Louis Guilloux

Louis Guilloux, le pain des rêves, Folio 909.



Le père parti, c’est le grand-père qui doit continuer à travailler pour faire vivre la famille.

Citation :

Il y avait tant d’années qu’il répétait tous les jours les mêmes gestes - tant d’années, toute une vie - qu’il était devenu, à l’égard de bien des choses comme un somnambule. On aurait dit qu’il ne nous voyait pas du tout et qu’il mangeait sans le savoir, sans hâte et sans lenteur, avec un air d’application et d’ignorance tout semblable à celui qu’il avait dans le travail.

Est-ce que manger était un plaisir ? Manger et travailler, tout se confondait dans une même nécessité, absolue dans son monotonie. Ce n’était l’une et l’autre chose, que les formes alternées dune même contrainte; à laquelle il savait depuis longtemps qu’il n’échapperait jamais, sauf dans la mort Et la mort n’était plus bien loin. Poignante tristesse dont nous éprouvions toute la force, sans en comprendre ni le sens ni la cause.

Le visage de mon grand père est encore présent à mon esprit, et je sais bien, aujourd’hui, d’où il tirait ce pli sombre, cette gravité plus pathétique que celle du penseur.

Je trouve que Louis Guilloux parlant de son enfance dans ce récit a des accents de Jean Jacques Rousseau ! Il décrit la misère du foyer mais sans mélo, avec une fierté qui est celle du mérite, et la dénonciation d’une société méprisante, hypocrite et intellectuellement médiocre.

Le grand père, qui donne son titre à la première partie du roman le pain des rêves est montré dans toute sa complexité, ses contradictions, l‘évolution de son âge aussi.

A lire ce récit qui se déroule avant 1914, on a l’impression que plusieurs siècles se sont écoulés.

Demain samedi, Le sang noir sera diffusé sur France 3.

clmemont a écrit:

Demain samedi, Le sang noir sera diffusé sur France 3.

20:50 Le sang noir,d'après Louis Guilloux


Téléfilm dramatique (2006) - Durée : 1 h 55
Avec Alexandre Sandre, Didier Rufus, Carrière dans une Realisation de Peter Kassovitz

En 1917 dans une petite ville, loin du front, la dernière journée d'un professeur de philosophie, faite de conflits avec l'un de ses collègues.

Je n’ai pas lu le sang noir mais seulement Cripure, la version théâtrale, et j’ai bien aimé le téléfilm de Peter Kassovitz..On y voit une intrigue montée comme une mécanique précise agitant avec des variantes les différents couples du récit, et les rapports des générations en cette période de guerre .

Les marionnettes officielles avec leurs certitudes et leur héroïsme de commande font pâle figure devant Cripure qui se débat comme il peut, se reprochant ses incertitudes et sa lâcheté.

J'ai vu le téléfilm.
Ma foi, ce n'était pas si mal, alors que je craignais le pire !
Comment en effet réduire en images cet énorme et fabuleux roman grouillant de personnages et dont la force essentielle est un style somptueux basé sur l'usage maîtrisé de la métaphore ? Etonnamment, Le Sang noir a la pureté d'une tragédie classique (tout est ramassé en un lieu - une ville à l'arrière du front - une journée - en 1917 - et une intrigue - la marche inexorable de Cripure vers sa mort) mais aussi l'outrance et le foisonnement du baroque. C'est sans doute le plus beau roman de Guilloux (mais il faut lire tout Guilloux !) qui a raté de peu le Goncourt en 1935, hélas, au profit de Sang et Lumière de Peyré ! (Qui s'en souvient )
Les scénaristes ont écrit différemment la même histoire, concentrant, apurant, supprimant une bonne partie des personnages. Mais Cripure (Rufus est bon) et ses états d'âme ne sont pas trahis. Quant à l'horrible Nabucet, superbement joué par Didier Sandre, il est bien l'ignoble fantoche dépeint pas Guilloux...
Bref, un bon téléfilm, qui ne doit pas vous empêcher de lire le roman ! N'est-ce pas, rotko ?

Je l'ai à la maison, abîmé parce que c'est un livre dont j'ai hérité. Lelire dans cet état...

Une fois en pleine campagne, en faisant du velo, je me suis arrêté dans une maison de retraite : les vieilles personnes avaient fait des gateaux, fort bons, ma foi et vendaient des travaux manuels, des bibelots, et de vieux bouquins. Elles étaient très contentes de voir des étrangers au village leur rendre visite.

J'ai hesité sur l'exemplaire relié du sang noir -dans une collection courante. Mais comme je ne voulais pas me charger à velo (sans sacoches), je ne l'ai pas pris.

Ensuite j'ai regretté, car ces vieilles personnes étaient très gentilles, très bavardes, et je leur aurais certainement fait plaisir en achetant leur livre...
Je m'en repens encore...

D'un autre côté, il vaudrait mieux que tu présentes le livre, comme tu l'entends. Tu connais bien l'auteur et son oeuvre.

J'ai déjà ouvert le fil, à ton tour de taper le clavier !!

rotko a écrit:

D'un autre côté, il vaudrait mieux que tu présentes le livre, comme tu l'entends. Tu connais bien l'auteur et son oeuvre.

J'ai déjà ouvert le fil, à ton tour de taper le clavier !!

J'ai dit ce que j'avais à en dire, non ? Depuis le temps tu devrais savoir que j'ai horreur de faire des résumés ou des fiches de lecture ! Faut prendre Maïa comme elle est

Je prends Maïa comme elle est, d'accord.
Mais pourrais-tu me donner ton avis éclairé, puisque tu les as tous lus, lequel t'a semblé le plus fort ? le meilleur en quelque sorte... celui qui ne faut pas louper.
Cela fait plusieurs années que Louis Guilloux est sur ma liste, j'avais lu un article de M. Polac très très élogieux et il regrettait que cet auteur soit un peu oublié.

Bon tu comprends ma question, je ne peux tous les acheter... etc etc

J'aurais tendance à dire le Sang noir et compagnons.

Merci Clmemont, je vais aller voir déjà ces titres !
Heureusement que tu es là ... Maïa se fait dorer la pilule sur quelques plages nudistes je n'ai pas trouvé d'autres adjectifs

maïa a écrit:

C'est sans doute le plus beau roman de Guilloux

Je me cite moi-même Utopie ! Si tu ne lis qu'un Guilloux, ce doit être Le Sang noir. Mais toute l'oeuvre est intéressante. Surtout par sa variété, comme si chaque ouvrage était une espèce d'expérience, comme si l'"écritoire" de Guilloux fonctionnait, d'un roman à l'autre comme une sorte de laboratoire du style. D'ailleurs il a sous-titré Coco, son dernier roman "essai de voix", ce qui me paraît aller dans ce sens. On peut être déconcerté par un auteur qui écrit de très courts ouvrages comme ce Coco, récit à la première personne d'un homme qui se retrouve seul dans une ville parce que sa femme est partie (reviendra-t-elle ? Il y a eu deux fins au roman, dont l'une a été seulement donnée dans un numéro de la NRF...) et qui a aussi publié Le Jeu de patience, prix Renaudot en 1949, une énorme somme de huit cents pages. Cette étonnante et passionnante chronique de la vie sur plus de trente ans de personnages qui sont pratiquement tous déjà apparus dans d'autres oeuvres, qui se situe, en gros à la mi-temps de l'oeuvre, est "le livre qui contient tous les autres" puisque certains épisodes seront repris dans de courts romans postérieurs...comme Salido, par exemple. Le problème (le scandale !) est que Gallimard ne l'a jamais réimprimé depuis des décennies, et qu'il n'est pas paru en poche.
Je pourrais aussi recommander Confrontation, oeuvre assez tardive et très différente des autres. Etonnamment, j'ai trouvé des similitudes troublantes entre ce roman et La Rue des boutiques obscures de Modiano, écrit ultérieurement...
Enfin, tu peux commencer par le tout premier, La Maison du peuple, publié en 1927, très autobiographique (c'est un hommage émouvant à son père, le cordonnier "rouge"). On le trouve encore chez Grasset (Les Cahiers Rouges)
C'est tout pour ce soir, si on me lance sur Guilloux, je suis capable de ne plus m'arrêter

D'accord aussi pour Compagnons. mais c'est une courte nouvelle qu'on trouve dans le même volume que La Maison du peuple. Une belle histoire de solidarité dans un groupe de trois "compagnons" maçons, quand l'un d'entre eux se meurt. Nouvelle très "tchekovienne"...

Ah tu peux continuer, c'est intéressant ! Merci !

mais pourquoi toujours des noirs ?



C'est la question que pose Louis Guilloux dans ok, Joe ! à propos de deux affaires criminelles où des noirs sont accusés à tort et pendus. Louis Guilloux était alors interprète en Bretagne auprès des GI's , et découvrait la discrimination raciale.

Alice Kaplan à son tour mène l'enquête, à partir des minutes des procès, du récit de Louis Guilloux, et parle des différents personnages dans L'interprète Dans les traces d’une cour martiale américaine. Bretagne, 1944, chez Gallimard.

on peut écouter ici le podcast de france-culture.

ok, joe ! est disponible en anglais avec une introduction et une traduction d'Alice Kaplan, et chez Folio sous le titre, Salido suivi de ok, Joe !

Salido est aussi intéressant.

Cette fois encore Guilloux prend parti pour un groupe d'humiliés en souffrance. Il s'agit de réfugiés espagnols arrivés en France à la fin de la guerre d'Espagne. Il y eut bel et bien un camp à Saint-Brieuc à la fin des années trente, et notre auteur a beaucoup milité alors pour tenter d'améliorer les conditions de vie affreuses faites à ces Espagnols. Parmi eux, certains, comme Salido, deviendront ses amis.
Il les évoque aussi dans Le Jeu de patience, Renaudot en 1949, dont j'ai déjà parlé. En fait Salido est une longue nouvelle qui reprend et développe quelques pages du Jeu de Patience.

Un lien intéressant concernant l'auteur et le livre l'Interprète, qui lui est consacré.

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=27703

Retour sur Saint Brieux et Louis Guilloux, avec Bibliobs

Quand il veut entrer en littérature, à 25 ans, il est bien conscient qu’il lui faut une «carte de visite». Il la trouve en adressant «la Maison du peuple» chez Grasset. Ce récit tendre et pudique des luttes syndicales de son père touche juste: Guéhenno, autre fils de cordonnier, y «lit sa propre histoire», et le publie en 1927.

Il récidive donc bientôt avec «Compagnons», bref récit tolstoïen sur la fraternité, qui inspirera vingt ans plus tard un texte magnifique à Camus: «Guilloux songe presque toujours à la douleur chez les autres, et c’est pourquoi il est, avant tout, le romancier de la douleur.» Entre-temps, il avait reçu chez lui l’auteur de «l’Etranger», et lui avait indiqué le chemin du cimetière de Saint-Brieuc: depuis 1914 y est enterré le père de Camus, qui s’en souviendra dans «le Premier Homme».

C’est aussi que, passé le temps des coups d’essais, est venu celui du coup d’éclat: Gallimard publie «le Sang noir» en 1935. En racontant avec une ironie flaubertienne la dernière journée d’un prof de philo surnommé Cripure, Guilloux y lève rageusement le rideau sur ce que furent, dans une ville de Bretagne, loin du front, les coulisses de la Grande Guerre

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