poème (Fata Morgana) Cristal et fumée, notes de voyage (Fata Morgana) Tout n'est pas dit, billets 1956-1964 | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 14:31 | |
| Pommes éparses
Sur l'aire du pommier
Vite !
Que la peau s'empourpre
Avant l'hiver ! | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Sam 28 Oct 2006, 15:28 | |
| O Muse, conte-moi l'aventure de l'Inventif : celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de ville, découvrant beau coup d'usages, souffrant beaucoup d'angoisses dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir pourtant sauver un seul, quoi qu'il en eût : par leur propre fureur, ils furent perdus en effet, ces enfants qui touchèrent aux troupeaux du dieu d' En Haut, le soleil qui leur prit le bonheur du retour...
C'est la traduction de L'Odyssée, en son début, par Jaccottet (la Découverte).
Voici celle de Médric Dufour chez Garnier Flammarion.
Muse, dis-moi le héros aux mille expédients, qui tant erra, quand sa ruse eut fait mettre à sac l'acropole sacrée de Troade, qui visita les villes et connut les moeurs de tant d'hommes ! Combien en son coeur il éprouva de tourments sur la mer, quand il luttait pour sa vie et le retour de ses compagnons ! Mais il ne put les sauver malgré son désir : leur aveuglement les perdit, insensés qui dévorèrent les boeufs d'Hélios Hypérion. Et lui leur öta la journée du retour. A nous aussi, déesse née de Zeus, conte ces aventures, en commençant où tu voudras A nous aussi, Fille de Zeus, conte un peu ces exploits ! | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Lun 06 Nov 2006, 00:03 | |
| Portovenere
La mer est de nouveau obscure. Tu comprends, c'est la dernière nuit. Mais qui vais-je appelant? Hors l'écho, je ne parle à personne, à personne. Où s'écroulent les rocs, la mer est noire, et tonne dans sa cloche de pluie. Une chauve-souris cogne aux barreaux de l'air d'un vol comme surpris, tous ces jours sont perdus, déchirés par ses ailes noires, la majesté de ces eaux trop fidèles me laisse froid, puisque je ne parle toujours ni à toi, ni à rien. Qu'ils sombrent, ces "beaux jours"! Je pars, je continue à vieillir, peu importe, sur qui s'en va la mer saura claquer la porte. (L'effraie) | |
| | | coline pilier
Nombre de messages : 3986 Date d'inscription : 04/01/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Lun 06 Nov 2006, 00:09 | |
| Intérieur
Il y a longtemps que je cherche à vivre ici, dans cette chambre que je fais semblant d'aimer, la table, les objets sans soucis, la fenêtre ouvrant au bout de chaque nuit d'autres verdures, et le coeur du merle bat dans le lierre sombre, partout des lueurs achèvrent l'ombre vieillie.
J'accepte moi aussi de croire qu'il fait doux, que je suis chez moi, que la journée sera bonne. Il y a juste, au pied du lit, cette araignée (à cause du jardin), je ne l'ai pas assez piétinée, on dirait qu'elle travaille encore au piège qui attend mon fragile fantôme. (L'effraie) | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Lun 05 Mai 2008, 04:37 | |
| Philippe Jaccottet publie deux recueils de poèmes et une traduction intégrale des «Elégies de Duino» de Rilke. Le Cours de la Broye. Suite moudonnoise chez Empreintes 'premiers souvenirs d'enfance, à Moudon.) et Ce peu de bruits chez Gallimard . | |
| | | Furtif pilier
Nombre de messages : 75 Age : 63 Date d'inscription : 10/03/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mar 12 Mai 2009, 08:30 | |
| - Citation :
L'oeil : une source qui abonde
Mais d'où venue ? de plus loin que que le plus loin de plus bas que le plus bas
Je crois que j'ai bu l'autre monde
(Airs, in Poésie 1946-1967) | |
| | | Lîlâ pilier
Nombre de messages : 1598 Date d'inscription : 08/01/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mar 12 Mai 2009, 08:54 | |
| Sur tout cela maintenant je voudrais que descende la neige, lentement, qu’elle se pose sur les choses tout au long du jour – elle qui parle toujours à voix basse – et qu’elle fasse le sommeil des graines, d’être ainsi protégé, plus patient.
Et nous saurions que le soleil encore, cependant, passe au-delà, que, si elle se lasse, il redeviendra même un moment visible, comme la bougie derrière son écran jauni.
Alors, je me ressouviendrais de ce visage qui demeure, lui aussi, derrière la lente chute des cristaux humides, qui change, avec ses yeux limpides ou en larmes, impatiemment fidèles... Et, caché par la neige, de nouveau, j’oserais louer leur clarté bleue.
Fidèles yeux de plus en plus faibles jusqu’à ce que les miens se ferment, et après eux, l’espace comme un éventail peint dont il ne resterait plus qu’un frêle manche d’os, une trace glacée pour les seuls yeux sans paupières d’autres astres.
Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver précédé de Leçons et de Chants d’en bas, Gallimard, 1977, p. 96-97. | |
| | | Constance pilier
Nombre de messages : 1650 Date d'inscription : 01/10/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Jeu 05 Nov 2009, 16:20 | |
|
Les nouvelles du soir
A l'heure où la lumière enfouit son visage dans notre cou, on crie les nouvelles du soir, on nous écorche.
L'air est doux. Gens de passage dans cette ville, on pourra juste un peu s'asseoir au bord du fleuve où bouge un arbre à peine vert, après avoir mangé en hâte; aurais-je même le temps de faire ce voyage avant l'hiver, de t'embrasser avant de partir ?
Si tu m'aimes retiens-moi, le temps de reprendre souffle, au moins juste pour le printemps, qu'on nous laisse tranquilles longer la tremblante paix du fleuve, très loin jusqu'où s'allument les fabriques immobiles ...
Mais pas moyen. Il ne faut pas que l'étranger qui marche se retourne, ou il serait changé en statue : on ne peut qu'avancer. Et les villes qui sont encore debout brûleront. Une chance que j'aie au moins visité Rome, l'an passé, que nous nous soyons vite aimés, avant l'absence, regardés encore une fois, vite embrassés, avant que l'on crie"Le Monde" à notre dernier monde ou "Ce soir" au dernier beau soir qui nous confonde.
Tu partiras. Déjà ton corps est moins réel que le courant qui l'use, et ses fumées au ciel ont plus de racines que nous. C'est inutile de nous forcer. Regarde l'eau, comme elle file par la faille entre nos deux ombres.
C'est la fin, qui nous passe le goût de jouer au plus fin.
(Huitième poème du recueil "L'effraie")
Toile "Entre ciel et terre", de Marc Chagall | |
| | | Genji pilier
Nombre de messages : 205 Date d'inscription : 07/06/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Dim 08 Nov 2009, 19:06 | |
| Il y avait (dans une chambre Où nous ne sommes plus) Un lit désordonné, A croire que la nue brûlante L'avait défait Comme on déchire une chemise. Plus tard viendront les larmes, Celles qui cousent un fois pour toutes Le fourreau de drap rêche.
Philippe Jaccottet, Notes Nocturnes. | |
| | | Constance pilier
Nombre de messages : 1650 Date d'inscription : 01/10/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Dim 22 Nov 2009, 19:31 | |
| Aube
On dirait qu'un dieu se réveille, regarde serres et fontaine
Sa rosée sur nos murmures nos sueurs
J'ai de la peine à renoncer aux images
Il faut que le soc me traverse miroir de l'hiver, de l'âge
Il faut que le temps m'ensemence.
(Airs, in Poésies) | |
| | | Constance pilier
Nombre de messages : 1650 Date d'inscription : 01/10/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Lun 22 Fév 2010, 16:50 | |
| Je ne voudrais plus qu'éloigner ce qui nous sépare du clair, laisser seulement la place à la bonté dédaignée.
J'écoute les hommes vieux qui se sont accordés aux jours, j'apprends à leurs pieds la patience:
ils n'ont pas de pire écolier.
(A la lumière d'hiver, Poésie/Gallimard) | |
| | | Constance pilier
Nombre de messages : 1650 Date d'inscription : 01/10/2009
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Lun 12 Avr 2010, 10:08 | |
| On voit
On voit ces choses en passant
(même si la main tremble un peu,
si le coeur boite),
et d'autres sous le même ciel :
les courges rutilantes au jardin,
qui sont comme les oeufs du soleil,
les fleurs couleurs de vieillesse, violette.
Cette lumière de fin d'été,
si elle n'était que l'ombre d'une autre,
éblouissante,
j'en serais presque moins surpris.
(A la lumière d'hiver, Poésie/ Gallimard) | |
| | | Alain pilier
Nombre de messages : 273 Age : 57 Localisation : Belgique Date d'inscription : 26/07/2006
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mer 25 Aoû 2010, 10:31 | |
| Philippe Jacottet, c'est la poésie comme je la conçois, sans fard, d'une lucidité qui ne s'encombre d'aucune fioriture. | |
| | | rotko pilier
Nombre de messages : 69282 Date d'inscription : 26/12/2005
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mer 25 Aoû 2010, 10:48 | |
| j'approuve totalement, et je proposerai jaccottet en poésie pour le mois de septembre.
Sans doute cette économie de mots, ce choix du vocable précis lui viennent-ils de la fréqentation des grands auteurs qu'il a traduits en français : homère et l'odyssée, en vers, des oeuvres de Musil traduites de l'allemand, ainsi que Rilke, Holderlin, Bachman etc.
Jaccottet a frequenté Platon (il traduit le Banquet), il traduit aussi de l'italien Rabotti, fruttero et lucentini, Leopardi, l'espagnol avec Gongora ... | |
| | | Clertie pilier
Nombre de messages : 404 Age : 32 Date d'inscription : 11/08/2011
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Mar 30 Aoû 2011, 06:48 | |
| Dans l'article sur Jaccottet du Nouveau dictionnaire des auteurs, Jean-Pierre Vidal disait que la poésie de Jaccottet est une opération qui épure l'âme pour la rapprocher du réel, une quête minutieuse de justesse, un désir de pureté et de hauteur, à travers un bon usage de l'image poétique. Ce poème de L'ignorant (1956) illustre bien cela (surtout la fin, que j'ai mis en bleu) : Le travail du poète
L'ouvrage d'un regard d'heure en heure affaibli n'est pas plus de rêver que de former des pleurs, mais de veiller comme un berger et d'appeler tout ce qui risque de se perdre s'il s'endort.
*
Ainsi, contre le mur éclairé par l'été (mais ne serait-ce pas plutôt par sa mémoire), dans la tranquillité du jour je vous regarde, vous qui vous éloignez toujours plus, qui fuyez, je vous appelle, qui brillez dans l'herbe obscure comme autrefois dans le jardin, voix ou lueurs (nul ne le sait) liant les défunts à l'enfance... (Est-elle morte, telle dame sous le buis, sa lampe éteinte, son bagage dispersé ? Ou bien va-t-elle revenir de sous la terre et moi j'irais au-devant d'elle et je dirais : "Qu'avez-vous fait de tout ce temps qu'on n'entendait ni votre rire ni vos pas dans la ruelle ? Fallait-il s'absenter sans personne avertir ? Ô dame ! revenez maintenant parmi nous...") Dans l'ombre et l'heure aujourd'hui se tient cachée, ne disant mot, cette ombre d'hier. Tel est le monde. Nous ne le voyons pas très longtemps : juste assez pour en garder ce qui scintille et va s'éteindre, pour appeler encore et encore, et trembler de ne plus voir. Ainsi s'applique l'appauvri, comme un homme à genoux qu'on verrai s'efforcer contre le vent de rassembler son maigre feu... | |
| | | Esperluette pilier
Nombre de messages : 370 Localisation : Parmi les livres Date d'inscription : 12/02/2012
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Dim 12 Fév 2012, 17:12 | |
| L’âme, si frileuse, si farouche, devra-t-elle vraiment marcher sans fin sur ce glacier, seule, pieds nus, ne sachant plus même épeler sa prière d’enfance, sans fin punie de sa froideur par ce froid? Philippe Jaccottet, A la lumière d'hiver.
Un petit poème de circonstance. | |
| | | Layla Monroc pilier
Nombre de messages : 986 Age : 29 Date d'inscription : 15/01/2012
| Sujet: Re: Philippe Jaccottet Dim 22 Juil 2012, 16:38 | |
| On a étudié À lumière d'hiver, leçon et chants d'en bas pour le bac.
À la première lecture je n'avais absolument pas aimé. Je trouvais ça mal rythmé, fade et sans saveur.
Puis après étude j'y ai finalement trouvé des qualités. Et ça m'a totalement fait repenser ma manière d'écrire de la poésie. En même temps j'ai connu un peu les mêmes épreuves que lui en les étudiant. | |
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| Sujet: Re: Philippe Jaccottet | |
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| | | | Philippe Jaccottet | |
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