Albert Cossery [Egypte]

Mendiants et orgueilleux

Ou voyage littéraire dans une cour des miracles.

Gohar, ex-philosophe ayant choisi de devenir mendiant, parcourt les rues du Caire.

Nous le suivons dans cet univers désopilant, absurde, drôle.

C'est un drôle d'oiseau qu'Albert Cossery qui possède l'art de décrire les imperfection de l'humanité. Mais il ne juge pas, il observe, malicieux.

Citation :

[ ]devenir sérieux serait le comble du malheur.

Tchipette a écrit:

Nous le suivons dans cet univers désopilant, absurde, drôle.

Oui, Tchipette, excellente suggestion !
Précisons que Cossery écrit en français, dans une langue très vivante et élégante à la fois. Il a vécu en Egypte jusqu'à 18/20 ans, puis est venu s'installer en France où il a vécu une vie de dandy et d'esthète... Ses livres sont publiés aux éditions Joelle Losfeld qui a réédité ses oeuvres complètes.

je sors de mes étagères, un complot de saltimbanques paru au terrain vague.

Cossery a eu le grand prix de la francophonie en 1990, décerné par l'Académie Française.

Les fainéants de la vallée fertile

Ou éloge de la fainéantise.

Il y a le père Hafez, qui ne fait rien, l'oncle Mustapha :

Citation :

J'aime tes soupirs ; c'est comme si le monde entier s'ennuyait avec toi

lui dit son neveu Rafik.

Et les trois fils : Galal, le frère aîné, dort depuis 7 ans, ne se réveillant que pour manger ; Rafik, après avoir fait des études a choisi de ne pas se marier avec la jolie Imtissal, et de dormir. Seul Serag, le dernier, parcourt le chantier de l'usine dans l'espoir d'y travailler un jour.

Y arrivera-t-il?

Citation :

J'ai peur des hommes : ce sont tous des criminels qui veulent toujours faire travailler les autres.

Albert Cossery écrit peu (moins d'une dizaine de livres pour une vie d'écrivain), mais s'il fait l'éloge de la fainéantise, il est particulièrement exigeant en terme d'écrivain, peaufinant son style, polissant ses histoires décalées.

mort d'albert Cossery annoncée dans libé

Citation :

Le chef-d’œuvre d’Albert Cossery reste Mendiants et Orgueilleux (1955), dont le titre est une parfaite définition des Egyptiens. Tout comme la Violence et la Dérision (1964) fut le meilleur manuel de sédition politique. A force de ne rien faire d’autre que rêvasser et de se préserver du vacarme du monde, Cossery était traversé d’étranges prémonitions. Les soixante-huitards auraient eu intérêt à lire la Violence et la Dérision et Saddam Hussein n’aurait rien perdu à feuilleter Une Ambition dans le désert (1984), où la guerre du Golfe est comme annoncée.

Citation :

en 2005 Joelle losfeld publie enfin ses œuvres complètes en deux tomes et réédite Conversation d’Albert Cossery de Michel Mitrani, qui reste la meilleure introduction qui soit à sa vie et à son œuvre.

Un complot de saltimbanques paru au terrain vague, reussit la performance d'être à la fois un livre amusant, humaniste et subversif.

Le personnage principal, bien entouré il est vrai, revient en Egypte après de "longues études", passées à s'amuser.

Son diplôme d'ingénieur chimiste ? c'est un faux, il vient de l'acheter.

Ce qui introduit le thème de l'imposture, marqué notammment par la statue du "réveil de la nation", dénoncée dans les faits par cetaines scènes cocasses.

Citation :

La femme en robe de paysanne stylisée avait toujours le bras levé pour inciter au au renouveau du peuple insouciant, mais comme pour rendre cet appel dérisoire, un clochard s'était couché contre la grille qui entourait le monument et ronflait sans vergogne, sapant ainsi par son fâcheux exemple le moral de ses concitoyens.

Un complot de Saltimbanques

Teymour, nouvel ingénieur chimiste , retrouve donc le Caire et ses copains d'enfance, sortes de dandys provocateurs et jouisseurs, aimant le canular pour dénoncer l'hypocrisie des notables et la paranoia du régime policier en place.

Pourtant Cossery ne tombe jamais dans l'aigreur dénonciatrice : il respecte les individus tout en stigmatisant le régime qu'il met à nu par le rire.

Un régime de bouffons qui faute de compétence et de bon sens voit des complots politiques là où il n'y a qu' une delinquance assez banale.

Ajoutons que la sagesse de Cossery, hédoniste convaincu et convaincant, s'expose dans les tirades savoureuses de plusieurs de ses personnages.

Monsieur Albert – Cossery, une vie – Récit de Frédéric Andrau – Editions de Corlevour, 2013

Cossery ne demande rien à ses lecteurs. Il n’attend rien d’eux. Sa philosophie se résume à faire preuve en toute circonstance d’une paresse élégante, d’un détachement absolu devant les aberrations du monde moderne.

Vous trouverez chez lui ces fameux damnés de la Terre qui se comportent comme des princes. Dans leur puanteur abjecte, leur misérabilisme écœurant, leurs corps démembrés, ils vous narguent, vous mettent mal à l’aise. Formidable leçon d’humilité pour tous les Occidentaux qui observent la misère des pays pauvres avec gourmandise et déférence.

Tout l'article.

Il débute par des citations qui devraient vous inciter à lire Albert Cossery, si ce n'est déjà fait.

Citation :

« Je suis un écrivain égyptien de langue française » ;
« Je n’ai aucun attachement aux biens matériels, je n’ai rien » ;
« Je suis contre l’épargne, si j’avais des dents en or, je les aurais vendues » ;

« Je n’aime pas la campagne, je ne peux pas critiquer les arbres, j’aime critiquer les êtres humains. Je suis un homme du macadam » ;

« Il y a des imbéciles qui écrivent chaque jour parce qu’ils sont contents de ce qu’ils écrivent. Moi, je ne suis jamais content » ;
« C’est terrible d’être écrivain et d’être lucide parce qu’on se rend compte que c’est mauvais et c’est toujours mauvais et puis on s’arrête parce qu’on ne peut pas faire plus » ;

« Il n’y a que les femmes qui m’intéressent » ;« Une jolie femme est toujours à mon goût » ;

« Je ne peux pas écrire une phrase qui ne contienne pas une dose de rébellion sinon elle ne m’intéresse pas »…