J'avais vu, enfant, un film intitulé
Le Christ s'est arrêté à Eboli. je n'y avais pas compris grand chose mais j'avais été vivement impressionnée par l'atmosphère qui régnait dans cette adaptation dans laquelle jouaient notamment Gian Maria Volonte et Irene Papas.
Plus tard, j'ai lu le livre et je l'ai relu et le même envoûtement s'est reproduit. C'est la seule fois qu'une même oeuvre produit toujours le même effet sur moi. Il m'arrive au contraire souvent de ne pas avoir le même ressenti face à une oeuvre d'une fois à l'autre, d'être ennuyée par ce qui m'avait tant séduite lors d'une première lecture.
Carlo Levi ne nous emmène pourtant pas dans un univers idyllique. Il nous propose un témoignage. Antifasciste, il a été envoyé en résidence surveillée en 1935 dans une petite ville du Sud de l'Italie, en Lucanie. Il nous raconte, nous décrit le quotidien de ces gens qui se sentent abandonnés de Dieu et nous fait pénétrer dans un monde que l'on n'imagine pas. C'est un témoignage très instructif au niveau sociologique mais c'est d'abord une oeuvre littéraire. Au fil des pages, j'ai eu la sensation très étrange d'être engluée dans un temps stagnant (j'avais déjà eu la même sensation en lisant
Les Ames mortes de Gogol). Parfois, une anecdote cocasse vient nous distraire (comme ce passage où l'auteur raconte que les immigrés italiens qui arrivaient aux Etats-Unis au début du XXème siècle ne supportaient pas les WC et faisaient des kms en train pour aller poser culotte dans la campagne en criant "Viva Italia").
Comme pour tous les textes autobiographiques, le regard de l'auteur-narrateur joue un rôle primordial. L'intelligence, l'humanisme et la finesse d'observation de Carlo Levi participent de manière essentielle au pouvoir d'attraction de ce témoignage.
Voilà le début qui vous plongera immédiatement au coeur de l'oeuvre et vous emmènera tout de suite à Gabliano, le petit village de Lucanie où Carlo Levi a vécu un an :
"Plusieurs années se sont écoulées, chargées de guerre et de ce qu'on appelle histoire. Balloté çà et là par le hasard, je n'ai pu, jusqu'à présent, tenir la promesse que j'avais faite, en les quittant, à mes paysans, de revenir parmi eux, et je ne sais si je pourrai jamais le faire. Enfermé dans une pièce, monde clos, il m'est pourtant agréable de retourner en souvenir dans cet autre monde que resserrent la douceur et les coutumes, ce monde en marge de l'histoire et de l'Etat, éternellement passif, cette terre sans consolation ni douceur, où le paysan vit, dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride, en face de la mort."
(Enfin, si vous n'avez pas trop le moral, si vous avez besoin de lire des choses légères et distrayantes en ce moment et si vous n'aimez pas la lenteur, je vous déconseille ce livre...).